Les mineurs du Nord-Pas-de-Calais aiment la télévision. Dès les années 50, ils sont même parmi les premiers à l’avoir achetée ! En 1965, ils racontent au Magazine du Mineur ce qui leur plait dans cette amusante petite lucarne.
Ils peuvent y voir "en vrai" leurs artistes favoris, suivre les évènements sportifs, voyager par écran interposé ou s’informer avec les actualités. Les mineurs sont des téléspectateurs assidus… et précoces ! Leur idylle avec le petit écran démarre dès le début des années 50, alors même que la télévision est en train de s’inventer. Ils vont vite l’adopter. Au 1er janvier 1965, cinq millions de téléviseurs ont été vendus en France. Avec plus de 700 000 postes recensés, dont une majorité dans le bassin minier, le Nord est en deuxième position derrière Paris.
Il faut dire que la région entretient une histoire privilégiée avec la télévision : avec un premier émetteur installé en 1949 à Lille, et la naissance de la télévision régionale en 1950, elle fait figure de précurseur. Paris mis à part, les habitants du Nord sont les premiers en France à pouvoir capter la télévision. Ils découvrent non seulement les programmes parisiens, mais aussi ceux de Télé-Lille, "leur" télévision.
À cette époque, très peu ont la chance de pouvoir s’offrir ce tout petit écran, dont la taille est inversement proportionnelle à son coût. Mais si on ne la possède pas, elle captive déjà ! On la regarde dans la rue, le nez collé à la vitrine des revendeurs, dans des cafés ou chez des voisins plus fortunés.
Les nordistes s’entichent de la télévision, et ce ne sera pas une passade !
À la télévision, ils (les mineurs) peuvent voir tous les pays qu’ils ne peuvent pas se permettre d’aller voir
Un mineur interviewé par le Magazine du Mineur en 1965
La télévision donne à voir le monde, mais le monde depuis chez soi n’est pas à la portée de toutes les bourses. Dans les années 50, l’achat d’un téléviseur pour un ouvrier équivaut à plusieurs mois de travail. Mais pour une famille avec enfants, les loisirs ont aussi un coût non négligeable. Alors dans le bassin minier, gagné par la magie du petit écran, on décide de s’équiper. C’est la télé avant la machine à laver !
L’acquisition du téléviseur se fait à crédit, mais aussi grâce à la prime de résultat que les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais versent aux mineurs en fin d’année. Une fois la somme réunie, l’arrivée de la télévision dans les foyers est rondement menée : les vendeurs se sont installés au pied des corons et assurent un service clé en main, du montage de l’antenne à l’installation du récepteur, il n’y a plus qu’à en profiter.
Autant dire qu’on ne s’en prive pas, les programmes sont regardés religieusement ! La télévision devient un loisir à part entière, on profite de ses rendez-vous en famille ou entre amis, car un petit écran ça se partage, pour mieux en discuter ensuite.
En 1959, en plus de son journal et de ses programmes régionaux, Télé-Lille lance le Magazine du Mineur : une émission faite pour les mineurs, qui parle des mineurs, et qui a l’idée lumineuse d’y faire une large place à Léopold Simons. Les habitants des corons en sont ravis, les revendeurs de télévision aussi...
Parce que Simons il parle patois, il parle comme mi
Une téléspectatrice sous le charme
Le Magazine du Mineur c’est bien sûr le mineur, mais c’est aussi Simons. Le gars du coin qui ne fait pas son fier, et qui utilise ce patois que les enfants n’ont plus le droit de parler à l’école. Auteur patoisant, peintre, comédien, dessinateur, poète… Léopold Simons est un artiste multi-talents, connu comme le loup blanc dans la région du Nord. Alphonse et Zulma, le duo qu’il a formé dans les années 30 avec Line Dariel sur Radio PTT Nord puis Radio Lille est resté dans toutes les mémoires.
Le 4 octobre 1959, c’est lui qui présente le N°0 du Magazine du Mineur. Il sera diffusé le dimanche, avec aux manettes la speakerine Christine Rabiéga et le journaliste Michel Chastant.
L’émission est spécialement conçue pour les mineurs et leur famille, sous l’égide non officielle des Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais. On y valorise le travail du mineur, les progrès techniques des Charbonnages de France, les actions sociales des Houillères... Mais pas de sujets qui fâchent, silence sur les grèves, les accidents, la silicose. Il reste que l’émission sait faire vibrer les cœurs, qui d’autre que le Magazine du Mineur pouvait proposer le coucou attendrissant de Line Renaud, depuis Las Vegas, aux téléspectateurs du Nord ?
Dans les foyers, l’adhésion est totale. "Là, ma foi, on voit qu’il sait dessiner… Il a des grosses mains, mais il sait s’en servir quand même", témoigne un mineur, reconnaissant. Des talents mis en valeur, un travail reconnu, une région qui sort de l’ombre, le bassin minier est conquis.
Non seulement les mineurs ont désormais "leur" magazine, mais en plus toute la famille est concernée. Pour les travailleurs et leurs fils, les rubriques bricolage, sport ou loisirs ; pour les épouses et leurs filles, la décoration, la couture ou la cuisine. Dans les corons, le Magazine du Mineur est un peu l’autre messe du dimanche !
Il tire sa révérence en 1972, mais il fait toujours partie de la mémoire collective du bassin minier. Et mieux encore, l’Ina le classe en 2004 dans les "Trésors" de ses archives. Traduisez : l’émission fait désormais partie des biens culturels d’intérêt majeur pour le patrimoine national ! Le petit magazine avait tout d’un grand…