Ce 25 novembre est la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. L'occasion de réfléchir sur le traitement journalistique de ces sujets. Comment relater de la façon la plus juste les féminicides, les violences sexuelles et conjugales, le sexisme ordinaire et pourquoi est-ce si important ?
C’est en 1999 que l’ONU, l'Organisation des Nations Unies, a choisi de proclamer le 25 novembre comme journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, avec des opérations de sensibilisation. À cette occasion, notre podcast a choisi de s'intéresser au traitement médiatique de ces violences.
Le choix des mots
Les journalistes endossent une grande responsabilité à chaque fois qu'ils écrivent un article sur des violences faites aux femmes. Le choix des mots, c'est leur quotidien et parfois ils ne se rendent pas compte de leur impact sur les familles touchées par les féminicides ou sur les femmes qui osent dénoncer le viol qu'elles ont subi comme dans l'affaire PPDA.
Les titres victimaires ou romantiques tels que "PPDA, sa nouvelle vie de paria" ou encore " L'amour sans condition" pour le footballeur britannique Mason Greenwood accusé de viol peuvent être mal perçus. On note aussi du vocabulaire qui culpabilise la plaignante comme " "Elle avoue avoir été violée" et une grammaire qui invisibilise l'agresseur avec la forme passive comme " Elle a été violentée !'
Exemples de titres clichés
" C’était un couple sans histoire, ce n’était pas prévisible"
Ce titre est sorti de témoignages de voisins. Est-ce que le témoignage du voisinage qui n'a pas assisté directement aux faits a de la valeur ? L'association Osez le féminisme répond que dans 40 % des cas, il est avéré que la victime avait déjà subi des violences sous diverses formes au sein du couple. Les violences conjugales ont bien souvent lieu loin des regards.
" Il étrangle sa femme car le repas n’est pas prêt"
Selon Osez le féminisme, ce genre de titre pose problème car cela donne l’impression que quoiqu’elles fassent, c’est la faute des victimes, que les femmes doivent adopter ou éviter certains comportements inappropriés sous peine de mettre leur vie en jeu !
Isabelle Boulant a connu l'enfer avec la mort de sa fille Manon tuée par son ex-copain en 2020. Elle a très mal vécu la façon dont les journalistes ont traité le féminicide de sa fille : " J'ai découvert dans un article que ma fille avait été assassinée ! La vice-procureur avait informé les journalistes avant moi ! Ensuite, les journalistes ont donné une image négative de ma fille, qui n'est pas ma fille du tout. Cela m'a donné l'impression qu'on cherchait à dire que ce qui lui était arrivé, était de sa faute."
J'ai découvert dans un article que ma fille avait été assassinée !
Isabelle BoulantPrésidente de l'association d'aide aux familles " Un regard bleu qui s'en va"
L'Espagne, un modèle à suivre par la France
L’Espagne est très en avance par rapport à nous, comme le montrent les travaux de Margaux Collet, consultante spécialiste des questions de genre. Dès 1997, en Espagne, la réflexion s’organise suite à l’assassinat de Ana Orantes par son ex-mari ! C’est la première fois qu’un cas de crime de genre fait la une des journaux télévisés et des grands quotidiens.
En 2001, plusieurs médias espagnols s’engagent, comme le groupe Radio télévision Publique et deux chaînes privées, pour appliquer une charte avec dix commandements dont s’est inspirée l'association Prenons la une en France, en 2019.
Ce n’est pas tout, l’Espagne adopte une loi en 2004 contre les violences de genre avec notamment la création de tribunaux spécialisés. Les médias espagnols relaient activement les initiatives et les actions gouvernementales pour sensibiliser à ce sujet.
En 2022, la "Loi sur la garantie intégrale de la liberté sexuelle", surnommée "un oui est un oui", rend la définition plus stricte avec l’importance du respect du consentement explicite de la personne impliquée !
Quand on parle du modèle espagnol et de l’affaire Ana Orantes, on ne peut s’empêcher de penser à l’affaire Pélicot en France qui est d’ailleurs très suivie en Espagne et partout dans le monde, grâce à l’accréditation de 60 médias et l’absence du huis clos. L'affaire Pélicot aura peut-être la même incidence que l'affaire Ana Orantes, sur la qualité du traitement médiatique des violences faites aux femmes.
Des outils pour les journalistes
Plana Radenovic, journaliste spécialiste police/justice, pense qu'on assiste à un tournant : "On se rend compte que le viol est un crime de masse. Grâce à la dignité de Gisèle Pélicot, des victimes de viol me disent qu'elles veulent parler, porter plainte. « Si Gisèle l'a fait, on peut le faire aussi », me disent-elles !"
Depuis 2019 et le Grenelle des violences faites aux femmes, le mot "féminicide" est entré dans le langage courant tandis que l'emploi de l'expression "crime passionnel" est devenu très minoritaire dans les articles de presse, selon l'étude de l'Ina de 2019 à 2024. La même année, l’association de journalistes Prenons la une élabore une charte à l'attention des médias français et de leurs journalistes. Margaux Collet, cofondatrice de l'association voit enfin bouger les lignes en France : "Je trouve que l'on comprend mieux les féminicides depuis dix ans même si cela ne veut pas dire encore qu'on a réussi à sauver des femmes !"
Comme la charte le préconise, contextualisons cet article avec des données sur les violences faites aux femmes.
Une femme est tuée par un proche toutes les dix minutes dans le monde. En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint.
Le numéro d'écoute national est le 3919, gratuit 24h/24 et 7j/7.
Retrouvez cette émission spéciale en replay présentée par Marie Sicaud et Christelle Juteau-Lermechin à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, sur le traitement médiatique de ces violences.