"Une ligne rouge a été franchie" : Emmaüs France réagit aux accusations de travail dissimulé et de chantage à la régularisation de sa communauté dans le Nord

Depuis trois mois, des compagnons Emmaüs sans-papiers de l'antenne de la Halte-Saint-Jean sont en grève pour dénoncer le traitement dont ils ont été victimes durant plusieurs années. Ils réclament désormais une régularisation de leur situation. Travail dissimulé, esclavage moderne.... Des accusations sur lesquelles revient l'association Emmaüs France et son délégué général Tarek Daher dans un entretien.

Depuis juin dernier, une affaire concernant des accusations de travail dissimulé et de traite d'êtres humains a éclaté dans la communauté Emmaüs de la Halte Saint-Jean de Saint-André-lez-Lille, dans le Nord, une enquête judiciaire est en cours. Quelle est la réaction d'Emmaüs France ?

Tarek Daher, délégué général Emmaüs France :

Nous avons appris ces accusations par la presse, et cela même doit nous inquiéter. Cela nous fait dire qu'il faut que nous renforcions nos outils de contrôle.

Depuis l'éclatement de cette affaire, le dialogue est rompu entre les organisateurs de la Halte Saint-Jean et Emmaüs France. Ils ne souhaitent absolument pas collaborer. Nous avons demandé la mise en retrait de la responsable, nous avons demandé un administrateur qui représente Emmaüs France dans leur conseil d’administration et enfin nous avons réclamé un audit externe. Toutes ces demandes ont été refusées par la Halte Saint-Jean.

Notre propre conseil d’administration se réunit la semaine prochaine pour décider d'éventuelles sanctions à l'égard de la communauté, qui peuvent aller jusqu'à l'exclusion du mouvement Emmaüs. S'ils ne respectent plus nos valeurs, il est logique qu'ils soient amenés à quitter le mouvement. 

À la Halte Saint-Jean, les dirigeants de la communauté Emmaüs ont décidé de ne plus subvenir aux besoins des Compagnes et Compagnons grévistes en les privant de leur allocation, et même d’accès à des denrées alimentaires. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Cela est choquant évidemment et pour notre association, une ligne rouge a été franchie. La communauté de la Halte Saint-Jean a en effet décidé d'arrêter de fournir des repas, nous n'étions pas au courant et avons appris cette information par hasard. Mais dès que nous l'avons su nous sommes intervenus très rapidement sur place. L'allocation ne leur était plus versée, l'aide alimentaire et l'hébergement n'étaient plus assurés par les organisateurs mis en cause dans ces affaires. Nous avons pris le relais en prenant en charge ces questions de suivi social, du transport, de la gestion de la santé et de la scolarité des compagnons via des intervenants sociaux qui ont agi au nom d'Emmaüs France.

Emmaüs compte 7000 compagnes et compagnons dont la moitié serait sans-papiers (selon la revue Cairn). Depuis 2018, appartenir à cette communauté permet d'entrer dans un parcours de régularisation. Ce droit récemment acquis ne donne-t-il pas lieu à l'émergence de pressions comme on a pu le voir avec le cas de la Halte Saint-Jean ?

Ce droit que nous avons obtenu en 2018 de reconnaître que le parcours dans nos communautés était un parcours d’intégration et qu’il pouvait rendre éligibles ces personnes à une régularisation, cela fait partie des droits pour lesquels on milite et que l’on veut continuer de fournir.

Cette grève des sans-papiers chez nos compagnons Emmaüs évidemment pose question et vient percuter le modèle que nous proposons. Ce qui s’est passé à la halte Saint-Jean, c’est de l’instrumentalisation et du chantage à la régularisation de la part de la direction et c’est tout à fait inacceptable. On ne rentre pas dans une communauté pour se faire régulariser, on rentre dans une communauté pour participer à cette vie collective solidaire et qui peut parfois déboucher dans un parcours de régularisation. Cette régularisation n’est d’ailleurs pas du tout automatique et dépend de la décision de la préfecture. Il faudra par contre à l’avenir installer des garde-fous par rapport à ces mesures-là.

Cette grève de compagnons sans-papiers prend de l'ampleur.  Fin août, la communauté de Dunkerque rejoint le mouvement. Puis celle de Tourcoing fin septembre. Ne craignez-vous pas la contagion à d'autres antennes dans le Nord et ailleurs ?

Ces situations sont toutes particulières, le Nord voit les crises se multiplier, mais ces crises sont toutes différentes et nous essayons d’y répondre de manière appropriée pour chacune d’entre elles. La meilleure réponse est que nous restons aux côtés des compagnes et des compagnons sur le terrain en agissant. À Dunkerque, le dialogue est tendu depuis des mois avec les organisateurs de cette communauté et désormais tout lien est coupé. À la Halte Saint-Jean, nous y travaillons du mieux que nous pouvons. Enfin, à Tourcoing, une mission de médiation est en train d'être menée et nous sommes sur la bonne voie pour l'apaisement du conflit. 

Ces grèves ne sont-elles pas la preuve que le système Emmaüs est à bout de souffle ?

Le système reste tout à fait pertinent car la mission d’une communauté, c’est quoi ? C’est d’accompagner les personnes les plus fragiles de notre société. Il se trouve que depuis quelques années, sans aucun doute, les personnes les plus fragiles sont toutes celles qui sortent de parcours migratoire, sont en exil, réfugiées. Je trouve normal que ces personnes dans le besoin se tournent vers les communautés Emmaüs. Au contraire, est-ce qu’on n’aurait pas besoin encore plus d’accueil et d’accompagnement pour travailler à l’accès aux droits de ces personnes ? C’est l’évolution de la précarité qui se retrouve par effet miroir dans nos sociétés et donc dans nos communautés aussi. Mais nous devons les accompagner au mieux, tout en restant vigilants.

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