Les études le prouvent, il faut parfois peu de choses pour éviter le passage à l'acte. Encore faut-il savoir quand et comment agir. C'est à Lille qu'est né VigilanS, un dispositif de re-contact des patients qui ont fait une tentative de suicide. Il fait ses preuves. Explications avec le Docteur Charles-Edouard Notredame, coordinateur national adjoint du 3114 et psychiatre de l'enfant au CHU de Lille.
"Les études épidémiologiques de ces 20 dernières années ont permis d’identifier des actions permettant de diminuer la mortalité suicidaire de façon efficace : le suicide est en grande partie évitable" affirme la direction générale de la santé. C'est aussi le message que veulent faire passer les médecins et psychiatres confrontés au suicide, même si cela est difficile.
Repérer les signes d'alerte
Pour Charles-Edouard Notredame, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent au CHU de Lille, "il y a presque toujours des signes d'alerte avant un suicide ou une tentative. Ces gestes sont une réponse à une souffrance extrêmement intense". Même si, précise Charles-Edouard Notredame "il est normal qu'on ne les voit pas. Ces signaux sont difficiles à décoder dans le flux du quotidien. Et puis les personnes qui souffrent ne veulent pas inquiéter leurs proches..."
Pour lui, il y a beaucoup d'idées reçues sur le suicide. "C'est un processus, ça ne se déclenche pas du jour au lendemain. C'est une douleur qui devient de plus en plus intense. On voit de moins en moins les solutions et les pensées suicidaires sont alors vues comme une manière d'apaiser les souffrances. Il faut bien comprendre que ce n'est pas un choix. C'est un non-choix, parce qu'on n'en a plus".
Être triste, ne plus dormir, ne plus manger, se replier sur soir, s'isoler sont des signaux. Mais pour le psychiatre, la question n'est pas tant de reconnaître les signes que d'ouvrir le dialogue. Discuter avec la personne, et même poser la question des idées suicidaires, si on s'en sent capable. Il affirme : "ce n'est pas parce que vous posez la question qu'il y aura un passage à l'acte".
Ne pas rester seul quand un proche va mal
Pour Charles-Edouard Notredame, à partir du moment où on s'inquiète pour un proche, il ne faut pas rester seul. Il faut en parler à son médecin traitant ou appeler des professionnels via le 3114. Un numéro gratuit, pour répondre et aiguiller patients et proches.
Le CHU de Lille est à l'origine d'un dispositif nommé VigilanS. Étendu à toute la France, il a pour ambition de réduire le nombre de suicides (et tentatives) en France.
Un suicide va toucher, émouvoir, atteindre 136 personnes dans son cercle familial, amical ou professionnel. Pour le médecin psychiatre, coordinateur national adjoint du 3114, le suicide est un enjeu de santé publique majeur.
En France, 9 000 personnes se suicident tous les ans. Les suicides font 3 fois plus de victimes que les accidents de la voie publique. En France, c'est plus d'un suicide par heure.
Agir sur la réitération suicidaire
Avec VigilanS, les personnes qui ont fait une tentative de suicide, quand elles quittent l'hôpital, se voient remettre "une carte ressource avec un numéro de téléphone pour appeler si elles ne vont pas bien. Et puis, on prend de leurs nouvelles. Des psychologues et infirmiers spécialisés les appellent 10 à 20 jours après pour savoir comment ils vont", explique Charles-Edouard Notredame.
Et puis, si les personnes ne répondent pas, des cartes postales leur sont envoyées. Une par mois pendant 4 mois. Selon les études, "dire sa sollicitude permet de réduire la réitération suicidaire de 40 %" affirme le psychiatre. Il poursuit : "se soucier des autres est un formidable antidote. Pour agir, il faut retisser du lien social, remettre de la solidarité, c'est fondamental".
L’évaluation de Santé publique France de 2023 confirme les propos du coordinateur national adjoint du 3114 : le risque de réitération suicidaire est réduit de près de 40% pour les patients inclus dans VigilanS comparativement à un groupe de patients non inclus dans ce dispositif.
Dire sa sollicitude permet de réduire la réitération suicidaire de 40 %.
Charles-Edouard Notredame, psychiatre de l'enfant et l'adolescent au CHU de Lille
En parler
En France, il y a 200 000 tentatives de suicides par an. Charles-Édouard Notredame est très clair à ce sujet : "Il faut en parler. Que les gens n'aient plus honte, que la culpabilité qui pèse sur eux cesse."
"Il faut que les gens comprennent qu'il est possible d'avoir des idées noires, suicidaires. C'est pour ça qu'il faut en parler. En France une personne sur 5 est touchée par une maladie mentale. Et alors ?"
Pour le psychiatre, le nombre de suicides diminue depuis les années 1990 de façon trop lente. Et le Covid l'a fait augmenter chez les plus jeunes. "Il faut parler, appeler le 3114 dès que l'on est inquiet pour un proche."
Il faut parler, appeler le 3114 dès que l'on est inquiet pour un proche.
Charles-Edouard Notredame, psychiatre au CHU de Lille.
La contagion suicidaire
Il est démontré que le risque de suicide augmente significativement dans l’entourage d’une personne suicidée (famille, camarades de classe, collègues de travail...).
Le suicide est un phénomène complexe qui résulte de l’interaction de nombreux facteurs. D'après le ministère de la santé, "les personnes exposées directement ou indirectement à un événement suicidaire sont plus à risque d’avoir des idées suicidaires, ou même de passer à l’acte. Être exposé à un suicide multiplierait de 2 à 4 fois le risque de passage à l’acte".
Surtout, précise le psychiatre lillois, "quand les médias relatent des suicides notamment de stars ou de personnes suivies sur les réseaux sociaux, il peut y avoir un phénomène exceptionnel de "contagion".