À Compiègne, les trafiquants de crack recrutent des enfants placés dans des foyers : "c'est de la main d'œuvre pas chère et moins risquée"

Dans le quartier du Clos-des-Roses à Compiègne, les recrutements de dealers se font de plus en plus tôt. Des mineurs âgés de moins de 13 ans, pour certains placés en foyer, sont approchés par les trafiquants. Explications du phénomène qui s'étend de plus en plus.

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Dans la rue, certains dealeurs ont encore des visages enfantins. C'est une tendance qui s'accentue à Compiègne. Début juillet, un garçon de 12 ans a été interpellé dans le quartier du Clos-des-Roses. Il avait en sa possession 4,5 grammes de crack, soit l'équivalent de plusieurs doses. L’adolescent est actuellement placé dans un foyer de la ville.

Depuis quelques temps, dans l'Oise, les trafiquants utilisent de plus en plus les jeunes adolescents. "Sur Compiègne, deux mineurs âgés de moins de 13 ans qui vivent dans des foyers ont été repérés sur des points de deal. Ils ont été identifiés comme appartenant à des trafics", explique Marie-Céline Lawrysz, procureure de la République de Compiègne. "Cela fait deux ans que je suis au parquet et c'est la première fois que je vois des dealers aussi jeunes et qui viennent de l’aide à l'enfance", ajoute-t-elle.

Ces jeunes ont été placés par le juge des enfants, puis confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qui dépend du conseil départemental. Ils ont bien souvent été écartés de leur cercle familial pour être protégés. "Ce ne sont pas des délinquants à l'origine. Ils ont besoin d'être placés pour leur sécurité", insiste la magistrate. En ce moment, près de 2 000 enfants sont placés dans l’Oise.

"12 enfants pour 3 éducateurs"

Comment expliquer leur enrôlement ? D'abord, bien que placés, les enfants restent assez libres et accessibles dans la journée : "Ils vivent dans des maisons et non dans des centres éducatifs fermés. Ils sont encadrés par des éducateurs le matin avant d'aller à l'école et le soir en rentrant, mais la journée ils gèrent leurs déplacements", détaille la procureure.

Elle pointe notamment du doigt un manque d'effectifs et de moyens : "Dans chaque maison, il y a 12 enfants pour 3 éducateurs. La nuit, il y a un surveillant. Les choses sont claires. Ils peuvent passer par les fenêtres." Un soir, un éducateur est allé chercher un jeune sur un point de deal : "L'éducateur a été molesté. Il s'est mis en danger en allant chercher un enfant."

Difficile donc de contenir le phénomène, notamment lorsque les dealers recrutent directement devant les portes des collèges. "D’abord, ils vendent le vendredi à la sortie des classes. Le week-end, les jeunes testent. La dépendance est quasiment immédiate et comme c’est cher, ils en viennent à devenir dealers pour se payer leur propre consommation, explique Gwenaëlle Vautrin, avocate et ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Compiègne, qui intervient dans les établissements scolaires pour faire de la prévention.

"50 euros la journée à 12 ans, c'est énorme"

Recrutés très jeunes, ils gravissent rapidement les échelons. "Au départ ils sont guetteurs. Ils sont à peine plus grands que la poubelle qu’ils transportent. Puis, ils prennent du galon et deviennent vite dealers", explique Marie-Céline Lawrysz. Le salaire est aussi un attrait important pour eux : "50 euros par jour à 12 ans, c'est énorme. Ils reviennent au foyer avec une liasse de billets. Ça leur permet d’avoir en quelque sorte une stature devant les autres enfants et de s’en enorgueillir."

D'un point de vue judiciaire, les adolescents âgés de moins de 13 ans ne risquent pas grand chose. Ils ne sont pas pénalement responsables : "Ils ont une retenue de douze heures maximum, puis, ils repartent." Mais la magistrate plaide davantage pour "une réponse sociale que pénale". "On est face à des enfants fragiles. Les éloigner et les mettre dans la Creuse est-ce que ça serait une solution ? Pas sûr. Il faut plus de moyens."

Des interpellations en hausse à Compiègne

Depuis plus d'un an, les arrestations et les condamnations se sont accentuées à Compiègne. Des opérations conjointes entre la police municipale et la police nationale ont été organisées au Clos-des-Roses. Des nouvelles caméras de vidéo-surveillance sont installées régulièrement, une équipe cynophile de 3 chiens a été formée. En 2021, 36 kilos de stupéfiants ont été saisis à Compiègne. Plusieurs interdictions de paraître ont été prononcées par la justice, des personnes condamnées ont été expulsées de leur domicile. "Tout ça, c’est un arsenal qui permet de perturber le trafic de stupéfiants", estime Simon Moulu, directeur de cabinet de Philippe Mariani, maire de Compiègne.

Mais face à la diminution du nombre de dealers dans le quartier du Clos-des-Roses, les trafiquants ont donc choisi de se tourner vers les plus jeunes. "Il y en a même qui sont recrutés en dehors de Compiègne, vers Paris et dans le nord de la France. Le recrutement se fait aussi sur les réseaux sociaux. On retrouve des publicités sur Instagram pour attirer des jeunes", affirme Gwenaëlle Vautrin.

"C'est de la main d'œuvre pas chère et moins risquée, abonde la municipalité. En ce moment, ce sont les vacances scolaires, mais les moyens seront maintenus tout l'été pour enrayer les trafics et améliorer la qualité de vie du quartier."

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