Edwige Cyffers et Clémence Prévost sont respectivement doctorante et postdoctorante au laboratoire CRIStAL de Lille. Trois questions sur leurs travaux, leur évolution personnelle et la place des femmes dans la recherche.
Âgées de 26 ans, elles travaillent au laboratoire CRIStAL de Villeneuve d'Ascq, centre de recherche en informatique, signal et automatique de Lille, qui regroupe 490 membres dont la moitié de permanents (environ 155 Enseignants-Chercheurs ; 50 chercheurs CNRS et Inria ; 35 personnels d’appui à la recherche). L’autre moitié est constituée pour partie des 150 doctorants que forme l’unité.
Elles figurent dans la liste des 35 chercheuses françaises qui se sont vues décerner ce 11 octobre, le prix Jeunes Talents Pour les Femmes et la Science France 2023. Accompagné d'une somme de 15 000 euros pour les doctorantes et 20 000 euros pour les postdoctorantes, ce prix va leur permettre de poursuivre et développer leurs recherches.
La fondation L’Oréal, en partenariat avec l’Académie des sciences et la Commission nationale française pour l’Unesco décerne ce prix alors qu'aujourd’hui en France, les femmes seraient trop peu présentes dans la recherche scientifique : elles ne représenteraient que 29% des chercheurs, contre 33,3% au niveau mondial.
>> Clémence Prévost est encouragée par la confiance de ses encadrants lors d’un stage après ses études d’ingénieur, de mener une thèse sur l’amélioration des images satellites. Aujourd’hui, en postdoctorat, elle se spécialise sur les images médicales comme les IRM pour améliorer la prise en charge des patients.
>> Edwige Cyffers s’est, elle, spécialisée en Intelligence Artificielle. Son but est de faire du respect de la vie privée le mode par défaut de l'intelligence artificielle et plus particulièrement dans le monde médical.
Voici les interviews qu'elles ont données à la fondation L'Oréal.
Quels sont les enjeux à court et à long termes de vos recherches et leurs applications ?
Clémence Prévost : "Qu’elles viennent de satellites ou d’appareils médicaux comme les IRM, de très nombreuses images ont besoin d’être retraitées grâce à des modèles mathématiques pour être mieux utilisées. Dans le cas des IRM, qui dure de 15 minutes à une heure, le patient est censé être immobile, ce qui est impossible car même le mouvement dû à la respiration peut altérer les images. En fusionnant plusieurs IRM de mauvaise qualité, je réduis le temps d’acquisition nécessaire à quelques minutes. De quoi améliorer la lecture des images par les médecins... et le confort des patients ! À plus long terme, une application pourrait être dans le monde de l'art, la restauration des tableaux anciens."
Edwige Cyffers : "Les dangers pour les données personnelles sont déjà visibles dans de multiples applications : usurpations d’identité, arnaque, manipulations de vote... mais l’intelligence artificielle multiplie les données disponibles et les possibilités des attaquants. Les applications médicales sont particulièrement sensibles : il faut retranscrire le secret médical dans le monde de l’intelligence artificielle".
Pourquoi avez-vous choisi une carrière scientifique ?
Clémence Prévost : "Depuis l’enfance, j’étais passionnée par la science. Cependant, pendant mes études, j’ai aussi dû surmonter un manque de confiance en moi. J’ai même failli abandonner juste avant la thèse ! Le soutien de mon entourage professionnel a alors été crucial. C’est sûrement la raison pour laquelle je suis aujourd’hui très engagée dans la transmission".
Edwige Cyffers : "Ce n’est pas un choix résultant d’une vocation ou d’un moment précis. Les mathématiques et l’informatique m’apportent une satisfaction intellectuelle et j’ai suivi cette volonté de comprendre dans mon parcours. J’essaie également de travailler sur des sujets éthiquement valides".
Que peuvent apporter les femmes dans la science ?
Clémence Prévost : "En sciences, et en particulier en sciences du numérique, les femmes sont souvent faiblement représentées, ce qui nourrit une tendance à l’autocensure. Dans certains cas, les remarques sexistes et le harcèlement mettent fortement en péril la santé des femmes au travail. Avec une meilleure représentation, nous obtiendrons de meilleures conditions de travail nous permettant de nous accomplir pleinement".
Dans votre parcours, avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme ?
Edwige Cyffers : "J’ai rencontré les difficultés que rencontrent toutes les femmes en recherche, et plus spécialement en informatique en France, en étant bien plus épargnée que d’autres. J’ai subi des agressions sexuelles, été confrontée à de nombreux propos sexistes, mes idées ont été parfois totalement ignorées jusqu’à leur reprise par des hommes. Enfin, il faut construire son parcours avec peu de représentation féminine et lutter contre la pression de devoir représenter toutes les femmes."