Il y a cent ans, des Polonais arrivaient dans le Nord Pas-de-Calais pour travailler dans les mines. France 3 Hauts-de-France vous propose cinq reportages sur leur histoire dans la région, diffusés ce dimanche dans une émission spéciale.
C'est l'histoire d'une aventure. Celle de centaines de milliers de travailleurs polonais venus travailler dans les compagnies minières du Nord et du Pas-de-Calais. Une communauté extrêmement soudée qui cultivera longtemps ses particularités culturelles, jusqu’à l’isolement, ce qui la rendra parfois impopulaire aux yeux de certains Français. Les "polaks" ou "ch'tis ski" vont ainsi recréer un tissu social fort, avec leurs associations religieuses, syndicales, sportives ou culturelles.
Cet héritage se retrouve encore aujourd'hui dans les patronymes de nombreux habitants de la région. Mais aussi dans les cuisines, dans le folkore, le sport, la musique et les fêtes. Bref, dans la vie de nombreuses communes. Cent ans après les premières arrivées de familles, la communauté polonaise s’est parfaitement fondue dans la société française, à tel point que beaucoup s’interrogent désormais sur l’avenir de cette culture.
Entre passé et présent, suivez-nous à la découverte de la "Petite Pologne" du Nord Pas-de-Calais, à travers cinq histoires.
► Marles-les-Mines : l'arrivée des premiers travailleurs polonais
Henri Dudzinski, descendant de mineurs polonais, nous conduit au cimetière communal de Marles-les-Mines, dans le Pas-de-Calais. Ici, les tombes racontent l'histoire de l'immigration polonaise et de son intégration. "Tout doucement, on voit les visages s'effacer par l'usure du temps", commente-t-il.
Les premières sépultures, qui datent de la première moitié du XXe siècle, sont intégralement écrites en polonais, puis elle vont se franciser au fil des décennies. "Après la Seconde Guerre Mondiale, on voit des tombes où l'époux est décédé avant cette guerre et c'est écrit en polonais", décrit Henri Dudzinski. "L'épouse décède après et là c'est écrit en français. Donc sur la même tombe, pratiquement les mêmes épitaphes, les deux langues sont réunies".
C'est à la gare de Lens que beaucoup d'immigrés polonais débarquent en 1919, au lendemain de la Première Guerre Mondiale. C'est à partir de cette gare qu'ils sont aiguillés ensuite vers les différentes compagnies minières. "Le bassin minier est en ruine sur le plan des infrastructures, la main d'oeuvre est totalement décimée dans les mines du Nord Pas-de-Calais, mais aussi dans la plupart des entreprises et dans le monde agricole", rappelle Virginie Malolepszy, directrice des archives au Centre Historique Minier de Lewarde (Nord). "Il fait faut faire venir une main d'oeuvre étrangère pour pouvoir travailler dans tous les secteurs industriels et agricoles, afin de pouvoir relancer l'économie française et retrouver le niveau qu'on avait avant la Première Guerre Mondiale."
Parmi la première vague de travailleurs polonais qui arrive, certains sont déjà mineurs. Ils ont travaillé auparavant en Allemagne. "La France occupait la Rhénanie-Westphalie", explique Henri Dudzinski. "Les recruteurs des compagnies privées venaient faire leur marché directement sur place, prendre des ouvriers qualifiés en leur disant : "Vous êtes polonais, il n'y a pas d'avenir pour vous en Pologne, ce n'est pas stable, peut-être que vous y retournerez un plus tard. Vous ne pouvez pas rester en Allemagne, venez en France, il y a du travail, avec un vrai contrat de travail". On leur demande leurs opinions politiques, religieuses, s'ils sont propres, s'ils ont le scorbut, des choses comme ça... ça ne dure pas longtemps, on a besoin de main d'oeuvre, ils passent très vite. Mes grands-parents avaient une affectation, ils savaient où ils venaient. Tout ça se passait à Lens".
Les grands-parents d'Henri Dudzinski s'installent à la cité Quenehem, à Marles-les-Mines. "Ils sont arrivés de la gare de Vis-à-Marles, à pied, avec leurs valises". La cité minière a aujourd'hui disparu, rasée en 1975 par les Houillères après l'explosion d'un terril qui fera six morts. "Ici, il y a encore des traces d'aneth et de koper pour faire des cornichons polonais. Ça pousse sauvagement aujourd'hui".
Dans les années 1930, le Pas-de-Calais accueillera 115 200 Polonais. C'est la plus grande vague migratoire qu'a connue le département.
► Leforest : des communistes polonais expulsés en 1934
De cette histoire, il subsiste quelques brèves images en noir et blanc. On y voit des familles polonaises quittant leurs maisons de Leforest (Pas-de-Calais), avec enfants, valises et meubles, sous surveillance des forces de l'ordre, avant d'embarquer dans des trains, direction la Pologne. Les décrets d'expulsion sont encore conservés aux Archives départementales du Pas-de-Calais.
Des dizaines de communistes polonais ont ainsi été chassés de France après une grève en 1934. A l'époque, "les Polonais, à 80-90%, sont catholiques", explique le journaliste Jacques Kmieciak. "Il y aura donc une difficulté de pénétration de ce milieu par le mouvement communiste. Mais le Parti communiste va s'appuyer sur des militants chevronnés, car parmi les immigrés, on aura des gens qui ont fait la révolution bolchevique en Russie, qui ont fait la révolution spartakiste en Allemagne ou même la révolution russe de 1905. Et ce sont eux qu'on va organiser pour mobiliser la main d'oeuvre polonaise".
Parmi ces expulsés de 1934, un certain Edward Geriek. Il faisait partie des grévistes de la fosse n°10 à Leforest. Ce petit galibot, arrivé à Lens à l'âge de 13 ans, deviendra en 1970 premier secrétaire du Parti communiste polonais. L'équivalent d'un chef d'Etat.
Une rue porte encore son nom à Auby, commune voisine de Leforest. "Quand on avait 14 ans, on avait passé son certificat d'études en général et on entrait à la fosse", rappelle Freddy Kaczmarek, l'actuel maire PCF de la commune. "Pour pouvoir le faire, il fallait quand même l'autorisation du curé de la paroisse. C'était donc un milieu, entre le patronat et l'institution catholique, qui était très en cheville pour éviter qu'il y ait des gens aux idées un peu trop communistes qui entrent dans l'industrie ou la mine. Il fallait donc se taire, d'une certaine manière. Ou alors, quand on allait au bout de ses convictions, comme Edward Geriek, on était raccompagné à la frontière".
Après la Seconde Guerre Mondiale et la mise en place d'un régime communiste en Pologne, on estime à 60 000 le nombre de Polonais installés en France qui ont choisi de rentrer au pays.
► Houdain : rencontre avec un ensemble musical polonais
Ils se rassemblent encore une fois par semaine pour jouer du folklore polonais. Un rituel depuis 1922 à Houdain (Pas-de-Calais). Dans les rangs des musiciens, plus de mineurs bien évidemment, mais leurs descendants. Petits-enfants, frères, soeurs, cousins, l'harmonie reste une affaire de famille.
"J'ai commencé à l'âge de 5 ans et maintenant j'en ai 40", annonce fièrement Stéphanie Duquenoy-Slominski, qui joue du baryton au sein de la Société musicale Echo, aux côtés de son père, Edgard. "Quand on est petit, on suit les concerts, après on va au banquet, et forcément, on veut faire comme le papa, comme la cousine ou la grande soeur. J'avais ma soeur qui jouait aussi. On est parti dedans".
Quand ils ont fondé ces ensembles musicaux il y a presqu'un siècle, les mineurs polonais voulaient oublier les longues journées passées sous terre et faire la fête ensemble. "Le Polonais qui travaillait du dimanche au soir jusqu'au samedi, il n'avait que le dimanche matin de libre pour les répétitions", explique le papa, Edgard Slominski, joueur de baryton lui aussi. "Ça les sortait de ce métier très pénible".
A la baguette, le chef d'orchestre n'est autre que l'arrière-petit-fils du fondateur de cet ensemble. A 22 ans, Romuald Goscinski est l'un des rares jeunes à perpétuer la tradition. "Pour perpétuer les choses, c'est compliqué, parce qu'on n'a pas forcément des jeunes qui tapent à la porte pour découvrir la musique ou autre", reconnaît-il. "C'est une culture complète, une petite boîte avec la "polonité" dedans. Pour moi, un Polonais ne peut pas faire sans musique, sans manger, sans boire, sans amis, sans famille".
Une dizaine de groupes ont survécu à la fin de la mine dans la région. Le plus célèbre reste sans doute l'Orchestre Kubiak, créé en 1956 par Stéphane Kubiak, coiffeur, accordéoniste et fils de mineur. A l'époque, sa musique se vendait très bien.
"Un jour, Eddie Barclay (célèbre producteur NDR) est venu le contacter, ils ont signé un contrat pour enregistrer un 33 tours et ça a duré pendant plus de 20 ans", raconte son fils, Christian qui a repris désormais le flambeau. "On garde nos racines polonaises, qui sont très importantes, qui font vibrer les anciennes générations, tout comme les nouveaux. Les jeunes, même s'ils ne parlent plus à notre époque le polonais couramment, ils ressentent ça, j'en suis certain, dans le plus profond d'eux-mêmes".
► Kopa, Lech, Stablinski, Jazy... : la réussite des Polonais par le sport
Ils ont pour point commun d'être nés dans le bassin minier du Nord Pas-de-Calais, d'avoir des origines polonaises et d'avoir fait briller les couleurs françaises au plus haut niveau sportif.
Le premier d'entre eux s'appelle Raymond Kopa, de son vrai nom Kopaszewski. Né à Noeux-les-Mines (Pas-de-Calais) en 1931, il fut le premier Ballon d'Or français en 1958, après avoir atteint avec les Bleus les demi-finales de la Coupe du Monde. Cet attaquant brilla aussi en club sous la tunique du Stade de Reims puis du prestigieux Real Madrid. Mais avant d'entamer une brillante carrière de footballeur, il travailla d'abord à la mine. "Partout j'étais rejeté, je n'avais qu'un seul moyen, c'était d'aller à la mine", avait-il confié lors d'une interview. "J'étais fils de Polonais et il n'y avait pas de place pour les fils de Polonais. Heureusement pour moi, j'avais le ballon, j'avais le football".
Un itinéraire suivi également par les frères Georges et Bernard Lech, tous deux natifs de Montigny-en-Gohelle (Pas-de-Calais), en 1945 et 1946. Ces deux grands noms du RC Lens étaient petits-fils d'immigrés polonais. "On était tous entre nous, les Polonais", se souvient Georges, l'aîné. "On avait notre église, notre coron, notre rue, nos jardiniers qui nous couraient derrière parce qu'on leur piquait leurs carottes et leurs tomates. C'était une jeunesse extraordinaire." Georges Lech porta le maillot de l'équipe de France à 35 reprises. Une carrière inespéré alors que le destin semblait plutôt l'envoyer à l'usine ou à la mine.
Parmi les autres grands noms du sport nés issus corons du Nord et du Pas-de-Calais, on compte les cyclistes Jean Stablinski (né à Thun-Saint-Amand en 1932), vainqueur du Tour d'Espagne 1958, et César Marcelak, champion de France en 1948, arrivé à Bully-les-Mines dans son enfance. Sans oublier Michel Jazy, médaillé d'argent à l'épreuve d'athlétisme du 1500m aux Jeux Olympiques de Rome, en 1960. "J'étais la fierté des Polonais", raconte ce natif d'Oignies. "Quand je faisais de la course à pied et que je revenais voir ma grand-mère, c'était la fête au village, dans les corons, c'était des moments exceptionnels".
Petit-fils d'immigrés polonais, Eric Sikora a perpétué cette réussite en remportant le titre de champion de France de football avec le RC Lens en 1998. "Quand on faisait un anniversaire, à la fin du repas mes grands-mères, il fallait leur mettre de la musique polonais et puis chanter", se remémore l'ancien défenseur, né à Courrières en 1968. "C'était la tradition et ce qui est un peu dommage, c'est que tout ça se perd. Mais forcément, les générations changent."
► Lens : quand les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants réapprennent le polonais
L'université de Lens organise dans ses locaux des cours du soir en polonais. Dans le classe, les élèves ont tous les âges mais partagent les mêmes origines polonaises. Comme beaucoup, Frédéric Talaga avait entendu parler la langue quand il était plus jeune, mais n'a jamais vraiment pratiquer. Aujourd'hui, il la redécouvre, en compagnie de sa fille Mado. "C'est une partie de moi", estime cette adolescente. "J'avais envie de le faire avec mon père". "Quand je viens ici, on sent qu'on est attaché à quelque chose de commun, à cette culture en effet", confie Frédéric.
Janine Dudek a commencé les cours il y a 4 ans, après la mort de ses parents. "J'ai pris conscience qu'on avait une mémoire à perpétuer", nous explique-t-elle. "L'émotion des mots, c'est troublant. C'est la mémoire de mes parents, de mes ancêtres".
La prononciation est souvent difficile pour les francophones, mais dans ces cours du soir, les élèves partent déjà avec des bases. "C'est beaucoup plus facile pour les gens qui ont déjà entendu parler polonais à la maison, c'est un facilité pour ceux qui ont eu la chance d'écouter les mots, la mélodie de la langue, déjà, à l'époque", constate Katazyna Zielony, la professeure.
Chez les Smiarowski, trois générations suivent ces cours de polonais. "C'est une langue très chantante, pas trop facile mais pas trop difficile non plus", affirme Victor, le plus jeune. "J'ai eu la chance d'entendre parler polonais quand j'étais petit et d'essayer de le pratiquer maintenant", raconte son père Philippe. "A l'heure de l'Europe, connaître des langues étrangères, c'est très important pour l'avenir de mon fils."
Chaque année, la famille Smiarowski part en voyage en Pologne. L'occasion de pratique la langue. "(Victor) a l'accent polonais, il roule les "r" comme un Polonais", se félicite Stefan, le grand-père. "C'est une fierté pour moi de pouvoir leur donner ce que j'ai appris. Et qu'ils puissent aussi garder nos origines. Mon père me disait toujours : "N'oublie pas d'où tu viens, tu sauras où tu vas". Mais il le disait en polonais..."
Revoir l'intégrale de l'émission spéciale "100 ans de ch'tite Pologne” sur France 3 Hauts-de-France