Le troisième jour du procès de l'assassinat de Shaïna est consacré à l'audition de la famille de l'accusé, qui clament l'innocence du jeune homme, petit ami de la victime à l'époque du drame. Deux ex-codétenus qui auraient recueilli ses aveux en prison ne se sont pas présentés à l'audience.
Écrasé sous un soleil de plomb, le parvis du palais de justice de Beauvais s'est bien vidé ce mercredi 7 juin. Curieux, soutiens et presse ont déserté l'enceinte ce troisième jour du procès de l'assassinat en 2019 de la jeune Shaïna, et se font aussi rares que les paroles en public de la famille de la victime, assommés par les témoignages qu'ils entendent chaque jour à l'audience. Un curieux ballet se joue à chaque suspension d'audience : les quelques journalistes viennent à la rencontre des avocats de chaque partie pour se faire conter les débats, qui se déroulent toujours à huis clos.
Sur l'esplanade, patiente une poignée de Creillois, notamment des connaissances du suspect, petit ami de Shaïna au moment des faits et âgé de 21 ans aujourd'hui. "J'ai grandi avec lui, glisse l'un d'eux. Je ne l'ai pas vu depuis quatre ans, mais à l'époque, c'était quelqu'un qui avait des valeurs, qui ne parlait pas des femmes et pour qui elles n'étaient pas un sujet vraiment important. Ça fait bizarre de le voir aujourd'hui jugé pour un truc qu'il aurait fait à une femme", poursuit cet ami d'enfance. Lui se dit "sceptique" quant à la culpabilité de l'accusé.
Les parents de l'accusé entendus
L'innocence de ce dernier, sa propre mère en est convaincue. Entendue en début d'après-midi par la cour d'assises pour mineurs de l'Oise - l'accusé étant mineur au moment du drame - la jeune maman a joué la même partition que son fils, qui réfute toute responsabilité dans la mort de Shaïna. Le père et le beau-père du jeune homme ont aussi été auditionnés.
La famille de mon client a beaucoup de compassion envers celle de Shaïna mais, en tant que proches de l'accusé, ne se sentent pas légitimes pour aller les voir et l'exprimer. La maman a parlé des difficultés que traverse sa famille, de la détention. Son fils était pointé du doigt avant même d'arriver en prison, où il a pu subir des bizutages, et le mot bizutage est faible.
Me Élise ArfiAvocate de la défense
"Par son discours, elle n'a pas donné [à son fils] la possibilité d'avouer, regrette de son côté Me Negar Haeri, conseil de la famille de la victime. C'est une manière de l'enfermer dans ses mensonges, il ne peut pas décevoir sa mère. (…) C'est un amour dont la qualité interroge." Le jeune homme est présumé innocent, avant le verdict qui pourrait intervenir très tard vendredi 9 juin, voire déborder sur une journée supplémentaire en raison de retards sur le planning prévisionnel.
Les enquêteurs, qui ont attendu près de trois heures le mardi 6 juin avant de se faire signifier qu'ils devaient revenir déposer le lendemain, sont finalement venus déposer à la barre en fin de journée ce mercredi 7 juin.
Des confessions en prison ?
Jusque-là, seuls des proches des acteurs du dossier aux connaissances parcellaires ont défilé à la barre. Dans la matinée, la cour a pu auditionner des proches et des codétenus de l'accusé. Deux d'entre eux, des mineurs incarcérés dans le même bâtiment en même temps que le suspect, ne sont pas présentés et un mandat d'amener a été prononcé à leur encontre par le président.
Ces derniers auraient recueilli en prison les aveux du jeune suspect, qui se serait vanté de "préférer faire 30 ans [de réclusion criminelle] plutôt que d'être le père d'un fils de pute (sic)". "On a hâte de les torturer quelque peu ces deux-là. C'est tout de même étrange de ne pas vouloir se présenter lorsqu'on veut concourir à la manifestation de la vérité", ironise Me Adel Farès, en défense.
Le courage de Shaïna
À l'issue de ce défilé de témoins - amis des acteurs du procès, habitants du quartier - une certaine représentation de la femme transparaît. "Qu'importe le côté où ils se situent, ils arrivent à la barre en nous disant que Shaïna avait une réputation de fille facile, de pute, de salope (sic). Elle aurait des vices, n'était pas fréquentable", observe Me Margaux Royaux, rappelant que cette réputation est née suite au viol en réunion dont l'adolescente a été victime en 2017, deux ans avant sa mort violente. Elle avait déposé plainte et essuyé des représailles.
Imaginez le courage de cette enfant de 12 ans, d'aller déposer plainte en sachant très bien ce qui allait se passer derrière, avec une justice qui n'a jamais été à la hauteur !
Me Zoé RoyauxAvocate de la Fondation des femmes (partie civile)
Me Royaux représente la Fondation des femmes, qui s'est constituée partie civile, car le drame vécu par Shaïna est "un cas d'école de ce que peuvent être les violences sexuelles et sexistes que peuvent subir les femmes". "Ce n'est pas une vision propre à Creil. Malheureusement, aujourd’hui, c'est comme ça qu'on voit les femmes, ajoute l'avocate. On attend des victimes de viol qu'elles soient parfaites moralement. Aujourd'hui, alors que la vie de Shaïna s'est terminée de façon tragique, on continue à dire qu'elle avait une sale réputation."
