Après plus d'un an de pandémie et une pression constante, les services de réanimation sont à bout de souffle. Des soignants de Creil, Compiègne et Beauvais se réunissent le 11 mai pour se faire entendre. Un mouvement rejoint par des dizaines de services de réanimation à travers la France.
"On aimerait que le gouvernement s'intéresse à notre sort", lâche Claire Cofflard, infirmière au service de réanimation de Beauvais depuis 18 ans. Il faut se rendre compte qu'on fait bien plus que ce que nos formations initiales d'infirmiers et d'aides-soignants nous apprennent." Après plus d'un an de pression permanente dans son service, Claire Cofflard est fatiguée. Pourtant, son métier, elle l'adore, et elle en parle avec passion. "J'ai la réa en moi, je m'y sens utile, et je veux y rester."
"Le stress, la charge émotionnelle, le bruit permanent des alarmes..."
Alors, dès le début de la crise sanitaire, elle a accepté, comme ses collègues, de venir sur ses jours de repos, d'annuler ses congés, d'augmenter sa charge de travail. Mais aussi de s'occuper de plus de patients et de former des collègues, notamment du service de cardiologie, qui n'avaient jamais travaillé en service de réanimation. "Aujourd'hui, elles travaillent en autonomie, mais elles ne sont pas forcément rassurées. C'est normal, il faut environ un an pour se sentir vraiment à l'aise en réanimation. Alors on essaie dans la mesure du possible de pas leur donner des patients trop lourds en termes de charge de travail", explique-t-elle. Car les soins en réanimation exigent des compétences spécifiques : manipulation de certaines machines, surveillance accrue des patients, dosage de médicaments...
Et au-delà du côté technique, il y a aussi la responsabilité de s'occuper de patients dont le pronostic vital est souvent engagé. "Avant le covid, personne ne se rendait compte de que c'était la réa. Le stress, la charge émotionnelle de s'occuper des patients dans le coma mais aussi de leurs familles en détresse, le bruit permanent des sonneries et des alarmes... Aujourd'hui on en parle un peu plus mais maintenant il nous faut de la reconnaissance."
Pour une reconnaissance de la spécificité du métier
Aujourd'hui, officiellement, être infirmier en réanimation n'est pas considéré comme une spécificité par rapport à d'autres services. "En gériatrie et aux urgences, les infirmiers ont une prime pour la pénibilité, et c'est bien normal d'ailleurs. Ceux qui s'occupent de l'hémodialyse également, et c'est normal aussi. Mais nous, non, alors qu'on est aussi amenés à faire des dialyses et à s'occuper de personnes âgées", déplore Nicolas Bauge, infirmier en réanimation à Creil. En effet, ces primes appellées "NBI" (nouvelle bonification indiciaire) sont des primes versées aux personnels "exerçant une responsabilité ou une technicité particulière", et les soignants des services de réanimation ne la touchent pas. "Pourtant, en cas d'arrêt maladie ou de période exceptionnelle comme celle-ci, et bien personne ne peut nous remplacer, parce que c'est trop spécifique. Il y a beaucoup de calculs de dosages de médicaments, on utilise des machines particulières, etc. Et puis de toute façon, personne ne veut nous remplacer, parce que la réa, ça fait peur. Donc on est obligés de s'auto-remplacer entre collègues."
Cette reconnaissance de spécificité, il va la réclamer dans la rue, avec Claire Cofflard et des dizaines d'autres soignants des services de réanimation des hôpitaux de Beauvais, Creil et Compiègne, le mardi 11 mai, sur la place Jeanne Hachette à Beauvais.
Ça ne peut plus durer. D'ailleurs quand Olivier Véran dit qu'on manque de soignants en réanimation parce qu'il faut un ou deux ans pour former un infirmier à la réanimation, ça montre bien qu'il y a une spécificité. Alors c'est bien de le dire mais pourquoi ne pas le reconnaître officiellement ?
L'idée est née sur un groupe Facebook, créé par Claire Cloffard et sa collègue Florence Georges pour faciliter les échanges entre différents service de réanimation de l'Oise. Leur service avait déjà déclaré une grève illimitée le 15 septembre, avec les mêmes revendications. "Petit à petit, des réas de toute la France ont rejoint le mouvement, explique l'infirmière. On a déjà 120 villes mobilisées et chaque jour d'autres nous rejoignent." Le 11 mai, des rassemblements comme celui de Beauvais seront donc organisés dans de nombreuses villes de France, devant les hôpitaux ou les Agences Régionales de Santé (ARS). "Une délégation de soignants des trois hôpitaux de l'Oise sera reçu par l'ARS à Beauvais ce jour-là. On entend aussi parler de mobilisations à Paris, on espère qu'une délégation parisienne pourra être reçue au ministère de la Santé."
Pour Nicolas Beauge, la crise sanitaire n'a fait qu'accentuer ce problème qui existait déjà avant. "Les urgences discutent déjà ensemble depuis longtemps, ils ont un collectif, ils font des manifestations. Les services de réanimation ont toujours été moins revendicatifs, même si ça fait longtemps qu'ils essaient d'obtenir la reconnaissance. Mais là, tout le monde en a marre, la crise sanitaire, ça a été la groutte d'eau, analyse-t-il. Ça ne peut plus durer. D'ailleurs quand Olivier Véran dit qu'on manque de soignants en réanimation parce qu'il faut un ou deux ans pour former un infirmier à la réanimation, ça montre bien qu'il y a une spécificité. Alors c'est bien de le dire mais pourquoi ne pas le reconnaître officiellement ?"
Dans l'attente d'une réponse du gouvernement
Les deux infirmiers affirment avoir des bonnes relations avec leurs directions respectives, qui sont à l'écoute et comprennent leurs revendications. Problème : ils ne peuvent décider localement de cette revalorisation salariale, qui doit être actée par décret gouvernemental.
Sur le groupe Facebook privé, les soignants de dizaines de services de réanimation à travers la France échangent sur leurs conditions de travail et leurs besoins. Ils ont constaté d'autres revendications communes, notamment l'augmentation du nombre de lits accompagnée de personnel soignant formé spécialement à la réanimation, et le respect du ratio soignants/lits, pour éviter que le personnel ne soit débordé par le nombre de patients dont il faut s'occuper en même temps. "Et on se bat aussi pour la reconnaissance des aides-soignants de réanimation, car sans eux ça ne pourrait pas fonctionner non plus, on travaille en binôme", ajoute Claire Cofflard.
Les parlementaires ont également été interpellés, dont certains ont porté le sujet devant l'Assemblée nationale, sans qu'une réponse concrète du gouvernement n'ait été formulée pour le moment. "On a écrit un courrier aux députés mais aussi au président le la République. On a pu le lire à Amélie de Montchalin, la ministre de la Fonction publique, lors de sa visite dans l'Oise. Elle nous dit qu'elle nous soutenait dans notre démarche et a même répondu au courrier par écrit. Elle a dit qu'elle le transmettrait à Olivier Véran, mais pour l'instant, on nous a seulement dit que ce serait traité courant 2021", explique Claire Cofflard. Une pétition vient également d'être lancée par le collectif de soignants.