Depuis la publication d'une vidéo sur le groupe Facebook de la ville de Denain appelant les habitants de la commune à signaler les installations illicites de gens du voyage, associations et élus dénoncent une "incitation à la haine « antitsigane »". Une plainte a été déposée par l'association Da So Vas.
Visiblement, les propos d'Anne-Lise Dufour-Tonini, maire PS de Denain (59), ne passent pas. Quatre jours après sa prise de parole sur la page Facebook de la commune au sujet des gens du voyage, l'association Da So Vas a décidé de porter plainte et "demande à Olivier Faure, Secrétaire Général du Parti Socialiste de condamner les propos incriminés."
La raison ? "Les propos de Madame Dufour sont gravement offensants, ils constituent un acte discriminatoire et font porter la suspicion sur l'ensemble d'un groupe de citoyens en raison de son appartenance supposée", a fait savoir l'association par voie de communiqué.
Prise de parole d'Anne-Lise Dufour-Tonini :
Créée par des femmes appartenant à la communauté des gens du voyage, Da So Vas ("donner la main" en romanes) essaye depuis deux ans d'améliorer les conditions de vie de cette dernière, en luttant "contre toutes les formes de discrimination" dirigée à leur égard relate Sue-Ellen Demestre, porte-parole de l'association.
Par sa prise de parole, Sue-Ellen Demestre ne veut pas envenimer les choses, au contraire. "Nous voulons que Madame la Maire retire ses propos. Les gens et les enfants se sentent menacés. Nous attendons juste des excuses et la paix." Anne-Lise Dufour-Tonini avait notamment invité les habitants de sa commune à signaler les installations de gens du voyage.
Pour notre dignité pic.twitter.com/bt9RygGgmL
— collectif des femmes da so vas (@collectifdesf) October 25, 2024
"Ils ont l'impression d'avoir une cible dans le dos"
Originaire de la région lilloise, Sue-Ellen Demestre s'est rendue à Denain pour aller à la rencontre des gens du voyage. "Ils n'ont jamais eu de problème, certains sont là depuis plus de 60 ans, il y a des personnes âgées, leurs morts y sont enterrés, leurs enfants scolarisés", raconte-t-elle. La porte-parole peine donc à comprendre pourquoi Anne-Lise Dufour-Tonini "demande aux citoyens d'agir contre des gens que les Denaisiens côtoient tous les jours."
Si les gens du voyage se sont tournés vers l'association Da So Vas, c'est "parce qu'ils n'ont pas d'association militante, ils ne peuvent pas se défendre comme ils le souhaitent. C'est pour cela que nous avons saisi la défenseuse des droits et que nous avons porté plainte avec eux."
Elle demande aux français de se soulever contre d'autres français
Sue-Ellen DemestrePorte parole de l'association Da So Vas
De ce qu'elle retient de sa rencontre avec ces derniers, c'est un sentiment de "peur". "Ils ont l'impression d'avoir une cible dans le dos. Le message que fait passer Madame la Maire est un appel à la haine, elle demande à des Français de se soulever contre d'autres Français" fustige-t-elle.
Si elle admet que leur mode de vie est différent des autres, elle dénonce que cette prise de parole "stigmatise les gens du voyage, qu'ils seraient tous sales, qu'ils dégradent tout." Désormais, avec l'association, elle attend des excuses de l'édile. Bien que Sue-Ellen Demestre convienne que les installations illicites sont un problème, le communiqué de l'association vise surtout à dénoncer les propos de la maire.
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"On en a tous marre"
Bryan et Nico, sont membres de la communauté des gens du voyage de Denain. Sous le coup d'une expulsion avec leurs proches, les propos de la maire les ont blessés.
"Nous, on avait une propriété, on était sur un terrain tranquille. Et là, elle nous a jetés dehors, comment ça se fait ?", peine à comprendre Nico. Interrogé sur la possibilité pour lui et ses proches de rejoindre l'aire aménagée par la commune, il répond : "il n'y a pas de place. C'est plein de caravanes." Ce constat, Sue-Ellen Demestre le fait aussi. "Il n'y a que douze emplacements, il n'y en a pas assez."
"On se sent persécuté" poursuit Bryan "Elle attire la haine. Avant, il n'y avait pas de problème dans Denain, on n'entendait jamais parler des gitans. Je ne sais pas ce qu'elle s'est mis en tête, mais ça fait pratiquement un an qu'on entend parler que de nous" s'agace-t-il.
Jean-Pierre Crasnault, adjoint au maire de Denain, fait tout de même état de nombreuses dégradations dans la commune, qui représentent un budget non négligeable pour la mairie. "Le coût pour la ville est de 600 000 euros par an, de réparation et de nettoyage. Au stade Bayard, ils sont arrivés, ils arrachent les grilles et bougent les rochers, tout cela a un coût pour la collectivité. On fait nettoyer les endroits où ils sont passés. Nous, on remplace systématiquement, à la fin, vous arrivez à une enveloppe d'environ 600 000 euros."
Sur un des terrains occupés par des gens du voyage, il raconte que des "nuisances" rendaient le quotidien "invivable" pour les riverains. "Non-constructible" selon lui, ce terrain était jonché de dalles de béton qui recouvraient des "toilettes à l'air libre".
Face aux critiques sur l'insalubrité, Bryan explique avoir demandé des toilettes de chantier et des bennes, mais "ça a été refusé." Concernant les installations illégales, il ajoute : "on n'a pas le choix de casser, il existe des aires, mais on ne peut pas y aller. On ne va pas se mettre au milieu de la route. Nous aussi, on en a marre des dégradations. On veut un terrain et être tranquille. Après les gens nous prennent pour des casseurs. On a un savoir-vivre, on est éduqués correctement."
Si la situation ne s'apaise pas, la communauté des gens du voyage de Denain menace de bloquer la mairie.