Le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) a reconnu mardi Béatrice Huret coupable d'avoir aidé des migrants à traverser la Manche en bateau en juin 2016 mais l'a dispensée de peine.
Les magistrats n'ont pas retenu les circonstances aggravantes de "bande organisée" ou de "mise en danger d'autrui". Béatrice Huret, 44 ans, s'est dite "soulagée" par cette décision.
Un peu plus tard sur le perron du tribunal, Mme Huret était en larmes et discutaitb par smartphone avec Mokhtar, ancien leader des "bouches cousues" iraniens de la "Jungle", dont elle est tombée amoureuse et qu'elle a aidé à rejoindre l'Angleterre. "Je viens de lui annoncer la bonne nouvelle et il s'est mis à pleurer. C'est un soulagement pour tous les deux", a dit Mme Huret qui était jugée pour "aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France en bande organisée". "C'est logique" d'être déclarée coupable. "Depuis le départ, j'assume mes actes",
a-t-elle dit.
Laurent C, un No Border qui avait également participé à l'acquisition du bateau qui avait permis à des Iraniens de traverser la Manche en juin 2016, a également été déclaré coupable mais dispensé de peine. "Les juges ont vu que ce n'était pas du profit mais qu'on avait agi par humanité.
Je suis dispensé de peine mais je suis quand même condamné", a dit Laurent C. "Tant qu'il y aura des gars sur la Jungle, il y aura toujours le même problème et des gens comme moi qui vont y aller et l'histoire va recommencer", a-t-il ajouté.
Mohammad G. qui faisait lui aussi partie des Iraniens qui s'étaient cousu la bouche pour dénoncer le démantèlement d'une partie de la Jungle début 2016, a été condamné à trois ans de prison dont 16 mois avec sursis, les magistrats considérant ainsi qu'il était bel et bien un passeur. Les enquêteurs avaient notamment mis la main sur 16.000 Livres provenant de deux "passages garantis", en voiture, de migrants.
Concernant Ghizlane M., une Calaisienne vivant en face de l'ex-Jungle qui était en couple avec Mohammad G. et qui a effectué quatre passages de migrants en voiture, mère de quatre enfants, elle a été condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis.
"On a dépassé ce que la loi tolère"
"La solidarité est louable mais pas à n'importe quel prix et dans n'importe quelles conditions": le ministère public avait pourtant requis un an de prison avec sursis à l'encontre de Béatrice Huret, qui a aidé un Iranien à passer en Angleterre en bateau par amour. "On a dépassé ce que la loi tolère en matière de solidarité", a dit Camille Gourlin, procureur au tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, où étaient jugés deux hommes et deux femmes pour "aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France en bande organisée" et "mise en danger de la vie d'autrui".
Assise sur le banc des prévenus, Béatrice Huret, 44 ans, ex-sympathisant du FN et désormais inscrite à Pôle emploi, a écouté sans sourciller le réquisitoire qui a mis l'accent sur les risques considérables pris par les migrants lors des traversées en bateau de la Manche. Veuve depuis 2010 d'un mari policier, Béatrice Huret voit sa vie basculer début 2015 lorsqu'elle prend en stop un jeune Soudanais pour l'accompagner à la "Jungle". Elle décide alors de s'y rendre régulièrement comme bénévole. La voilà bouleversée par la manifestation d'un groupe d'Iraniens qui s'étaient cousu la bouche pour protester contre le démantèlement d'une partie du camp... Elle ressent "un coup de foudre" pour l'un d'eux, Mokhtar, leur porte-parole, alors âgé de 35 ans, converti au christianisme.
Après avoir perdu sa trace, elle "se porte volontaire" pour l'accueillir à son domicile avec un autre Iranien, à la demande de Laurent C., bien introduit dans le milieu de la "Jungle", également prévenu et qui a fait l'objet du même réquisitoire. Béatrice Huret tombe amoureuse de Mokhtar, qui rêve de vivre en Angleterre. "Elle respecte tellement son désir de liberté et d'Angleterre qu'elle décide de l'accompagner" dans cette quête, a plaidé son avocate Me Marie-Hélène Calonne. Les "bouches cousues" sont "d'une détermination absolue, c'est dire le peu de moyens qu'elle peut avoir pour les dissuader" de tenter la traversée de la Manche, a souligné Me Calonne.
Le passage s'effectuera le 11 juin 2016 dans des conditions difficiles, le petit bateau de plaisance, acheté 1.000 euros, manquant de chavirer. Les trois hommes seront sauvés par les garde-côtes britanniques.
"Retentissement médiatique"
"En 2016, plus de 5.000 migrants sont morts en Méditerranée dans des rafiots. (...) Il est hors de question qu'on doive ramasser des cadavres sur les plages du Pas-de-Calais", a dit la procureur, qui espère que le "retentissement médiatique de cette affaire" et les condamnations dissuaderont de nouvelles tentatives.
Dans la matinée, Mme Huret s'est raidie pour expliquer un autre volet du dossier, quand elle a dû dire pourquoi elle avait laissé deux migrants à Zoteux (Pas-de-Calais), à deux km d'un parking où stationnaient des poids lourds, bien après le passage de Mokhtar en Angleterre. "Ça se passait mal pour eux dans la Jungle, ils s'étaient fait dépouiller", bredouille-t-elle. Plus tard, Laurent C., dira avoir retrouvé "dans un état lamentable" ces deux migrants, assoiffés, une version contestée par Béatrice Huret.
Avant le début du procès, Mme Huret avait dit être toujours en couple avec Mokhtar, qui a obtenu le statut de réfugié et qu'elle va voir régulièrement dans les environs de Sheffield.