Le ministre de la justice Eric-Dupont-Moretti en procès à partir de ce lundi : ce qu'il faut savoir avant cette audience qui va durer 10 jours

A partir de ce lundi 6 novembre 2023 et pour 10 jours, Eric Dupont-Moretti, né à Maubeuge, prendra place sur le banc des prévenus de la Cour de justice de la République, accusé de prise illégale d'intérêts. La Cour devra trancher sur une question : a t-il usé de ses fonctions de ministre pour régler ses comptes d'avocat avec des magistrats? Il est le premier garde des Sceaux en exercice à se retrouver en procès.

Il encourt jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 500.000 euros d'amende pour prise illégale d'intérêts, ainsi qu'une peine d'inéligibilité et d'interdiction d'exercer une fonction publique. Pour la première fois un ministre de la justice en fonction sera assis sur le banc des prévenus d'un tribunal. Et pendant les 10 jours d'audience annoncés, du 6 au 16 novembre 2023, Eric-Dupont Moretti restera en fonction. Aucun intérim n'est programmé pour le moment. Il sera pourtant absent du conseil des Ministres, excusé à l'avance par le président de la République et sa Première ministre.

Que lui reproche-t-on ? Taupe, fadette et conflits d'intérêts...

Tout d'abord il faut savoir que le garde des Sceaux n'est pas jugé devant n'importe quel tribunal. La Cour de Justice de la République (nommée CJR- crée en 1993) est la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l'exercice de leurs fonctions. Ce tribunal siège à Paris, dans le 7ème arrondissement.

Son audace et ses coups de gueule ont fait de l'enfant du Nord, Eric Dupond-Moretti, une star du barreau devenu ministre de la justice en 2020. Mais ses vieilles relations orageuses avec les magistrats ont fini par le rattraper, au point de faire de lui le premier garde des Sceaux à se retrouver en procès.

Taupe, fadettes et conflits d'intérêts: voici les trois étapes à retenir de l'affaire Eric Dupond-Moretti

Le 25 juin 2020, l'hebdomadaire Le Point révèle que le parquet national financier (PNF) a ouvert une enquête en 2014 afin de trouver une "taupe" qui aurait informé Nicolas Sarkozy qu'il était sur écoute dans l'affaire "Paul Bismuth". Les fadettes (factures téléphoniques détaillées) de plusieurs avocats - dont Eric Dupond-Moretti - ont été épluchées, mais l'enquête classée sans suite fin 2019.
Dénonçant des "méthodes de barbouzes", le ténor du barreau dépose plainte contre le PNF, le 1er juillet.

Le 6 juillet 2020, il est nommé ministre de la Justice et retire sa plainte. Mais quelques jours après, il ordonne une enquête administrative sur trois magistrats du PNF : Patrice Amar et Ulrika Delaunay-Weiss, chargés du dossier des "fadettes", et leur ancienne supérieure hiérarchique Eliane Houlette.


Face aux accusations de conflits d'intérêts, M. Dupond-Moretti annonce qu'il laissera le Premier ministre Jean Castex décider des suites à donner au futur rapport d'enquête.
Le 24 octobre 2020, un autre décret va plus loin : le ministre devra se déporter de toutes les affaires ayant un lien avec son ancienne activité.
Ulrika Delaunay-Weiss ne sera finalement pas poursuivie. Éliane Houlette et Patrice Amar seront blanchis, le 19 octobre 2022, par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).


En octobre 2020, Mediapart révèle par ailleurs que le garde des Sceaux a également lancé une enquête administrative, le 31 juillet 2020, cette fois contre le magistrat Edouard Levrault.
Il avait mis en examen un des clients de l'avocat pénaliste et ce dernier avait à l'époque critiqué ses méthodes de "cow-boy". Le juge est blanchi, le 15 septembre 2022, par le CSM.

Dénonçant deux situations de conflit d'intérêts, trois syndicats de magistrats et l'association anticorruption Anticor déposent des plaintes contre le ministre en décembre 2020. 
Le 13 janvier suivant, la Cour de Justice de la République (CJR) ouvre une enquête. Eric Dupond-Moretti est mis en examen le 16 juillet 2021.

Le ministre tente, à plusieurs reprises mais toujours en vain, de faire suspendre l'information judiciaire par la justice. Le 20 mai 2022, il est reconduit au ministère de la Justice après la réélection d'Emmanuel Macron. Le 3 octobre la CJR ordonne un procès. Ses avocats forment un pourvoi, rejeté par la Cour de cassation.

Redoutable plaideur surnommé "Acquittator", ses mauvaises relations avec les magistrats

Avant sa nomination surprise place Vendôme, en juillet 2020, "Dupond" était sans doute l'avocat le plus connu de France, redoutable plaideur aux quelque 140 acquittements qui lui ont valu le surnom d''Acquittator".

Son audace et ses coups de gueule ont fait d'Eric Dupond-Moretti une star du barreau. Ce lundi, l'ex-avocat de 62 ans retrouvera une de ces salles d'audience dont il a fait trembler les murs, comme tant d'autres, avec sa "grande gueule", sa carrure et sa voix intimidantes pendant ses 36 ans de robe.
Patrick Balkany, Jérôme Cahuzac, Abdelkader Merah, le frère de l'auteur des attentats de Toulouse en 2012, et la boulangère du scandale judiciaire d'Outreau, qui l'a fait connaître.

Eric Dupond-Moretti avait en revanche la réputation de faire peur aux juges. "Je ne terrorise que les imbéciles", nuançait celui qui ne cachait pas son aversion pour certains magistrats, dénonçant leur "corporatisme".
"Il avait une défense très agressive vis-à-vis des magistrats" et une "capacité à hystériser les procès", a décrit pendant l'enquête de la CJR l'ex-procureure générale de la cour d'appel de Paris, Catherine Champrenault.
Le syndicat majoritaire au sein de la magistrature a qualifié sa nomination de garde des Sceaux de "déclaration de guerre". Ses relations sont restées orageuses.

Les syndicats sont à l'origine de la plainte qui lui vaut aujourd'hui procès. C'est un "taureau furieux", estime même une source syndicale.
Depuis son arrivée au ministère, plusieurs magistrats ont assisté à des échanges glacials, tendus, et parfois cru qu'il allait en "venir aux mains".

Début 2022, à la fin d'une audience solennelle à la Cour de cassation, il avait violemment pris à partie devant témoins le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, jugeant "scandaleux" son discours sur le mal-être des magistrats.
Les deux hommes se détestent : il "voulait être garde des Sceaux et n'a jamais accepté ma nomination", a dit lors de l'instruction à la CJR Eric Dupond-Moretti, qui s'est amusé à tenter - sans succès - de dresser son teckel à poils courts à aboyer au nom du magistrat.

Au Parlement aussi, quand "King-Kong vient au banc (du gouvernement) ce n'est pas forcément un gage d'apaisement", admet une députée Renaissance.
Et s'il a lissé son personnage, le naturel reprend parfois le dessus, comme quand il a adressé en mars dernier trois bras d'honneur au patron des députés LR Olivier Marleix.

Enfant de Maubeuge, étudiant à Lille, candidat malheureux aux Régionales 2021 dans les Hauts-de-France

Né à Maubeuge, en 1961, d'un père métallurgiste décédé lorsqu'il avait 4 ans et d'une mère immigrée italienne et femme de ménage qu'il vénère, celui qui était arrivé dernier à l'école du barreau de Lille mais premier au concours d'éloquence a gardé de ses années d'assises son parler "à hauteur d'homme". Il a été avocat pendant 36 ans.
Au palais de Justice de Paris, certains employés se souviennent aujourd'hui qu'il est "l'un des seuls" à s'être toujours arrêté pour les saluer.
Eric Dupond-Moretti, père de deux enfants, est aujourd'hui en couple avec la chanteuse canadienne Isabelle Boulay. À la Chancellerie, où trônent un vinyle de Georges Brassens et une photo du torero El Juli, il ne se prive pas de fumer dans son bureau, le plus souvent debout à la porte-fenêtre qui donne sur les jardins.
Sa seule candidature aux élections, lors des régionales de juin 2021, s'est soldée par une sévère défaite qu'il a eu du mal à digérer. Eric Dupont-Moretti figurait avec 5 ministres sur la liste de la majorité présidentielle conduite par Laurent Pietraszewski, éliminée au premier tour avec 9,13% des voix.

Sa longévité au gouvernement reste une surprise. Souvent donné partant, il a toujours, malgré ses outrances et sa mise en examen, gardé la confiance d'Emmanuel Macron.
Place Vendôme, l'ex-ténor s'enorgueillit d'être le premier ministre de la Justice à avoir obtenu de tels moyens : un budget qui passe la barre des 10 milliards d'euros cette année, après trois hausses "historiques" les années précédentes, arrachées comme il dit "avec les dents".

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