Delphine Opigez est infirmière libérale et, avec environ 60 patients visités quotidiennement, elle ne compte pas ses heures. Pourtant, la hausse des cotisations prévue par le projet de réforme des retraites menace directement sa profession et, au-delà, la couverture en soins du territoire.
Sa journée a commencé à 6 heures du matin, et devrait se terminer aux alentours de 20 heures, après 60 patients visités. Delphine Opigez, infirmière libérale depuis 7 ans dans le secteur Beauvais-Tillé, accepte ce rythme éprouvant par passion de son métier. "Le libéral, c'est passionnant ! On est chez les gens, on fait un peu partie de la famille." Mais depuis quelques temps, c'est avec le cœur lourd qu'elle vient travailler. La réforme annoncée des retraites l'inquiète. Elle craint non pas une pension trop basse... mais une perte de revenus conséquente.
Hausse des cotisations
Actuellement, les infirmiers libéraux cotisent à une caisse de retraite autonome, Caprimko. Chaque mois, ils versent 14% de leur chiffre d'affaire pour leur retraite. En tout, avec les charges versées à l'URSAFF, l'ensemble des cotisations s'élève à 48% du chiffre d'affaire. La réforme prévoit d'aligner leur taux de cotisation à celui des salariés du régime général, qui est de 28%. Cela reviendrait donc à doubler leurs cotisations retraites... pour une pension plus élevée certes, mais pas doublée.Qui dit hausse des cotisations, dit baisse de revenus. Une baisse que le syndicat Convergence infirmière estime à plus de 10%. Que faire alors ? Augmenter le prix des prestations ? Impossible : les tarifs des soins sont fixés par la sécurité sociale. "On est coincés, déplore l'infirmière. On va charger encore plus nos tournées pour essayer de sortir un revenu à peu près correct."
Couverture indispensable pour l'accès au soin
Alors Delphine hésite à continuer. À 48 ans, il lui reste encore de nombreuses années de travail. Au moins 14... mais peut-être plus. "Pour partir avec un revenu correct il faudrait que je parte à 67 ans, mais je me vois pas encore faire 20 ans avec cet investissement. Les fêtes, les week-end, les jours fériés, on est toujours là. Cette volonté qu'on a d'aider les gens, elle s'étiole au fil des jours. Je n'encourage pas les jeunes infirmières à faire ce qu'on fait."Elle pourrait alors arrêter d'exercer en libéral, mais le cœur n'y est pas. "Repartir à l'hôpital, ce serait compliqué, souffle-t-elle, la larme à l'oeil. On s'attache à nos patients." Sans compter que si les jeunes professionnels tournent le dos au libéral, on pourrait voir apparaître dans les années à venir des problèmes d'accès aux soins. "En France, il y a des déserts médicaux, mais pas de déserts infirmiers, explique Judicaël Feigueux, infirmier libéral lui aussi. On couvre l'ensemble du territoire. Si la réforme passe, il n'y aura plus le même accès aux soins."
Caisse de retraite excédentaire
Côté syndicats, c'est l'incompréhension. Ils estiment que leur système de retraite fonctionnait très bien jusque là. Leur caisse de retraite est d'ailleurs excédentaire : elle est en capacité de financer dix ans de pension d'avance. Édouard Philippe a promis que l'État ne toucherait pas à ces réserves, mais demande à ce qu'elle soit utilisé pour la transition vers le nouveau système."Cet argent aurait pu servir à revaloriser les pensions, par exemple", regrette Judicaël, qui est aussi trésorier adjoint du syndicat Convergence infirmière. Il déplore également que les calculs avancés par le gouvernement n'aient pas été précisés. "C'est totalement opaque. On nous dit qu'on sera exonérés partiellement de la CSG pour compenser la hausse des charges, mais on ne nous donne pas de chiffres précis." Pour l'instant, il s'agit encore d'une phase préparatoire avant la présentation du projet de loi, qui devrait être votée d'ici l'été 2020.