Christophe Ponseel et Thibault Evin sont boulangers respectivement du Pas-de-Calais et du Nord. Les deux tirent la sonnette d'alarme face au prix exorbitant de l'énergie. Si les choses ne changent pas, ils risquent de mettre la clé sous la porte, comme de plus en plus de leurs collègues.
"On ressent le stress, on fait des nuits blanches", lance Christophe Ponseel au bout du fil. Depuis que le montant de ses factures d'électricité a triplé à cause de la crise énergétique, ce boulanger a du mal à dormir.
Et pour cause : il y a un an, il ne payait que 7000€ de gaz et d'électricité tous les trois mois. Désormais, il se retrouve à devoir débourser 24 500€. C'est plus que le triple pour cette entreprise de 4 salariés et de 8 apprentis.
Une lettre au président de la République
Face à cette augmentation pharaonique des prix, il a décidé d'écrire une lettre au président de la République, Emmanuel Macron et d'essayer de la lui déposer à l'Elysée en main propre. "Je devais aller sur Paris et je me suis dit que c'était le moment de faire d'une pierre deux coups. Je suis donc parti devant avec le député Bertrand Petit" qu'il connaît bien.
"Evidemment, on savait qu'on n'allait pas pouvoir voir monsieur Macron", relativise-t-il.
Dans ce courrier, il y détaille sa situation. Avec son frère Arnaud, il gère depuis 12 ans cette boulangerie familiale transmise par leur père qui lui-même avait repris ce commerce en 1976. "Mon frère et moi travaillons depuis nos 16 ans, nous faisons notre travail avec passion, nous participons au développement économique du pays, nous représentons les citoyens français qui votent et payons nos impôts", écrit Christophe Ponseel dans la lettre.
Mais la chance n'a pas été de son côté "au niveau de l'énergie car mon contrat prenait fin au 31 octobre 2022, la pire période pour changer de fournisseur". Il a fini, grâce à un courtier, par choisir celui qui proposait les meilleurs tarifs. "Si je suis doué dans mon métier, la recherche d'un nouveau fournisseur d'électricité sortait de mes compétences", note-t-il, toujours dans le courrier adressé au président de la République.
À réception de ma première facture, le montant à payer était de 2120,23€ HT, juste une augmentation de 200€ par rapport au mois d'octobre 2002. Soulagement pendant seulement quelques minutes car la facture n'était pas mensuelle mais pour 10 jours !
Christophe Ponseel dans sa lettre au président de la République
Pour y faire face, il a dû réfléchir "à bien organiser le travail au niveau du four qui consomme le maximum d'énergie et de travailler plus pendant les heures creuses", donc entre 23 heures et 6 heures du matin "car le prix est quatre fois moins cher que durant les heures pleines". Lui et ses salariés essaient de "cuire au maximum avant 6 heures du matin".
Auparavant, ils cuisinaient "des petits pains, des baguettes, des brioches chaudes" vers 16h-17h pour le goûter. "Aujourd'hui, ce n'est plus possible", regrette Christophe Ponseel qui éteint ses fours après 6 heures du matin et en laisse un allumé jusqu'à 11 heures pour les restaurateurs et les baraques à frites.
Il rappelle que lui et son frère ont effectué "toutes les démarches pour avoir les aides" et les attend de pied ferme. Il souhaiterait tout même être "sur le même pied d'égalité". En effet, le bouclier tarifaire vise "les entreprises et les particuliers qui sont en dessous de 36 kVA en puissance". Les boulangers, qui en sont loin, "ont juste un amortisseur et c'est pas du tout ce qu'on veut".
"On a signé la mort de la SARL La Licorne"
À une soixantaine de kilomètres de Saint-Omer, à Haubourdin (Nord), Thibault Evin vit une situation similaire. "J'ai repris l'entreprise 'Au Coeur des Saveurs' le 1er octobre dernier, il y a six mois", explique-t-il en ajoutant qu'il y emploie 14 salariés, dont 3 apprentis.
Mais face à l'explosion des prix de l'énergie, il ne sait plus quoi faire. "Le gaz et l'électricité ont augmenté d'une telle façon qu'ils ont été multipliés par trois et je ne pourrai bientôt plus payer", avoue le boulanger. Auparavant, son prédécesseur payait "un peu moins de 3000€ par mois et c'est passé à quasi 9000€ par mois".
Pourtant son entreprise génère un bénéfice (excédent brut d'exploitation) de 130 000 euros par an. Il faut soustraire 60 000€ de remboursement d'emprunt et 24 000€ de salaire (2000€ par mois). Il lui reste donc 46 000€ pour "l'investissement dans l'entreprise, matériel ou humain, mais sur cette somme, je dois soustraire l'augmentation du gaz et de l'électricité", donc 66 000€ en tout. Il lui manque alors 20 000€.
J’ai fait la demande du bouclier amortisseur. Ça va me permettre un sursis, sauf que le jour où ça s’arrête, c’est à nouveau mon acte de décès.
Thibault Evin, boulanger à Haubourdin
"Si les aides ne suffisent pas, c'est le décès annoncé de la SARL La Licorne alors qu'il s'agit d'une entreprise saine", regrette Thibault Evin qui voulait même embaucher une personne pour développer le snacking. "Il faut 6 à 8 mois pour que l'activité supplémentaire d’une entreprise soit rentable", chose qu'il aurait pu supporter avant la crise énergétique. Mais en l'état actuel des choses, "ce n'est évidemment plus envisageable".
Pire encore, le boulanger travaille "entre 65 et 70 heures par semaine pour 2000€ en sachant que ça ne suffira pas". Il essaie de comprendre comment il en est arrivé là et estime qu'il y a "des gens dans des bureaux qui ont signé le meurtre de la SARL La Licorne. On m’a mis à mort avec mes 15 salariés. J’aimerais savoir qui. Parce que là c’est de la préméditation. Je suis toujours pas mort, mais ça va arriver."
Cette situation est d'autant plus effrayante à ses yeux qu'il voit ses confrères et consoeurs du métier mettre la clé sous la porte. "Un collègue à Armentières a fermé en janvier alors que l'entreprise était ouverte depuis 85 ans", raconte-t-il. D'autres rencontres les mêmes difficultés que lui.
"J’aimerais bien déposer plainte contre la ou les personnes qui ont signé le décès de mon entreprise en espérant que la préméditation soit retenue", conclut-il en précisant bien qu'il exagère volontairement son propos.
Une manifestation pour dénoncer le prix du gaz et de l'électricité
Pour faire entendre cette profession en difficulté, Christophe Ponseel a décidé d'organiser une nouvelle manifestation ce jeudi 6 avril à Saint-Omer, jour de l'étude du bouclier tarifaire à l'Assemblée nationale. Une autre pourrait être prévue le 4 mai, "le jour où ils valideront ou non ce bouclier".
Pour rappel, il avait déjà organisé une manifestation fin janvier dernier. "On l'a fait parce que c'était prévu à Paris et nous lui avons emboîté le pas, explique Christophe Ponseel. Au niveau de la distance et du temps, c'était compliqué. On a une sous-préfecture à Saint-Omer et je me suis dit qu'on allait le faire ici".
La spécificité de la manifestation de ce jeudi 6 avril, c'est qu'elle sera associée à celle contre la réforme des retraites.