L'arrivée de l'hiver fait craindre le pire aux plus modestes, acculés par l'inflation des prix de l'énergie. Baisse ou arrêt du chauffage, les sacrifices sont parfois lourds pour éviter les factures impayées. Reportage à Hautmont, dans le Nord, où se cumulent pauvreté et habitat mal isolé.
Ce mercredi matin, la commune d'Hautmont, dans le Nord, est recouverte d'un épais brouillard. Le thermomètre affiche 6° degrés, le soleil est aux abonnés absents. André Tellier, habillé d'un tricot en laine fait maison, sort de son garage avec quelques bûches de bois sous le bras. "C'est pour mettre dans ma cuisinière", dit-il, une Gauloise au bout des lèvres. Cet hiver, avec sa femme, ils ont décidé de troquer le chauffage au gaz par le chauffage au bois. Malgré eux.
"Venez, on va rentrer au chaud, propose André, 64 ans. Enfin, au froid devrais-je dire." Dans le salon de cet ancien commerçant indépendant à la retraite, où le mercure indique 15,2°c, une odeur âcre de fumée flotte dans l'air. Elle provient de cette cuisinière Sougland, récupérée dans le grenier d'un proche et installée près du poste de télévision. "Quand je l'ai trouvée, elle était entourée de papiers journaux datés de 1949, raconte André. Vous verriez comme elle fumait au début, mémère." Qui eût cru qu'elle serve encore à chauffer une maison au 21e siècle ?
Du bois plutôt que le gaz
Le couple se serait bien passé de rallumer ce vieux fourneau. "Mais au vu de la conjoncture, ça a été vite décidé", lâche André. L'inflation et la guerre en Ukraine ont fait bondir les prix de l'énergie de près de 20% sur un an, d'après les chiffres d'octobre 2022. "On n'a pas eu le choix, ajoute Françoise. Il y a dix ans, on n'aurait jamais pensé devoir faire ça."
"On vit avec ce qu'on a, même si ce n'est pas évident."
André Tellier, retraité à Hautmont
Pour contenir l'explosion des prix, le gouvernement a bien annoncé le prolongement en 2023 du bouclier tarifaire limitant la hausse des factures de gaz et d'électricité à 15 %. Il a également prévu de renvoyer un chèque énergie aux ménages les plus modestes, allant de 100€ à 200€, après celui adressé il y a quelques mois. Et pourtant, cela n'empêche pas André et Françoise de couper dans leurs dépenses.
A eux deux, ces retraités perçoivent une pension de 1 700 euros par mois. André a fait ses comptes ; en chauffant au bois - à hauteur d'un stère de bois à 50 euros tous les 20 jours - il espère réaliser plus de 100 euros d'économies mensuelles. "L'hiver dernier, on payait environ 200 euros de gaz par mois", compare-t-il.
Sa cuisinière, qui sert aussi de plaque de cuisson par la même occasion, André l'allume "entre 14h et 22-23h". Elle ne chauffe que les pièces du bas. A l'étage, les chambres, elles, restent à température ambiante, à savoir entre 10 et 12 degrés. "La dernière fois, une amie est venue à la maison, elle est montée dans les chambres et pour rigoler elle m'a dit : "André, je ne coucherai pas avec toi, j'aurais trop froid !".
Face à cette précarité, le couple de Hautmontois n'est pas du genre à se plaindre. "On vit avec ce qu'on a, même si ce n'est pas évident." Pas question de sortir crier sa colère dans la rue ou d'enfiler un gilet jaune. "C'est comme ça, on ne peut pas râler pour tout", lance Françoise. Comme un sentiment de résignation. Ou simplement de contentement ?
Travailleurs, les nouveaux précaires
Hautmont, 15 000 habitants, et plus largement la région de la Sambre-Avesnois, cumulent les facteurs de précarité énergétique : la pauvreté et l'habitat vétuste/mal isolé. L'un se nourrit de l'autre, pour au bout de compte, faire enfler la facture.
Un indicateur permet de mesurer l'ampleur de cette précarité énergétique sur le territoire : le fonds de solidarité pour le logement (FSL). Cette aide financière est accordée aux personnes qui rencontrent des difficultés pour payer les dépenses liées à leur logement.
L'association Soliha, elle, accompagne les personnes éligibles dans les démarches administratives. "Depuis le Covid, nous montons de plus en plus de dossiers fonds de solidarité pour le logement (FSL) pour le règlement des fluides", explique Aurélie Chopin, responsable de la zone Sambre-Avesnois. Ce sont des personnes qui ont perdu leur emploi ou qui on une baisse de revenus. Parmi elles, certaines nous disent qu'ils n'allumeront pas le chauffage cet hiver."
L'association compte une vingtaine de membres, dont une majorité de travailleurs sociaux, chargés de suivre et aider les foyers les plus défavorisés. Et depuis quelque temps, ils constatent qu'un nouveau public tire la langue financièrement. "Maintenant, nous retrouvons des personnes qui travaillent, mais aussi des personnes âgées", assure Aurélie Chopin.
La crainte de l'impayé
Louisa discute au pied de sa porte avec une amie, à Hautmont. Quand on évoque l'inflation, elle s'emporte. "On attend de voir ce qui va nous tomber dessus, lance cette assistante maternelle de 50 ans, au revenu de 1 350 euros net par mois. Si je ne peux pas payer mes factures, je ne peux plus travailler, moi." Ne pouvant se passer de chauffage pour accueillir les trois enfants qu'elle garde, Louisa craint l'impayé et la coupure de son fournisseur d'énergie.
Plusieurs associations proposent d'accompagner les ménages pour éviter d'en arriver là. "On a un rôle de médiateur pour négocier avec les fournisseurs, explique Samuel Prieur, délégué départemental du Nord au Secours Catholique. Mais c'est parfois compliqué avec certains d'entre eux."
Plusieurs aides existent bel et bien - de la part du Département, du CCAS, de la CAF ou encore des caisses de retraite - mais parfois restent "méconnues", comme l'avoue Aurélie Chopin.
A l'approche de l'hiver, cette menace de l'impayé plane ainsi sur les ménages les plus précaires. "On en verra le résultat dans quelques mois, selon la responsable de Soliha. Lors des régularisations de factures."
C'est justement ce qui attend Louisa au mois de mai prochain. "J'ai peur, dit-elle. Je me demande même si je ne dois pas commencer à mettre de l'argent de côté dans une tirelire."