Les élections législatives se tiendront les 12 et 19 juin prochains. La région compte 50 circonscriptions. Six d'entre elles font l'objet d'un débat sur les antennes de France 3 Hauts-de-France. Gros plan sur la huitième circonscription du Nord, qui couvre la majorité de la ville de Roubaix.
Ambiance électriques, attaques en règle, interruptions permanentes entre candidats... Le moins qu'on puisse dire, c'est que la bataille pour la 8ème circonscription du Nord est animée. Rassemblant les cantons de Roubaix-centre, Roubaix-Est et Roubaix-Nord, et la ville de Wattrelos, elle porte en elle une forte charge symbolique pour l'ensemble des partis. En 2019, 35,5 % de la population de la circonscription a un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, contre 14,5 % en France métropolitaine : c'est l'une des plus pauvres de France. Roubaix est fantasmé comme ce réservoir à électorat populaire, où le candidat élu donnera à son parti le droit de se désigner champion des "vraies préoccupations des Français".
C'est aussi une circonscription jeune, environ 33 ans en moyenne contre 41 en France. L'abstention y est haute, mais à la dernière présidentielle, les choix des habitants étaient pour le moins tranchés.
A Roubaix, Jean-Luc Mélenchon a enregistré plus de 52% des suffrages, suivi par Emmanuel Macron puis Marine Le Pen. A Wattrelos, c'est la candidate RN qui était arrivée en tête, avec 32%, laissant 29% à Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron se classant troisième. La France Insoumise, dopée par l'alliance Nupes, a donc une belle carte à jouer. Le Rassemblement National, lui, malgré ses bons scores, pourrait être gêné par la candidature du parti d'Eric Zemmour. Renaissance (ex-LREM), a eu du mal à s'imposer avec l'étiquette d'un parti présidentiel de moins en moins populaire.
Les invités sur le plateau animé par notre journaliste politique, Hélène Tonnellier, sont pour la plupart connus pour leur verve et leur sens de la formule :
- Catherine Osson (Renaissance, ex-LREM) : sans surprise, la députée sortante a été réinvestie par le parti présidentiel pour ces législatives 2022. En 2017, cette ancienne conseillère départementale issue des rangs du PS avait bénéficié du barrage républicain face au RN, son adversaire du second tour. Enseignante de profession, elle était devenue la première femme élue députée dans la 8ème circonscription. Au cours de son mandat, elle a souvent choisi la sécurité comme angle de travail, par exemple sur le volet des rodéos urbains.
- David Guiraud (NUPES) : le candidat de l'alliance de gauche est l'une des figures les plus médiatiques de la France Insoumise, dont il a été le porte-parole. Originaire de Seine-Saint-Denis, il s'est posé en défenseur de Roubaix après la diffusion du très controversé "reportage" de Zone Interdite.
- Amine El Bahi (LR) : juriste roubaisien de 25 ans, Amine El Bahi s'est lui aussi rendu populaire à l'occasion du passage de Zone Interdite, où il se présentait comme menant "une vraie bataille contre l'islam radical". Il s'est ainsi fait remarquer par les hautes instances du parti, et son investiture surprise avait provoqué le départ de Pierre-François Lazzaro.
- Frédéric Cerdobbel (RN) : figure locale du RN à Villeneuve d'Ascq, il vient en tant que représentant de la candidate Rachida Sahraoui. Ex-membre de l'UDI, elle a fait sien le discours RN qui présente les autres partis comme des élites déconnectées du quotidien des français. Pendant la crise sanitaire, elle avait relayé des positions anti-vaccin, relayant notamment les communications du Pr Didier Raoult.
Retrouvez-ci-dessous l’intégralité du débat :
Le débat autour de la 8ème circonscription du Nord a été pour le moins passionné et surtout, très cacophonique : les candidats ont eu bien de la peine à se laisser parler, à tel point que l'exercice de la "carte blanche" a dû être expédié en 45 secondes par personne. Difficile, dans ce contexte, de toujours saisir et comprendre les mesures souhaitées par les candidats, d'autant que certains entretiennent un flou artistique au moment de répondre à plusieurs questions clé.
Face à l'abstention, des diagnostics qui diffèrent
Le débat s'est ouvert sur le thème de l'abstention, qui en 2017 avait atteint 70% dans la 8ème circonscription. Un micro-trottoir confronte les quatre candidats à des habitants désabusés, éloignés des urnes faute de voir le moindre changement dans leur vie quotidienne. Catherine Osson, députée sortante et représentante de la majorité présidentielle, a été beaucoup attaquée sur son bilan et celui d'Emmanuel Macron. Elle a estimé que l'abstention "n'est pas le fait d'un parti", mais évoque une méconnaissance des institutions et "la nécessité d'être exemplaire". Une expression sur laquelle elle a été raillée : dans le gouvernement Macron, plusieurs ministres sont accusés d'agressions sexuelles ou de conflits d'intérêts.
Amine El Bahi, lui, face à la même question, a immédiatement attaqué sur la question, semble-t-il décorrélée, de "l'accueil des immigrés" et du "bilan catastrophique de la gauche". Il a également retenu la nécessité de plus de transparence et de probité pour contrer la méfiance des électeurs. David Guiraud, lui, a jugé normal ce désintérêt pour la politique au vu des réalités sociales des électeurs : "Je comprends les gens. Pendant le quinquennat Macron, le patrimoine des ultra-riches a progressé de +439%. A Roubaix et Wattrelos, on a reçu quoi ? Si on ne répond pas aux aspirations sociales des gens, on les perd." Le représentant de la candidate RN, Frédéric Cerdobbel, a lui aussi évoqué cette fracture sociale, mais aussi une problématique de sécurité. "Pourquoi les gens iraient au bureau de vote, quand chez eux on brûle la voiture avec laquelle ils vont au travail ?" a-t-il attaqué, reprenant un lieu commun du discours frontiste. Il a également cité un chiffre, erroné, de 50% de la population sous le seuil de pauvreté (en réalité, 35%).
Zone Interdite sur Roubaix : une pilule qui ne passe pas
L'une des discussions les plus escarpées s'est tenue autour du fameux "reportage" de Zone Interdite, qui ne cesse de se refaire une place dans l'actualité locale et régionale, tant les politiques de tous bords sont friands de la référence. A Roubaix, le reportage, vécu comme une nouvelle stigmatisation, a provoqué colère et tristesse. Mais Amine El Bahi, qui y tenait un discours particulièrement alarmiste sur l'islam radical, et qui doit une grande partie de sa popularité à ce document, n'a pas reculé. "J'ai dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, j'ai parlé d'une minorité qui salit la ville. Quand on parle de vivre ensemble, ce n'est pas vivre avec n'importe qui, ni n'importe comment. Je veux que la France reste la France."
Un élément de langage qui a immédiatement fait bondir David Guiraud, puisqu'il s'agit du slogan de la campagne d'Eric Zemmour, d'ailleurs piqué à l'ancien candidat LR Eric Ciotti. Le candidat LFI a lui raconté ses échanges avec les commerçants de la rue de Lannoy après la diffusion. "J'attends avec impatience le jour où les musulmans arrêteront d'être la cible de gens comme vous. (...) On peut parler de tout, mais pas sur ces bases, pas en salissant les gens." La député sortant Catherine Osson a tenté de conserver son calme et sa mesure en remettant les pieds dans ce sujet sensible. "Il faut absolument dépassionner ce débat. Monsieur El Bahi, votre action a sali la ville, vous avez heurté et blessé la population, et vous n'imaginez pas l'impact sur le commerce..." a-t-elle regretté. Le représentant du RN, lui, a de nouveau évoqué l'extrait de Zone Interdite sur les poupées vendues sans visage et interpellé ses adversaires : "Vous êtes complices du voile, de la burka, des magasins qui mettent en avant des produits comme ceux-là."
Pouvoir d'achat : chaque parti donne du concret
Le pouvoir d'achat, l'une des préoccupations principales des électeurs, était un autre temps fort du débat, sans doute celui où les candidats ont le plus réussi à proposer des mesures concrètes. Catherine Osson, sommée de faire son bilan, a un peu peiné : "Le pouvoir d'achat, on l'aborde en termes de fiche de paie. C'est aussi ne plus payer sa taxe d'habitation. (...) On est pour cibler les plus fragiles, par exemple ave le triplement de la prime Macron." Pour la France insoumise, David Guiraud a déroulé le programme scandé par Jean-Luc Mélenchon : un SMIC à 1500 euros net, "personne sous le seuil de pauvreté", et le blocage des prix pour faire face à l'inflation. "L'Espagne l'a fait, le Portugal l'a fait, et ce ne sont pas de grands bolcheviques !"
Amine El Bahi, lui, a développé une mesure un peu plus inattendu dans le portefeuille LR : "Nous voulons verser à la source les aides fiscales et sociales qui ne sont pas réclamées par les classes populaires, comme on a su mettre en place le prélèvement à la source. Nous voulons des retraites indexées sur l'inflation tous les ans, et un prix à la pompe bloqué à 1,5 euro." Le Rassemblement National, de son côté a souhaité une baisse de la TVA sur l'électricité, un SMIC "à environ 1400/1500 euros" et la suppression de la redevance télévisuelle. "Vous réalisez qu'on est ici à la télévision publique ? a moqué David Guiraud. On le fait où le prochain débat ? Sur Cnews ?"