Dans une école de l'arrondissement de Roubaix, des parents sont dans le désarroi. Depuis le mois de février, leurs enfants, élèves de CM1, ont passé cinq semaines sur huit, sans maîtresse. D'autres classes dans le Nord sont sans enseignant, c'est système D pour tous.
"L'école ? Un droit pour nos enfants, un devoir pour l'Etat", les parents d'élèves d'une classe de CM1 en "détresse" sont réunis devant l'école du village, ce 9 mai 2022, dépités. Depuis le mois de février, leurs enfants ont eu classe trois semaines seulement et ont passé huit semaines sans enseignante attitrée.
Le dilemme : continuer à aller à l'école ou pas ?
Lucas est parmi le groupe d'élèves concernés dans la petite école de ce village du roubaisien, Sailly-lez-Lannoy. "Si on peut me garder, je fais des cahiers de vacances à la maison. Sinon, je vais à l'école où on est répartis dans des classes avec des fiches de travail à faire." Les enfants le décrivent très bien, ils sont alors placés "au fond", pas totalement livrés à eux-mêmes, mais presque. Le sentiment d'abandon est fort : "ça va être dur en CM2 ", soupire Lucas.
On fait des coloriages et des fiches de travail. Une seule fiche par journée, pas plus. On n'apprend rien.
Nola, élève de CM1 à Sailly-lez-Lannoy
Les parents doivent-ils se substituer aux enseignants ?
Inimaginable question : les parents doivent-ils se substituer aux enseignants non-remplacés ? Non, répondent les professionnels. "Enseignant, c’est un métier qui s’apprend et il faut du temps. C’est trop difficile de devenir enseignant du jour au lendemain", réagit Allain Talleu, secrétaire académique du SNUIPP du Nord, le syndicat des instituteurs et professeurs des écoles.
C'est bien de faire des fiches, des coloriages magiques, etc. Mais est-ce que c'est corrigé ? Je ne crois pas
Une maman
Désemparés, les parents s'interrogent. A Sailly-lez-Lannoy, tout le monde se connaît plus ou moins et les adultes ont créé un groupe WhatsApp pour échanger sur leurs difficultés. Garder son enfant à la maison, il faut le pouvoir (selon son travail et son emploi du temps) et tout le monde n'a pas un membre de sa famille à proximité. Et puis, l'envoyer chaque jour à l'école n'est pas une solution, non plus : vu que l'enfant est plus ou moins livré à lui-même ou tout du moins, "n'apprend rien", comme le résume Nola. "C'est bien de faire des fiches, des coloriages magiques, etc. Mais est-ce que c'est corrigé ? Je ne crois pas", remarque une maman sceptique.
Une autre a proposé sur le groupe d'utiliser son jour "libre", le mardi pour faire classe aux 22 élèves. Emballé tout d'abord par cette idée généreuse, le groupe a ensuite compris que se posaient des questions de salle, d'assurance, de responsabilités, etc. La mairie étudie la possibilité de leur prêter un local. "Mais où et comment assurer les récréations ? Je ne vais pas les garder huit heures dans une même pièce" , se désole cette maman volontaire qui imaginait déjà la tâche : les exercices de calcul, les dictées, et tous les "fondamentaux" nécessaires.
Le SNUIPP de Lille a fait les comptes. A la rentrée, l'académie entame l'année avec 50 postes non pourvus. A cause du Covid et de l'hiver difficile, "on a passé un hiver pire que tout, avec une moyenne de 150 postes non-remplacés. Fin mars, début avril on était même à 500 absences environ. Cela fait une classe sur 20."
C’est important que les enfants passent une journée complète à l’école. C’est une histoire de rythme et de socialisation vis-à-vis des autres élèves. Le problème, c’est aussi les apprentissages. Les enfants répartis dans les classes ne sont pas en situation d’apprentissage à ce moment-là.
Alain Talleu, SNUIPP 59
Dans son ensemble, la profession traverse une crise : trop de jeunes enseignants arrêtent brutalement. Une réalité que le ministère et les académies ne semblent pas vouloir admettre, affirme le représentant syndical. "L'an dernier, 18 étudiants en formation professeur des écoles ont abandonné avant la fin." Et les "volants" habituels ne sont plus assez nombreux.
Tous les ans nous sommes confrontés à ce type de situation qui mettent en péril le système éducatif. Une classe sur 20 dans le département du Nord est concernée par ce problème d’enseignant non remplacé. Il n'y a tout simplement pas suffisamment de moyens pour l’école dans le département du Nord
Alain Talleu, SNUIPP 59
Dans l'arrondissement de Roubaix, plusieurs écoles sont touchées actuellement par ce phénomène de non-remplacement. "Il faudrait recruter un millier d'enseignants dans le Nord pour que ça tourne normalement", estime le SNUIPP, après simulations et calculs.