La protection de l’enfance est une mission confiée aux départements. Dans l’Oise, le foyer d'accueil d’urgence a été remplacé par deux maisons, à taille plus humaine. Immersion dans l’une d’elles où vivent des enfants âgés de 10 à 18 ans.
"On m’a dit que j’allais voir mes parents trois fois par mois et que je pourrais peut-être revenir, avant la date fixée par le juge, si l’état de mon domicile s’améliore." Son logement considéré comme insalubre, Maxime*, 16 ans, vient d'être confié à l’aide sociale à l’enfance sur ordonnance judiciaire.
Dans l'intimité d'un bureau, il rencontre pour la première fois les éducateurs. "Il a dit au revoir à papa et maman, c’était un petit peu compliqué. C’est la première fois qu’il est séparé de papa et maman", précise une assistante sociale qui l’accompagne depuis sa sortie du tribunal.
Ses affaires arriveront plus tard. Maxime, lui, doit rester dans une "maison d’accueil d’urgence", gérée par le département de l’Oise et créée il y a deux ans, en 2022. La bâtisse, située à Beauvais, est dotée d’un jardin et de plusieurs chambres, pouvant accueillir chacune jusqu'à trois personnes. Le 31 octobre 2024, une dizaine d’enfants s’y trouve : des garçons et des filles, âgés de 11 à 17 ans. "T'es en quelle classe ?", lui lance l'un d'eux. "Première", répond timidement le nouvel arrivant.
Une maison à taille humaine
Comme chaque jeudi, dans la cuisine, une odeur de pancakes flotte. À peine quelques minutes après leurs réveils, certains se pressent pour saluer Azhour, la maîtresse de maison. Ustensiles à la main, elle leur montre avec patience comment cuire des crêpes.
"Tu n'as pas fini Paul*, il t'en reste trois. Quand on commence quelque chose, on le finit", lui souffle-t-elle à l'oreille.
Je leur apprends à faire la vaisselle, des sandwichs, des pancakes… J’ai envie qu’ils se sentent un peu "chez eux". Je veux qu’ils aient des bons souvenirs.
Azhour, maîtresse de maison
Chaque jour, huit éducateurs se relaient ici, à raison de deux par service. Ils encadrent et animent le quotidien des enfants. Ce 31 octobre, l’activité est toute trouvée : Halloween. Stéphanie, éducatrice, fouille dans un carton où se trouvent des déguisements, des masques, du maquillage...
"Ça les canalise un peu. Ça leur fait du bien. Autrement, quand il n’y a pas ça, ça pète parfois un peu", explique-t-elle, tout en appliquant du faux-sang sur le bras d’un des enfants. "C’est un lieu, qui ressemble juste à une maison, pas à un foyer."
"Une maison, ça a quelque chose de chaleureux. C'est important pour les jeunes, car ils viennent de chez eux et, ici, ils se retrouvent dans une espèce de cocon dans lequel on a préparé un accueil, approuve Olivier, ancien volleyeur professionnel, devenu éducateur. Après le déchirement avec la famille, il faut qu'ils soient dans un milieu bienveillant et accueillant."
Un accueil d'urgence qui se prolonge
"Ici, les éducateurs ont plus de temps pour parler avec nous, échanger, discuter, c’est ça qui est mieux", confirme Steeven*. Majeur dans quelques semaines, il est dans cette maison depuis quatre mois. "Ma mère ne pouvait plus s’occuper de moi donc elle a préféré me placer quand j’étais petit. J’ai changé plusieurs fois de foyers avant celui-ci. Dans certains, on était beaucoup, énormément, quarante ou cinquante", déplore-t-il.
Cette maison accueille au maximum 12 personnes. Un chiffre qui, selon les urgences, peut augmenter jusqu’à 15. Le passage des enfants, entre ces murs, est temporaire. Après un temps d’observation, l'aide sociale à l'enfance (ASE) peut décider d’un placement dans un foyer associatif, au sein d’une famille d’accueil ou d’un retour au domicile. Un processus censé durer trois mois, mais pour certains, le délai s’éternise au-delà.
"C’est 50/50, estime Olivier, éducateur. Parfois, on arrive à trouver des solutions et des orientations, au bout d’un ou deux mois. D’autres fois, il y a des situations pour lesquelles on n’a pas de solution. L’accueil d’urgence se transforme alors en accueil. Ça n’arrive pas souvent, mais lorsque ça arrive, c’est délicat. Le maximum qu'on a eu ici, c'était 300 jours."
Des enfants en situation de handicap
Lucie*, 15 ans, est par exemple ici depuis plusieurs mois. Déficiente et atteinte de troubles du comportement, elle bénéficie d’une chambre à elle seule. Du fait de sa pathologie, l’ASE peine à lui trouver une solution durable.
"On a toujours eu des enfants avec des différences qui sont suivis pour certains en IME mais là, on constate qu’il y a une forte hausse, explique Hamida Touil, directeur par intérim des CDEF (Centre départemental de l’enfance et de la famille) de l’Oise. Ce n’est pas simple pour nous, je n’ai pas de service adéquat, de personnes qualifiées, préparées. On fait au mieux, mais il faut admettre que l’on est parfois assez diminués là-dessus."
Un système remis en cause
"Je considère que l’État prend les départements pour des exutoires à enfants", tranche Nadège Lefebvre, présidente (LR) du conseil départemental de l’Oise. "Si je regarde la pédopsychiatrie aujourd’hui, il y a un manque criant de lits. Or, s’il n’y a pas de place dans un établissement dans lequel on peut traiter des troubles mentaux, obligatoirement, le juge va se retourner vers le Département. C’est pour ça que nous avons des publics très différents."
On accueille aussi des délinquants ou des mineurs non accompagnés s’ils ont des ordonnances de placement. On a un mélange de population qui fait que les éducateurs rencontrent des difficultés par moment.
Nadège Lefebvre, présidente (LR) du conseil départemental de l’Oise
"Je demande qu’on mette tout à plat [...] J’en ai marre des réunions, des comités Théodule qui n’amènent à rien. Aujourd’hui, il faut qu’on se mette tous autour de la table et que chacun prenne ses responsabilités. Il faut que tous ces jeunes soient dans des structures adaptées à leurs problèmes", conclut-elle.
Dans l'Oise, 2 034 enfants sont confiés à l'aide sociale à l'enfance, soit 100 de plus que l'année dernière.
*Les prénoms des enfants ont été modifiés.