Beaucoup de ceux qui sont venus en gare ce matin s'étaient organisés en avance.
En cette première journée de grève reconductible, la gare Lille-Europe est presque déserte vers 7h30. Ceux qui font la navette Lille-Paris pour le travail sont les premiers chaque matin à y pénétrer, sacoche en bandoulière. Mardi, le regard qui se lève vers les écrans d'affichage des voies semble cette fois anxieux.
Une "punition"
"Il y a des trains toutes les demi-heures jusqu'à 8h42. Après c'est 16 heures". Cette sentence prononcée par l'agent d'accueil, Jean Nahavua, 27 ans, qui va travailler presque tous les jours comme assistant manager dans le commerce de gros, la vit comme une "punition".
Trois mois comme ça, ça va être compliqué
"Je commence le travail à 13 heures. Vous savez à quelle heure je me suis levé? 5 heures !", lance-t-il, dépité. Habitant à Lille chez ses parents, il a opté voici un an pour un abonnement jeune et se rend dans la capitale trois fois par semaine. Jean montre son application mobile: "Vous voyez là? C'est tous mes voyages passés. Mais sur le site internet, pour réserver, il n'y a plus rien depuis 10 jours. Et le covoiturage c'est bourré, plus de place."
Restent les bus, au départ de la gare Lille-Europe et qui ont rapidement été pris d'assaut hier soir.
Ceux qui ont pu prendre un billet s'estiment chanceux. Comme cet usager, qui "habite en Lorraine, près de Nancy". "J'avais préalablement réservé un train pour aller à Roissy et puis comme c'est le premier jour de grève, j'ai anticipé, je me suis fait rembourser et je suis venu chez mon fils qui habite à Lille."
Le jeune homme se prépare à de longues semaines de galère: "Trois mois comme ça, ça va être compliqué. Et on ne roule pas sur l'or !"
J'ai de la chance, mon train est maintenu
Pour Pascal Lasnier, 44 ans, cadre dans une banque à Paris mais qui habite avec sa femme à Lille, pour l'instant tout va bien: "j'ai pris mon billet avant qu'ils ne bloquent les réservations. J'ai de la chance, mon train est maintenu. J'ai l'impression qu'ils ont assuré tous les trains du matin pour Paris", se réjouit-il.
Dans cette gare calme pour un jour de semaine, où les "gilets rouges" de la SNCF sont plus nombreux que les voyageurs, Pascal constate: "Pas mal de gens n'ont pas tenté. Cette grève nécessite de l'organisation". Si le mouvement perdure, "j'ai de la famille qui pourra me loger à Paris", ajoute-t-il.
Dans cette gare comme à Lille-Flandres, des stands avec du café ont été installés. L'un des agents SNCF glisse: "Globalement les gens sont bien informés, ils se sont renseignés dès dimanche".
Vincent, 36 ans, vient de rater le TGV de 7h42 pour Paris. Essouflé, il confie: "J'avais un billet pour le suivant, mais j'aurais préféré prendre celui-là, pour assurer. J'irai me renseigner au jour le jour sur les bornes d'information".
Je comprends qu'ils veuillent défendre leur bifteck, mais...
Lui travaille dans une compagnie privée de transport... ferroviaire. Et la grève des cheminots, il la comprend parfaitement: la concurrence, "c'est les lois de l'Europe mais le gouvernement doit faire en sorte de ne pas toujours lui dire oui. Il ne faut pas cracher sur les combats de nos parents, et les acquis."
Pascal Lasnier, lui, est plus nuancé: "Je comprends qu'ils veuillent défendre leur bifteck, mais il y a peut-être d'autres moyens de le faire".
Tout ça "à cause d'une réforme qui ne nous concerne pas !", s'exclame Jean Nahavua. Derrière sa colère, il se montre très attentif aux enjeux sociaux: "Je sais que le gouvernement a voulu passer en force avec des ordonnances. On va peut-être avoir une deuxième volte-face comme avec Juppé, mais pas sûr avec la dureté de ce gouvernement..."