Au 46e jour de mobilisation interprofessionnelle contre le projet de réforme des retraites, nous avons interrogé Stéphane Sirot, spécialiste lillois de l'histoire et de la sociologie des mouvements sociaux sur la suite du mouvement et sur les nouvelles formes d'action mises en place.
Pourquoi voit-on apparaître des actions coup de poing comme l'intrusion dans le siège de la CFDT ?
Depuis quelques jours, les grévistes et les opposants à la réforme des retraites cherchent à mettre en place de nouveaux moyens d'action afin de diversifier la contestation. Pour Stéphane Sirot, "le mouvement social est en train de se transformer". Les manifestations de masse, les grèves reconductibles sont en train de se "déliter". "Ce n'est pas pour autant que l'opposition à la réforme est en train diminuer", avertit le sociologue. Ce qu'il s'est passé au Théatre des Bouffes du Nord (Emmanuel Macron a été "accueilli" par des opposants devant le théâtre où il se trouvait), c'est une manière de "réinvestir la lutte, en la transformant pour la faire durer".
Et pour Stéphane Sirot, c'est tout l'enjeu de la poursuite du mouvement : comment s'inscrire dans la durée, comme le mouvement des Gilets jaunes (qui vient d'achever son "acte 62") ? L'objectif de ces nouvelles formes d'action serait donc pour l'universitaire de "s'inscrire dans une durée qui ne permettrait pas au pouvoir politique d'envisager la fin du conflit". Et de conclure, "ce qu'on a vu se passer les derniers jours, c'est quelque chose qu'on va voir se multiplier (...), on est loin d'en avoir fini avec cette mobilisation".
Cette forme de contestation est-elle nouvelle ?
Pour l'universitaire, pas de nouveauté particulière dans ces nouveaux moyens de contestation. Simplement, la période des années 1990 - 2000 a été une période de "ritualisation, de routinisation des conflits sociaux, où la pacification régnait et où un certain ordre était visible".
Mais selon lui, à bien y regarder l'histoire des conflits sociaux des XIXe et XXe siècles, on retrouve "très régulièrement des pratiques transgressives". Dans les années 1970, l'historien rappelle que de nombreuses actions "spectaculaires" avaient lieu : séquestrations de cadres, de directeurs d'entreprises. Pour lui, le mouvement actuel "redécouvre des modalités d'action [qu'il] avait un peu oubliées".
3- Est-ce qu'on assiste à une radicalisation de certains syndicalistes ?
Pour l'historien, hors de question de parler de "radicalisation". Déjà, parce que ce terme est réapparu lors des attentats djihadistes, "il faut savoir raison garder et ne pas utiliser des termes qui sont aujourd'hui très connotés dans le débat public". D'autre part, le mot "radicalisation" ne correspond pas, selon lui, à la réalité. "Pour qu'il y ait radicalisation, il faut qu'il y ait des pratiques qui signifient l'usage de violence, explique-t-il. "Celle qu'on a vu hier était d'ordre purement symbolique, on n'a pas assisté à des violences physiques de masse".