Procès de l'assassinat de Shaïna. Jour 1 : "Tout ce qui peut arriver de pire à une jeune fille lui est arrivé"

Le procès pour l'assassinat de Shaïna, poignardée à mort et brûlée vive à Creil en 2019 à l'âge de 15 ans, s'est ouvert à Beauvais ce lundi 5 juin. Alors que l'audience se tient à huis clos, la famille meurtrie de la victime est confrontée pour la première fois à l'accusé, petit-ami de Shaïna à l'époque.

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C'est un père animé par la colère qui bondit hors de la salle des assises de Beauvais, ce lundi 5 juin. "Autant de coups de couteaux, c'est pas possible ! Ces gens ne sont pas humains !", tonne Shakill Hansye, que la famille tente d'apaiser, lors de la suspension de l'après-midi. Le père vient de passer l'heure précédente à écouter une médecin-légiste relater le supplice qu'a subi en 2019 Shaïna, sa fille de 15 ans, poignardée à mort puis brûlée à Creil (Oise). "C'est la première fois que les parents sont confrontés à l'horreur du crime", rappelle Me Negar Haeri, leur avocate.

Un "crime d'adulte"

L'accusé, 21 ans aujourd'hui et petit-ami de Shaïna à l'époque, comparaît devant la cour d'assises pour mineurs de Beauvais pour l'assassinat de l'adolescente. Et, comme il était mineur au moment des faits, le procès se déroule à huis clos, à des fins de protections de l'identité de l'accusé. Seules les réactions des acteurs du procès lors des pauses - telle la douleur de Shakill Hansye - permettent à la presse et au public de saisir ce qui se joue dans la salle d'audience. Le jeune homme encourt 20 ans de réclusion criminelle

Ce sont des coups de couteau, on parle d'aspersion d'essence, de la mise à feu du corps (…) C'est un crime particulièrement atroce, d'autant plus que le mobile, c'est probablement de garder le bébé qu'elle portait.

Me Negar Haeri

Avocate de la famille Hansye

"C'est un crime d'adulte, poursuit l'avocate de la famille. Ce n'est pas à moi de demander la levée de l'excuse de minorité, le parquet le requerra peut-être. Si elle est levée, ça veut dire que l'accusé encourt la perpétuité, comme un adulte. Si elle ne l'est pas, c'est la perpétuité divisée par deux, c'est-à-dire 20 ans."

Outre l'horreur des faits, c'était aussi la première confrontation entre le jeune homme et les proches de Shaïna, qui attendaient ce 5 juin 2023 avec impatience. "On n'a eu aucun mot de l'accusé. Quand il nous a vus, il est resté tête baissée. De toute façon, il sait ce qu'il a fait à Shaïna, estimait Shakill Hansye, plus tôt dans la journée. Il ne faut pas le remettre en liberté. Il a poignardé notre fille, il l'a brûlée. On veut que la justice lui donne une grosse peine, parce que c'est un tueur de jeune fille."

"Depuis l'assassinat de ma sœur il y a quatre ans, on attend la manifestation de la vérité, confie Yasin, le grand-frère. J'attends que la justice soit à la hauteur de ces actes abominables, qu'elle prononce une peine exemplaire", poursuit le jeune homme de 25 ans. Selon le récit des parties civiles, l'accusé est resté de marbre pendant le macabre énoncé de la médecin-légiste.

Accusé par défaut, selon la défense

Jusqu'ici discrète, la défense de l'accusé se dit satisfaite que les débats ne jouissent d'une publicité restreinte. "On sait très bien, aussi, que cette affaire a été très médiatisée et que les jurés regardent les médias. C'est pour ça qu'il est important aujourd'hui qu'on puisse dire notre position aujourd'hui, c'est-à-dire plaider l'acquittement", assure Me Élise Arfi. L'accusé nie en bloc toute participation au drame du 25 octobre 2019.

Pour les deux conseils de l'accusé - représenté par Me Arfi et Me Adel Farès - les preuves incriminant leur client, notamment les confidences que celui-ci aurait glissées à des amis et des codétenus, ne tiennent pas la route. Ils rappellent que le jeune homme n'a jamais "fait aucun aveu aux enquêteurs, contrairement à ce qui a pu être dit" et qu'il "a toujours clamé son innocence."

La justice, ça se déroule devant une cour d'assises et non devant une caméra de télévision.

Me Élise Arfi

Avocate de la défense

"On réinterrogera les témoins s'ils maintiennent leurs versions, car leurs déclarations étaient tantôt fluctuantes, tantôt différentes d'un témoin à un autre, tantôt inexactes quant à la scène de crime, détaille l'avocate de la défense. [Notre client] vit sous pression, il est détenu. On verra que plusieurs codétenus l'ont dénoncé et que c'est dû à la médiatisation de l'affaire et au fait que des gens se prétendent être des enquêteurs privés, mais ce n'est pas leur rôle. Il y a la rumeur, et il y a la justice, et cela se rend encore aujourd'hui devant une cour d'assises."

Les conseils de l'accusé confirment s'intéresser à "l'environnement de Shaïna, le climat de peur dans lequel elle vivait", afin de comprendre "pour expliquer que l'enquête s'est concentrée bien rapidement sur un suspect, à l'exclusion des autres."

Shaïna "a concentré toutes les violences"

Cet environnement, les Creillois présents pour soutenir la famille peuvent en témoigner. Faute de pouvoir assister au débat, une quarantaine de personnes, proches, voisins et membres de collectifs féministes, ont participé vers 8 h du matin à un rassemblement avant l'ouverture du procès.

"C'est une famille qui, pour moi, a été dès le début abandonnée par la police, par la justice. On ne les a pas aidés à protéger leur fille, et ce n'est pas faute d'avoir alerté, glisse une Creilloise, voisine des Hansye devant le parvis du palais de justice. Le résultat, c'est qu'elle a été tuée un soir où elle pensait se rendre à un petit rendez-vous avec son ami qui est devenu son bourreau."

C'était ma nièce, elle était adorable, elle était douce. Tout ce qu'on a pu dire sur sa réputation, c'est faux. On l'a vue grandir, contrairement à ceux qui répandent des rumeurs sur elle.

Mosaheb, la tante de Shaïna

"Pour ces gens-là, ceux qui passent leur temps dans les rues, les femmes n'ont aucun droit, poursuit la tante de Shaïna. Elles doivent se faire accompagner lorsqu'elles sortent du travail, sinon on les traite de tous les noms. Shaïna, elle avait 15 ans, c'était une adolescente encore naïve, elle jouait encore à la poupée, c'est pas une fille qui va s'attirer des ennuis. Comme elle était jeune, c'est facile de répandre des rumeurs sur elle. (…) Franchement à Creil, les garçons sont très durs. À 14 ans, ils sont déjà forts par rapport à nous, les mamans. Certains sont respectueux, mais d'autres pas du tout."

La petite foule matinale de ce lundi 5 juin peut paraître modeste, à l'image de l'émotion suscitée à Creil à l'époque des faits et de la mobilisation lors de la marche blanche en mémoire de Shaïna. "Je tenais à être présente, car Shaïna, au cours de sa courte vie de 15 ans, concentre sur elle un ensemble des violences sexistes, sexuelles, misogynes, puis un féminicide. Tout ce qui peut arriver de pire à une jeune fille est arrivé à Shaïna," assène Laurence Rossignol, sénatrice (PS) de l'Oise.

"Encore aujourd'hui, alors qu'elle a été assassinée, la mobilisation autour de la famille est insuffisante, poursuit l'ex-ministre, seule élue présente avec la conseillère régionale Chanez Herbanne. Il devrait y avoir plus d'élus, nous ne sommes que deux en tout. Comme si la honte continuait de couler sur Shaïna, comme si elle ne serait jamais une bonne victime. Au motif qu'elle était une jeune fille qui avait des relations amoureuses. Au motif que c'était une jeune fille qui avait été victime de viol." Avant sa mort en 2019, Shaïna avait été agressée sexuellement par plusieurs jeunes, faits jugés en appel en avril 2023.

Malgré tout et pour faire honneur à Shaïna, le clan Hansye entend rester soudé pendant tout le procès, dont le verdict devrait être prononcé vendredi 9 juin en fin de journée. À l'image de Yasin, impressionnant de calme lorsqu'il s'engouffre pour la première fois dans la salle d'audience, porté par les "justice pour Shaïna" scandés par le rassemblement : "Cette mobilisation, ça va nous permettre d'affronter dignement cette dure semaine !"

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