Lundi 24 janvier 2022, Karima Delli a été réélue présidente de la commission transports et tourisme au Parlement européen. La Tourquennoise de 42 ans, peu connue en France, est vantée par ses pairs à Bruxelles pour son expertise.
La scène a de quoi faire sourire. Nous sommes lundi 24 janvier, en début d’après-midi. Au Parlement européen, la commission TRAN - transports et tourisme - est réunie pour désigner son nouveau ou sa nouvelle présidente.
Élue à la tête de cette commission en janvier 2017, Karima Delli, députée européenne membre du groupe écologiste, s’est déclarée candidate à sa succession. Faute d’autres volontaires, la Tourquennoise de 42 ans s’adresse alors aux autres membres de la commission (partir de 13:56:40 dans la vidéo ci-dessous) : "je vais demander aux députés de… c’est pas moi qui fait le règlement, c’est vous… (Elle sourit). D’applaudir votre future présidente et aux députés connectés à distance d’appuyer sur le bouton lever la main en signe d’acclamation".
Rictus, un peu gênée, Karima Delli est applaudie par ses pairs et rempile donc à la tête de la dite-commission pour les deux années à venir. Soit jusqu’aux prochaines élections européennes, prévues au printemps 2024. "C’est vrai que ce moment était un peu bizarre, avoue la principale intéressée. J’étais surtout émue parce que je suis la première femme à présider cette commission et qu’à ma connaissance, il n’y a jamais eu de présidence de la même commission aussi longtemps. Je suis très fière honorée de la confiance".
"En France, elle est quasi inconnue. À Bruxelles, c’est une vraie experte"
Considérée comme une experte à Bruxelles, elle souffre pourtant d’un déficit de notoriété dans notre pays. "En France, elle est quasi inconnue, résume Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille et politologue. Idem dans les Hauts-de-France où elle pâtit d’un manque de notoriété, en témoigne son score aux dernières élections régionales". En juin dernier, elle conduisait une liste d’union de la gauche dans la région et avait récolté 22% des suffrages au deuxième tour, la plaçant en troisième position derrière la droite et l’extrême-droite. "Pourtant à Bruxelles, elle est considérée comme une vraie experte".
La question de la maintenir à cette présidence s’est imposée, ce qui veut dire qu’elle est considérée par ses pairs pour son travail.
Pierre MathiotPolitologue et directeur de Sciences Po Lille
Pierre Mathiot se souvient d’elle il y a 20 ans, lorsqu’il était son professeur. "Il est vrai qu’à cette époque, elle ne connaissait pas grand-chose à la question des transports. Mais elle a eu l’intelligence de se spécialiser et d’en faire sa marque de fabrique à Bruxelles. La question de la maintenir à cette présidence s’est imposée, ce qui veut dire qu’elle est considérée par ses pairs pour son travail".
Ce que confirme Dominique Riquet, également membre de la commission Transports. Ce député européen, appartenant au groupe Renew Europe rassemblant les élus de La République en Marche et les Libéraux, décrit une présidente "au travail". Bien que ne partageant pas les mêmes idées politiques, il la considère "très conviviale", mais aussi "très verte". Avant de conclure : "elle porte ses idées politiques et c’est normal".
La reine du compromis
Au fil des années, Karima Delli s’est forgée une place de premier plan dans les institutions européennes. Élue députée pour la première fois en 2009 après le score historique d'EELV, elle a par la suite été réélue en 2014 et en 2019. Parmi ses faits d’armes, l'adoption d'une résolution visant à instaurer un "revenu minimum" dans l'Union Européenne, la mise en place d'une commission d’enquête en septembre 2015 sur les fraudes aux tests anti-pollution suite au Dieselgate, le long combat pour le retour des trains de nuit ou la demande d'instauration de l'état d'urgence climatique.
Des engagements qu’elle a mis sur le devant de la scène européenne grâce à une technique politique : le compromis. "Elle s’est forgée une réputation technique sur la question des transports et arrive à fabriquer des compromis, détaille Pierre Mathiot. Les écolos sont minoritaires au Parlement, y compris dans sa commission. Elle arrive cependant à faire voter des textes avec d’autres partis politiques".
Être réélue est une vraie marque de confiance mais aussi une vraie reconnaissance de mon expertise et de ma volonté d’avoir cette capacité à gérer des dossiers techniques.
Karima DelliPrésidente de la commission TRAN au Parlement européen
Il poursuit. "Les transports occupent une place centrale dans une perspective de transition écologique. D’autant plus qu’il faut être en mesure de faire voter des textes au Parlement européen alors que le verdissement des transports est un sujet extrêmement clivant selon les différentes familles politiques. Pourtant, elle y arrive". Une analyse partagée par Karima Delli. "Être réélue est une vraie marque de confiance mais aussi une vraie reconnaissance de mon expertise et de ma volonté d’avoir cette capacité à gérer des dossiers techniques".
Des sujets "qui touchent directement à la vie des gens"
Après cinq années à la tête de la commission transports et tourisme, le travail qui s’annonce est colossal. Notamment suite à l’adoption du Pacte Vert pour l’Europe. En 2021, la Commission européenne a proposé un plan intitulé "Fit for 55", engageant l’Union européenne dans la voie d’une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
Parmi tous les secteurs concernés dans les efforts à fournir, celui des transports occupe une place de premier plan comme l’a rappelé Karima Delli lors de sa réélection. "Il est en effet responsable de près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre en Europe et est le seul secteur à avoir vu ses émissions de gaz à effet de serre augmenter depuis 1990, à hauteur de 33%".
Ayant conscience que le rôle de la commission transport est "déterminant", elle a listé les grands sujets sur la table pour les deux prochaines années. "Un des gros problèmes est le transport routier puisqu’il représente 70 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur transport. Nous allons aborder la question de la sortie des véhicules thermiques, la question des nouvelles infrastructures, la question de la relance du FRET ferroviaire, la relance du train du quotidien et la relance des trains de nuit en Europe, sans oublier la question du maritime avec l’électrification des ports par exemple".
Des sujets "qui touchent directement à la vie des gens" analyse le député Riquet. "Il est impératif de prendre des décisions contraignantes et ambitieuses, puis de les mettre en œuvre sans attendre", a d’ailleurs ajouté Karima Delli à l’aube de ce nouveau mandat de présidente, rappelant toutefois que "personne ne sera au bord du chemin". Une formule permettant ainsi de concilier ses deux combats à l'échelle européenne : justice climatique et justice sociale.