La CGT a organisé un rassemblement ouvert à tous les autres syndicats devant la préfecture à Lille ce jeudi 30 mars. Leur but : faire entendre leur opposition face à la réforme des retraites qui entrainerait la suppression de leur régime spécial.
Les agents du service public de l'énergie se sont réunis sur la place de la République, devant la préfecture de Lille, jeudi 30 mars 2023 pour protester contre la réforme des retraites qui pourrait mener à la suppression de leur régime spécial.
En tout, ils étaient 400 sur place. Et même si l'ambiance était festive par moment, la colère continue de grandir au sein de la profession. Au cours de la manifestation, ils ont brûlé leurs casques, coupé l'électricité de la préfecture et d'un quartier proche de la place de la République.
"On est là pour faire tomber cette fameuse réforme des retraites"
La détermination est palpable au sein du rassemblement. "Aujourd'hui, on est là pour se faire entendre et pour faire tomber cette fameuse réforme des retraites qui est totalement injuste", explique Romain Fronek, responsable régional CGT Mines Énergie.
Leur but aujourd'hui était de réunir le plus d'agents possibles des IEG (industries électriques et gazières), qu'ils soient actifs ou inactifs et peu importe l'entreprise. "On a de la distribution, des énergies renouvelables, du commerce. Tout le monde est là et la détermination est toujours là", insiste-t-il.
De son côté, Romain Royer, coordinateur syndical Force Ouvrière Enedis, a vu en cette manifestation organisée par la CGT "une lutte intersyndicale qui doit se poursuivre dans l'unité la plus large et la plus forte possible" pour faire tomber la réforme des retraites. D'autant plus que cette réforme devrait toucher tous les agents "quelle que soit leur carte syndicale".
Une retraite calculée sur les 6 derniers mois
Mais qu'en est-il de ce régime spécial ? Il a été créé il y a 75 ans "en même temps que le statut des IEG pour faire rentrer un maximum d'agents à l'époque, dans la construction d'EDF/GDF (électricité de France et gaz de France)", explique Romain Fronek.
Avec ce régime, la retraite est calculée sur les six derniers mois et non pas sur les 25 meilleures années. Les agents de l'énergie partent donc avec 75% de leur dernier salaire en moyenne. "C'est très avantageux, mais en contrepartie, on cotise beaucoup plus". Il souhaiterait même que "ce régime général soit identique à notre régime pionnier parce qu'il est finançable pour tout le monde et ce serait une nette augmentation des pensions de tout le monde".
Avec la réforme, on sera calculé sur les 25 meilleures années et plus sur les 6 derniers mois, donc on va perdre jusqu'à 500 euros par mois sur notre retraite. Donc ce n'est pas négligeable.
Romain Fronek, responsable régional des syndicats de l'énergies des Hauts-de-France pour la CGT
Finalement, l'opposition face à cette réforme des retraites est double. "Il y a deux impacts majeurs", note Romain Royer. "Le premier, c'est le report de l'âge légal pour tous les salariés et y compris les agents des IEG", ce qu'il qualifie de mesure "inacceptable". Le deuxième, "c'est la remise en cause de notre régime spécial de retraite qui va être supprimé. Et ça, on ne peut pas l'entendre".
Jérémie Leuleu, délégué syndical CGT à GRDF, est catégorique : il se bat à la fois pour les IEG "mais aussi pour mes enfants, pour ma femme qui travaille en dehors de mon entreprise et qui est sur un régime général", insiste-t-il.
Lui et ses collègues syndicalistes ne veulent pas rentrer dans une lutte qui ne prendrait pas en compte les autres retraites. "Si demain, le gouvernement venait à dire 'dans l'énergie, ça chauffe, on va proposer des choses pour eux', qu'il sache bien qu'on ne lâchera pas l'affaire. On continuera à se battre, y compris pour le régime général. On veut le retrait de cette réforme".
La pénibilité mise de côté
Kevin Lippenoo, délégué syndical CGT chez GRDF précise que "tout au long de la carrière, on cotise plus que dans le privé", à hauteur de 13%, au lieu de 7%. C'est ce qui explique pourquoi les agents de l'énergie partent plus tôt à la retraite. Et c'est "une reconnaissance de la pénibilité de notre travail".
Romain Fronek rappelle que ce régime ne permet plus "forcément" de partir plus tôt car plusieurs lois "sont passées précédemment sur les différentes réformes des retraites". Certes, à un moment donné, ils pouvaient partir à 55 ans car la pénibilité est prise en considération "parce qu'on intervient de tous temps à l'extérieur". Mais si la loi passe, "on sera comme tout le monde".
Il met d'ailleurs au défi "quiconque de venir travailler chez nous et de vous ce que ça donne d'être dehors 24h/24, d'intervenir de tous les temps, quand on a des tempêtes. C'est des conditions très particulières, très fatigantes, très épuisantes". Il lui est inconcevable de voir quelqu'un "monter à 54 ans, 55 ans, 60 ans en haut d'un poteau, c'est usant".
Ça fait 75 ans que ce régime est là, qu'il a fait ses preuves, ça fait 75 ans qu'il est excédentaire.
Kevin Lippenoo, délégué syndical CGT chez GRDF
Le régime spécial des IEG avait comme spécificité de prendre en compte la pénibilité pour tous les agents. Mais avec la réforme des retraites, "il va disparaitre et on va tous être rattachés au régime général", renchérit Romain Royer. Cela implique également que les nouveaux entrants "vont cotiser au régime général" et que la pérennité de la clause du grand-père ne sera plus garantie.
"Plus on va avancer dans le temps, moins il y aura de cotisants au régime spécial, et à terme, on sera tous obligés d'être ralliés au régime général. Donc les spécificités de notre régime vont disparaître à terme", alerte le syndicaliste FO.
"Cette close du grand-père, c'est juste de l'enfumage"
Si ce statut est enlevé, la crainte se porte sur le recrutement de nouveaux arrivants. Mais Jérémie Leuleu dit ne pas être dupe. "Ils ont essayé de sorti la clause du grand-père pour essayer de faire croire que ceux qui sont déjà entrés dans l'entreprise sont protégés, qu'ils ne subiront pas cette réforme".
Mais pour lui, les nouveaux salariés qui rentrent dans l'entreprise à partir du 1er septembre 2023 et cotisent au régime général ne cotiseront plus dans "notre système de retraite à nous et forcément, ce système va tomber".
Ce système de retraite "va devoir continuer à verser des pensions aux retraités actuels, aux retraités à venir mais il n'y aura plus de financement qui va rentrer" car tous les nouveaux entrants cotiseront au régime général. "Mathématiquement, ça va tomber", observe-t-il avant d'ajouter : "cette close du grand-père, c'est juste de l'enfumage parce que d'ici cinq ans maximum, notre système de retraite qui aujourd'hui est à l'équilibre, il va tomber".
Une entreprise avec un double statut deviendra difficile à gérer pour les employeurs.
Jérémie Leuleu, délégué syndical CGT à GRDF
Une perte d'attractivité
Beaucoup de personnes postulent d'ailleurs dans les IEG pour ce régime spécial. Aujourd'hui, la profession constate déjà des problèmes de recrutement. "Donc demain, si on nous enlève ce statut, ça va devenir encore plus compliqué".
Dans le public, les agents de l'énergie "acceptent de rentrer avec un salaire un peu moins intéressant que le privé parce qu'il y a une protection sociale, un tarif préférentiel sur l'électricité et le gaz, c'est ce qui permet aussi de compenser cette perte de salaire". Mais si demain ils se voient retirer "la protection sociale et le tarif agent", Jérémie Leuleu ne voit pas "pourquoi il y aurait un intérêt à venir travailler sur les énergies".
Le risque d'une perte d'attractivité du secteur paraît donc grandissant. "Si à terme, le régime spécial disparait, les salariés vont travailler dans des conditions pénibles plus longtemps et on n'arrivera plus à attirer de nouveaux salariés", regrette Romain Royer.
"On ne va pas lâcher jusqu'au retrait"
Les grévistes ont été reçus entre midi et 13 heures par la sous-préfète. "Les échanges étaient courtois, ils nous ont écouté", lance un Romain Fronek qui n'a pas grand espoir et voit en eux "de bons petits soldats du gouvernement".
Et même si le président de la République Emmanuel Macron a ouvert la porte pour recevoir les syndicats, ces derniers gardent leurs réserves et préfèrent attendre de voir l'issue des échanges. "Pour la CGT, c'est clair, net et précis, on n'ira pas pour négocier des pacotilles, ce sera un retrait pur et simple", martèle Romain Fronek.
La détermination reste de mise. D'autant plus que les primes d'intéressement "vont tomber le mois prochain dans les IEG donc clairement, aujourd'hui, c'est le patron qui va nous payer nos heures de grève. On est repartis pour un mois et on n'a pas peur de l'annoncer, on ne va pas lâcher jusqu'au retrait", conclut-il.