Dans le Nord comme dans le Pas-de-Calais, les associations constatent une hausse marquée du nombre de bénéficiaires de l'aide alimentaire. Avec la hausse des prix à la consommation, de l'essence ou de l'énergie, des milliers de personnes ont basculé dans la précarité en 2022.
Des chiffres alarmants et des associations sur le pied de guerre. Le 27 février, la Banque Alimentaire a dévoilé une nouvelle étude sur les bénéficiaires de l'aide alimentaire. "A la fin de l’année 2022, le réseau constatait une hausse de 9% de la demande d’aide alimentaire. En moins de deux ans, 400 000 nouvelles personnes se sont présentées dans les associations partenaires" constate la Banque Alimentaire.
Travailleurs pauvres et retraités, ces "nouveaux profils"
L'étude constate aussi l'émergence de "nouveaux profils" parmi ces personnes en demande. 17% des personnes accueillies sont désormais des travailleurs pauvres, qui ne parviennent pas à boucler les fins de mois malgré un emploi. 40% d'entre eux sont même des personnes travaillant à temps plein.
Autre nouveau public : les retraités, qui représentent désormais 17% des personnes accueillies. Un chiffre qui tombe mal pour le gouvernement, dont la nouvelle réforme des retraites est accusée de précariser encore davantage les anciens travailleurs.
Au total, 94% des personnes bénéficiaires de l'aide alimentaires interrogées pour ce sondage vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Surtout, deux-tiers d'entre elles estiment qu'elles "ne peuvent plus se passer" d'une aide alimentaire, un critère en hausse de 15 points par rapport à 2020.
D'autres ont recours à l'aide alimentaire pour parvenir à un équilibre nutritionnel : les viandes, mais aussi les fruits et les légumes sont devenus un luxe pour certains budgets.
En 2021, la DREES, un organisme gouvernemental, constatait déjà un sursaut de la fréquentation de l'aide alimentaire. La région Hauts-de-France, elle, enregistrait une hausse qualifiée de "modérée" par 40% des centres de distribution.
Dans le Pas-de-Calais, "c'est de pire en pire"
Depuis, la situation s'est encore aggravée d'après Micheline Tumerelle, présidente de la Banque Alimentaire du Pas-de-Calais, qui coordonne le travail de 118 associations partenaires.
"C'est de pire en pire. Les gens n'ont tout simplement plus les moyens de s'acheter à manger. Cela devient critique pour les étudiants, les retraités de notre région... Avec l'inflation, la hausse de l'électricité et du gaz, la tendance s'est amplifiée" constate-t-elle.
La Banque Alimentaire du Pas-de-Calais essaie de redistribuer 15 kilos de nourriture par mois et par personne via son réseau de partenaires, dont font partie la Croix Rouge ou Emmaüs. En quatre ans, la quantité de nourriture distribuée est passée de 3500 tonnes à 5800 tonnes. Une augmentation de 65%.
Le constat est le même pour Jacques Devaux, président de la section du Nord. "On est un département assez peuplé, pas forcément très riche non plus. Il n'y avait pas de raison qu'on s'en sorte mieux qu'ailleurs..."
De l'épicerie solidaire à l'aide alimentaire
Il a surtout constaté un glissement des publics avec comme point de pivot les épiceries solidaires. Dans ces commerces, qui font également partie du réseau partenaire de la Banque Alimentaire, les denrées sont vendues à 15% de la valeur commerciale.
"Le public qui s'y présente sont les gens qui naviguent sur la limite. Ils ne sont pas encore en grande précarité, mais ils peinent à joindre les deux bouts. Avec l'inflation, ces personnes-là ont basculé et elles doivent maintenant recourir à l'aide alimentaire. Et les personnes qui jusque-là allaient faire leurs courses chez des discounters comme Aldi ou Lidl, elles n'y arrivent plus et elles se sont tournées vers les épiceries solidaires" décrypte Jacques Devaux.
Cette double augmentation se ressent dans les chiffres. En 2021, dans le Nord, 83 000 personnes se sont présentées dans les associations partenaires de la Banque Alimentaire. En 2022, ce chiffre est monté à 93 000 personnes, soit une augmentation de 12%.
"L'augmentation est significative. La première année de la pandémie de Covid, on avait constaté une augmentation similaire mais depuis presque deux ans, nous étions relativement stables."
"On court le risque d'être débordés"
Les Banques ont également de plus en plus de mal à assurer l'équilibre nutritionnel de ses bénéficiaires. "Depuis deux mois, on reçoit beaucoup moins de légumes, beaucoup moins de fruits de la part des grandes surfaces. On prospecte, on prospecte, pour essayer d'avoir le plus de marchandises possibles mais on se rend compte que l'agroalimentaire freine. Eux aussi, ils accusent l'impact de l'inflation."
La présidente d'association espère que l'Etat fasse un geste pour soutenir les associations face au flux de nouveaux bénéficiaires. "En plus, nous aidons aussi les familles ukrainiennes qui sont arrivées dans le Pas-de-Calais. On court le risque d'être débordés", avertit Micheline Tumerelle.
Le 27 février, depuis le Salon de l'Agriculture, le président du département du Nord, Christian Poiret, a annoncé la création en septembre d'un "panier anti-inflation" composé de produits locaux et qui devraient bénéficier aux "Nordistes en difficulté".
Les critères d'attribution de cette aide, dotée à hauteur d'un million d'euros, n'ont pas encore été communiqués. Il est donc impossible à ce stade de savoir combien de personnes en bénéficieront. Si les 93 000 bénéficiaires de la Banque Alimentaire du Nord y étaient éligibles, cette mesure équivaudrait à un budget de 10 euros par personne.