L'enseigne textile Camaïeu, spécialisée dans la mode féminine, a été placée en redressement judiciaire ce mardi par le tribunal de commerce de Lille.
"C'est terrible". Au bout du fil, un syndicaliste abasourdi. Camaïeu (plus particulièrement la société Camaïeu International, et sa holding, la Financière Brame), qui emploie presque 4000 salariés en Europe, dont 450 au siège à Roubaix, a été placée en redressement judiciaire ce mardi. Et personne ne s'y attendait vraiment. "La direction nous a communiqué la décision hier. Nous, on n'a rien senti venir. Ils nous ont dit que leur demande de prêt garanti avait été refusée."« La situation a conduit la direction à solliciter l’obtention d’un prêt garanti par l’État, pour trouver les moyens de surmonter la crise, confirme la direction dans La Voix du Nord. (...) Malgré l’appui de la Région et de l’État et le soutien de ses actionnaires, ce prêt a été refusé, entraînant l’impossibilité pour l’entreprise de faire face à la crise de trésorerie. » Le confinement a provoqué une baisse de 95% du chiffre d'affaires de l'enseigne qui mise surtout sur ses magasins. "La crise sanitaire a obligé le groupe à fermer brutalement plus de 800 magasins dans le monde", a également expliqué une source proche de la direction . "Le manque à gagner est de 162 millions d'euros. (...) C'est donc sous la protection du tribunal que pourront être explorées toutes les pistes, dont celle d'un plan de reprise", a poursuivi cette source.
Plan social déguisé ?
Camaïeu, marque nordiste créée en 1984, va-t-elle disparaître ? L'espoir demeure mais le risque est grand. Les actionnaires et la direction ont souvent changé ces dernières années et l'entreprise qui compte presque 650 magasins en France était en pleine relance. Un autre syndicaliste veut rester optimiste : "On espère quand même que ça va se redresser, que les administrateurs seront en capacité de faire quelques chose. On va rentrer dans une phase compliquée… Camaïeu n’est pas achevé, mais ça ne facilite pas les affaires Un business plan à trois ans était prometteur, en passe de faire évoluer les choses dans le bon sens, mais quand vous avez 0 euro de chiffres d’affaires pendant deux mois, que des bailleurs exigent de payer les loyers, c’est compliqué. Maintenant il faut suivre les procédures légales pour sauver ce qu’il y a à sauver. Il n’y a pas de quoi être abattu, on garde confiance… Il ne faut pas noircir le tableau. Un audit va être réalisé pour voir si l’entreprise est viable et peut poursuivre son activité…"
De son côté, le délégué CGT Thierry Siwik a dénoncé "un plan social déguisé" à l'oeuvre "depuis plusieurs années". "Chaque mois, depuis trois ans, on nous annonce, sous motif d'une baisse d'activité, entre quatre et cinq fermetures de magasins, cela évite de procéder à un plan social", a-t-il argué. "Pour nous, ce placement en redressement judiciaire va servir à restructurer en profondeur l'entreprise et on craint de nombreux licenciements", a-t-il ajouté, affirmant que pour la CGT la crise sanitaire n'était "qu'un prétexte de la direction".
Camaïeu a déjà connu des difficultés économiques importantes. La société Modacin, holding financière propriétaire de Camaïeu, avait été mise sous sauvegarde par le tribunal de commerce de Lille en 2018, mais un accord avait été trouvé avec ses créanciers pour que "l'intégralité" de sa dette financière soit convertie contre "100% du capital et des droits de vote".
"Camaïeu doit être sauvé par l'Etat français"
Comme le veut la procédure de redressement judiciaire, Camaïeu va poursuivre son activité mais être placée "en observation" pendant au moins six mois. Un plan de redressement va devoir être discuté et mis en place. Pour l'instant, aucun plan social n'est annoncé mais il est certain que l'entreprise va devoir réduire ses coûts et/ou trouver un éventuel repreneur, prêt à proposer une stratégie économique nouvelle dans un secteur sinistré. En mars dernier, Camaïeu avait d'ores et déjà annoncé la fermeture de 135 magasins situés à l'étranger. Des magasins vont-ils aussi fermer en France ?
"Camaïeu doit être sauvé par l'Etat français, demande solennellement un syndicaliste. Alors que M.Macron avait dit qu'il fallait sauver toutes les entreprises françaises.On est 4000 salariés. Comment on peut être laissé à l'abandon ? Le gouvernement n'a pas compris la situation de Camaïeu ?"
Pour certains observateurs du secteur du vêtement, la quasi-absence de rentrée d'argent frais, quoique a priori limitée dans le temps, risque d'avoir des conséquences importantes à moyen, voire long terme. La plupart des distributeurs non-alimentaires sortiront de la crise avec des bases financières plus faibles" et certains "pourraient ne pas être en mesure de rétablir leurs niveaux d'avant coronavirus pendant un certain temps, voire jamais", déclarait ainsi Guillaume Léglise, vice-président adjoint de l'agence de notation financière Moody's, dans une note aux investisseurs publiée en avril.
Parmi les autres enseignes de vêtements et chaussures, Naf Naf, La Halle, Orchestra-Prémaman ont également particulièrement souffert de la crise.