A 15 ans, Marie Delaere a été gravement harcelée en milieu scolaire. Aujourd'hui psychologue, elle a décidé d'ouvrir un cabinet à Mouscron près de Tourcoing pour recevoir aussi bien les jeunes harcelés que les jeunes harceleurs. Entretien.
C'était il y a 10 ans, mais le souvenir est encore vif. A 15 ans, Marie Delaere a fait l'expérience violente du cyberharcèlement et du harcèlement scolaire. "Tout est parti d’une photo, postée sur les réseaux sociaux. J’avais une robe trouvée sur internet, et je demandais des avis. Ce post a pris de l’ampleur, et en l’espace d’une soirée, tout a dégénéré. Les gens m'insultaient. J’ai reçu des messages : "Tu vas voir, on va te trouver et te régler ton compte". Je n’y croyais absolument pas. Je n’avais jamais été menacée à l’école auparavant." raconte-t-elle.
"T'as juste à mourir, tu vas manquer à personne"
Comme c'est la fin de l'année scolaire, elle se rend le lendemain au collège, "avec quand même la boule au ventre", pour rendre ses livres de classe. Elle est soulagée de ne croiser personne, mais est en fait attendue de pied ferme, là où elle a laissé son vélo. Un petit groupe de filles l'encercle. "J’ai pris des coups violents, que je n’ai pas vu venir. A la fin, j’étais en crise de panique, par terre, en pleurs. Il y en a une qui m’a regardé dans les yeux et m’a dit : 't’as juste à mourir, tu vas manquer à personne'. Un ami de mon frère est passé par là et m’a reconnue, il a mis fin à l’agression. Comme on m’avait vue, j’ai dû mettre des mots dessus tout de suite. Sinon, je pense que c’est quelque chose que je n’aurais pas pu raconter."
Marie Delaere a quitté sa ville de Mouscron après ses études, et s'en est tenue éloignée pendant 7 ans. Mais elle est revenue il y a peu en tant que psychologue. Le 1er mars, elle ouvrira son cabinet, spécialisé sur les problématiques de harcèlement scolaire et de cyberharcèlement.
A l'occasion de la mobilisation de France Télévisions contre ce cyberharcèlement sous le hashtag #AimeSansHaine et le numéro d'appel 3018, Marie Delaere analyse les dynamiques de ces comportements inquiétants.
Selon vous, qu'est-ce qui pousse un jeune à en harceler un autre ?
Marie Delaere : C’est quelque chose d’assez délicat à investiguer, on a très peu de statistiques sur le sujet. On remarque tout de même que ce qui pousse les jeunes à harceler, c’est un sentiment de différence, par rapport à celui qui a une autre culture, qui s’habille bizarrement, qui est l’intello de la classe… Ce qui motive les harceleurs, c’est aussi tout une dynamique : la cour de récré est une micro-société. Dans cette petite société, il y a des jeunes qui ont plus de pouvoir, le harcèlement est une relation de pouvoir asymétrique : on le garde en l’asseyant sur les autres, en les dénigrant.
Il est difficile de dégager un profil type mais les harceleurs, comme tous les auteurs de violences, ne sont pas des personnes heureuses. Ce sont souvent des jeunes en difficulté au niveau social, scolaire ou familial. Ce sont aussi des jeunes très soucieux de l’image qu’ils renvoient aux autres, de leur réputation y compris en ligne, et qui ont besoin d’approbation. Parfois, c’est aussi une manière d’appeler à l’aide, d’attirer l’attention. Dans certains cas, assez interpellants, des jeunes harcelés qui ne sont pas accompagnés changent de rôle et deviennent harceleurs.
Quel est l'impact sur les victimes ?
On voit ce slogan, maintenant, sur internet : le harcèlement tue. C’est très marquant pour les victimes, qui peuvent avoir des difficultés à développer des relations sociales à l’âge adulte et s’isoler. On voit souvent aussi des décrochages ou des phobies scolaires. Ces jeunes sont encore plus en souffrance, et ils ont du mal à dénoncer.
Ils se taisent pour des multiples raisons. Parce qu’ils n’ont pas de personne de confiance dans leur entourage pour en parler, parce qu’ils ont peur de faire du mal à leurs parents, peur d’être considérés comme une « balance » par les autres, ou alors parce qu’ils veulent s’en sortir seul. Ils n’arrivent pas toujours à mettre les mots là-dessus. Mais une chose est sûre : il faut absolument un adulte pour prendre les choses en main.
Pourquoi choisir de recevoir non seulement les victimes, mais aussi les agresseurs dans votre cabinet ?
J’ai toujours eu cette sensibilité dans l’écoute, cette attitude non-jugeante, humaine. Mais mon expérience a eu un impact sur le reste de ma vie. Si je n’avais pas été harcelée, peut-être que je ne serai pas psychologue. C’est un grand symbole pour moi, de pouvoir tendre la main à ces jeunes et je ne fais pas de différences entre harcelés et harceleurs. Je les considère de la même manière : comme des jeunes en souffrance.
Que conseilleriez-vous à un professeur qui repère un jeune en souffrance ?
Si les professeurs sont sensibilisés à la thématique, c’est déjà super. Beaucoup d’établissements considèrent que les problématiques de harcèlement ne les concernent pas car avec le harcèlement en ligne, la frontière se brouille, même si ça démarre dans la cour de récré. Si un enseignant perçoit qu’un jeune est en détresse, ouvrir le dialogue est déjà une victoire. Libérer la parole est important, ça peut aussi passer par des exercices en place, l’instauration d’espaces de parole régulés. Il faut en parler, et savoir écouter.
Il y a de plus en plus de contenus disponibles sur la thématique, de plus en plus de choses mises en place, et j’ai bon espoir. Je crois que le challenge, c’est maintenant de rendre ces contenus accessibles. Les établissements, les professeurs, ont besoin d’une boîte à outil prête à être utilisée. Il est important de les former, et qu’ils soient accompagnés par la direction. C’est un travail qui doit se faire en réseau.