"Plusieurs centaines de femmes ont été tondues" : l'épuration, la face sombre de la Libération dans le Nord-Pas-de-Calais

Il y a 80 ans, le Nord et le Pas-de-Calais étaient libérés. Dès le départ de l'occupant, des actes de vengeance se sont violemment dirigés contre ceux qu'on accusait d'avoir collaboré avec les Allemands. Les femmes tondues, en public, ont particulièrement marqué la mémoire collective.

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Exhibées en pleine rue, sous les huées de la foule. C'est le sort subi par de nombreuses femmes à la Libération. L'historien, Yves Le Maner explique : "La violence s'est tournée contre les femmes que l’on a vues avec des Allemands ou qui ont vécu avec des Allemands. Plusieurs centaines ont été tondues dans les villes et villages du Nord-Pas-de-Calais.

Il poursuit : "Il y a eu des cérémonies expiatoires assez peu dignes. Dans les villages, cela ressemble à une kermesse, à un carnaval. En revanche dans les villes, c’est souvent très violent. Et on dispose de photographies qui montrent cet épisode très douloureux, très difficile, de la libération."

Épuration sauvage, spontanée ou extra-légale


Aux Archives départementales du Nord sont conservés des milliers de dossiers, documents, témoignages de cette période trouble de notre Histoire. Parmi eux, des lettres adressées par des mères de famille de Loos (Nord) aux autorités françaises nouvellement restaurées : "Plusieurs jeunes filles ont eu leurs cheveux coupés parce qu’elles se sont amusées ou qu’elles ont eu un ami de l’armée allemande." Ou encore : "des FFI continuent de couper des cheveux, même par vengeance personnelle".

Une épuration que les historiens appellent sauvage, spontanée ou extra-légale puisque menée en dehors des juridictions.

Pour le maître de conférences en Histoire, Philippe Roger, l'épuration commence tôt, dès 1941. "Ce sont d’abord des cas relativement isolés puis vous avez une montée en puissance, une accélération progressive. Jusqu’au début de 1944 c’est encore relativement réduit" explique-t-il. Pour lui, l'essentiel de l'épuration dite spontanée ou extra-légale se produit "entre juin et les premiers jours de septembre 1944. La période la plus dure c'est l’été 44."

Il commente : "Dans un premier temps, avant la libération, il faut éliminer des éléments qui pourraient être dangereux pour la résistance. Souvent des femmes soupçonnées d'être des indicatrices". Puis : "Vous avez aussi une épuration qui va porter sur les forces de police, qui sont évidemment assez largement engagées dans la répression. De ce fait, vous avez un nombre relativement élevé de ces victimes de l’épuration spontanée qui sont des policiers, gendarmes et quelques autres statuts comme des gardes mines, ou des gardes-chasses..."

Epuration légale 

Pour Hervé Passot, responsable des fonds aux Archives du département du Nord, "si le droit avait été appliqué, il n’aurait pas dû y avoir d’épuration sauvage puisque les textes réglementaires existaient pour qu’il y ait une épuration juridique, purement fondée". Il poursuit : "il y a eu une épuration sauvage et après une épuration plus cadrée avec des institutions propres. Dans le département du Nord, il y avait trois cours de justice qui ont œuvré à partir de fin 44 jusque fin 1948 voir 1949 pour certains procès".

Sur les étagères et dans les rayonnages, des milliers de documents. "On va retrouver des parcours individuels, de personnes qui témoignent à charge ou à décharge, des personnes qui dénoncent également, des personnes qui, jugées, sont traduites devant les institutions. Certains dossiers donnent vie et contiennent de la vie de ce qui s’est passé durant cette période délicate de notre histoire." précise l'archiviste. 

Léa Galasse est étudiante en Master 2 d'Histoire. Elle vit avec certaines de ces histoires en tête depuis de longs mois. Ces vies qui ont basculé pendant la guerre. Mauvais choix, mauvaises rencontres. Pour son mémoire, elle s'est plongée dans plus de 200 dossiers judiciaires de femmes jugées pour collaboration dans le Nord. Elle raconte : "On a un tas de profils différents. On a des femmes qui sont engagées parce qu'elles avaient des convictions politiques. Il y en a qui l'ont fait par contrainte, parce qu'elles ont été embrigadées ou à cause de nécessités économiques. C'est cette diversité de profils que j'ai trouvé très intéressante". 

"Il y a celles qui sont tondues, qui sont interrogées, qui se font battre, ça arrive aussi. Il a des violences et bien évidemment il y a après les procès de l'épuration dite légale".

Dès le début 1944, les autorités françaises à Alger préparent l'épuration légale. "Les ordonnances les plus importantes à retenir sont celles de juin et d'août 44" précise la jeune femme. "C'est à partir de là que l'on va vraiment ébaucher une justice de l'épuration. Une justice légale pour l'épuration".

Elle sort des documents d'une enveloppe. Ce sont des pièces à conviction de l'époque. Elles appartenaient à des femmes danseuses à Paris mais qui ont été jugées dans le Nord. On y trouve "des brassards du RNP, du comité d'action anti-bolchévique. On a des affiches de propagande. D'un côté des dignitaires allemands, de l'autre de la propagande antisémite bien violente. Un poster d'Adolf Hitler" mentionne l'étudiante.

Sur les 200 dossiers qu'elle a étudiés, elle note qu'il y a "beaucoup de jeunes femmes, célibataires sans enfant. Majoritairement, des femmes qui ont 15 à 24 ans. Il y a énormément de collaboration sentimentale, des femmes qui se sont liées d'amour ou d'amitié avec des Allemands. Pour ce qui est de la collaboration politique, ça dépend un peu. Dans les grandes villes comme Lille, il y a beaucoup de personnes qui ont dénoncé surtout pour des questions de conflits d'intérêts avec le voisinage. Dans les plus petites villes aux alentours de Valenciennes par exemple, on va avoir de la collaboration politique beaucoup plus concrète. Des personnes qui adhèrent à des organismes de collaboration comme le RNP, le parti franciste".

Épuration économique

Le maître de conférences en Histoire, Philippe Roger, précise aussi que ce n'est pas une épuration de classe sociale : "dans le Pas-de-Calais", il y a peu d’individus qui appartiennent au patronat, aux catégories les plus aisées. 

C’est une épuration qui va porter sur des gens qui se sont trop engagés auprès des Allemands.

Philippe Roger, maître de Conférence en Histoire

"En matière économique, vous allez avoir une épuration qui va porter sur des catégories bien précises comme les porions et quelques ingénieurs des mines. Ils se trouvaient dans une situation difficile. Les mines, c’était un élément essentiel pour les Allemands qui avaient besoin d’énergie, de charbon. Ils ont été poussés à demander davantage aux mineurs, qui, de leur côté, ne voulaient pas. Pour différentes raisons. Et d‘abord des raisons patriotiques, c'était produire du charbon pour les Allemands et l’occupant. Donc, à la libération, ça va mal se passer pour quelques porions, quelques ingénieurs. Mais ce n’est pas un phénomène de masse."

Calmer la situation

Pour Philippe Roger, maître de conférences à l'Université, "le projet du général de Gaulle, en le simplifiant, c’était de condamner quelques coupables et de permettre aux autres de réintégrer la communauté nationale pour partir dans la bataille qui s’annonçait très difficile de la reconstruction".

D'ailleurs, le professeur raconte : "Très vite, à la Libération, on a arrêté beaucoup de monde de manière préventive, on va les emprisonner, on va les mettre à l’écart, pendant des périodes plus ou moins longues, ce qui va permettre de faire retomber la tension. On va les libérer parfois au bout de quelques jours."

Il poursuit : "Les dossiers ne sont pas toujours extrêmement fournis, compte tenu de la nécessité de travailler vite. Mais les dossiers sont sérieux et les peines sévères. La justice de l’épuration n’est pas une justice laxiste, le travail est fait, bien fait, sévèrement avec aussi la volonté de ne pas dévier vers le bain de sang. Il y a beaucoup de condamnations à mort mais une bonne partie par contumace. Ce qui signifie que si vous mettez la main dessus, vous allez les rejuger. Je crois que pour le Pas-de-Calais, sur les condamnations à mort prononcées, il n’y en a que 5 d’exécutées".

Les condamnations

Léa Galasse pense que la majorité des procès de l'épuration ont été plutôt équitables. "Dans les chambres civiques, on va avoir de la dégradation nationale, des peines qui consistent à la privation des droits de vote et des droits électoraux, l'interdiction du port d'arme ou d'accès à la fonction publique et à certains métiers comme journalistes ou chefs d'entreprise."

Elle raconte, concernant les femmes jugées : "Certaines sont interdites de résidence dans certaines communes, dans certains départements voire dans toute la région. Il y en a qui voient aussi leurs biens qui sont confisqués". 

Une épuration jugée "ratée" par les Français ?

Les Français vont garder le sentiment d'une épuration ratée. Ce à quoi Philippe Roger répond : "Tout ce qui est collaboration économique, c'est terriblement difficile à prouver, c'est long et souvent les verdicts ne sont pas connus. Donc les Français vont être persuadés qu’il n’y a pas eu d’épuration économique. Ce qui n’est pas vrai, elle n’a juste pas été évidente".

Et puis, pour lui, elle a pu sembler ratée aux Français "parce que les résultats n’ont pas été spectaculaires. Les habitants de la région étaient sensibles aux questions comme le marché noir, les enrichissements illicites. Or, ils étaient moins faciles à punir que la collaboration politique ou militaire".

Dans le Nord et le Pas-de-Calais, près 7000 personnes ont été arrêtées pour collaboration. 4000 écoperont de peines de prison, souvent courtes. 43 seront condamnées à mort et exécutées.

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