L'Obs vient de publier son classement des meilleures écoles d'ingénieur post-bac de France. Une fois encore, le magazine place en tête le cursus "Humanités et technologie" de l'Université de technologie de Compiègne. Une formation unique entre sciences de l'ingénieur et sciences humaines.
Pour ses cinquante ans, l'Université de technologie de Compiègne a reçu le 16 février un bien beau cadeau : le titre de meilleure école d'ingénieur post-bac décerné pour la troisième fois consécutive par L'Obs. "C'est une reconnaissance du travail de nos équipes et de la spécificité de notre établissement. Et ça met en avant une pépite de l’UTC", se réjouit Claire Rossi, directrice de l'Université de technologie de Compiègne.
Cette médaille d'or concerne en effet le cursus "Humanités et technologie" (Hutech) créé en 2012, qui réunit actuellement 66 étudiantes et 22 étudiants, répartis dans les cinq cycles : génie biologie, génie informatique, ingénierie mécanique, génie des procédés et génie urbain. Il s'agit d'une alternative au tronc commun (trois premières années), nourrie autant par la technologie que par les sciences humaines.
Philosophie, épistémologie, sociologie et sciences
"Il existait déjà un département de sciences humaines au sein de l'UTC. Mais Hutech devait mettre les sciences humaines davantage en synergie avec la technologie, explique Nicolas Salzmann, co-fondateur de la formation. Notre volonté de départ était de proposer aux étudiants d'avoir un regard sur le monde. La technologie doit être politique, dans le sens qu'elle structure la société".
Au programme, des modules de sciences "classiques" auxquelles s'ajoutent des matières peu communes pour de futurs ingénieurs : philosophie des connaissances, épistémologie, sociologie, histoire des sciences ou encore rhétorique.
Comme le précise L'Obs dans son article consacré aux cursus accessibles sans classes préparatoires, "Humanités et technologie" est "extrêmement sélectif" : seuls vingt-cinq étudiants sont acceptés chaque année, tous ayant obtenu une mention très bien au bac.
C'est le cas de Kéziah Coyo. Cette Axonaise d’origine a découvert l'Hutech après la visite d'étudiants de l'UTC dans son lycée : "J’étais en terminale S, mais tout m'intéressait. L'histoire et la philosophie particulièrement. Sur internet, j'avais lu qu'ils enseignaient que l'on ne doit pas subir la technologie, mais qu'il faut replacer l'humain au centre : c'est exactement ce que je cherchais".
Un recrutement ouvert aux littéraires
Des lycéens brillants, mais pas nécessairement scientifiques pur jus. Dès sa création, l'Hutech s’est fait fort d'ouvrir également son recrutement aux baccalauréats L et ES : "C'était cohérent. Mais leur présence est restée marginale, entre 3 et 5 par promotion", concède Nicolas Salzmann.
Ninon Lizé Masclef compte parmi ces exceptions. Après une première S, elle a choisi de rebasculer en terminale littéraire spécialité arts plastiques : "Mon professeur de philosophie, qui avait une sensibilité technique, m'a parlé d'Hutech, alors que ma professeure d'arts plastiques m'incitait à faire les Beaux-arts. J'étais tiraillée".
Pas évident de choisir, d'autant qu'elle ne rentrait pas dans les cases de la plateforme APB (ancêtre de Parcoursup) : "L'UTC réclamait au moins d'avoir fait une spécialité maths. J'ai contacté M. Salzmann. Il a vu ma motivation et mon dossier scolaire et il m'a donné ma chance".
Bonne pioche, la jeune femme a su rattraper son retard pendant la première année. "Mais dans ma promo, il y avait une autre littéraire et elle a dû arrêter", reconnaît Ninon.
Mon profil a tout de suite intéressé mon employeur.
Kéziah Coyo, ancienne étudiante de l'Hutech
La formation de "technologue" est en effet très exigeante. Nicolas Salzmann l'assure, "il n'y a pas de petite matière en Hutech. On met les étudiants très tôt dans une position de chercheur".
"Chaque semestre, on devait produire un mémoire de trente pages. Et il fallait allier ça à des cours classiques, mais le bénéfice est plus qu’évident", se souvient Kéziah. Un bénéfice qui se mesure à la lumière des débouchés professionnels.
Après une troisième année passée à Berlin, Kéziah s’est spécialisée en génie urbain : "J’ai étudié six mois en Erasmus et poursuivi par six mois de stage dans une administration régionale de l’aménagement urbain et du logement à Berlin". La jeune ingénieure a été embauchée dès sa sortie de l’Université de technologie de Compiègne comme consultante par un cabinet parisien spécialisé en organisation du travail : "Mon profil a tout de suite intéressé mon employeur".
À cursus atypique, débouchés atypiques
"En Hutech, on travaille sur beaucoup de choses en même temps, ça se ressent sur ma carrière", résume malicieusement Guillaume Ouattara, diplômé en génie informatique en 2019.
Après un bac S et une année de math sup qui "ne [lui] convenait pas du tout", Guillaume Ouattara a décidé de se réorienter : "Au lycée, j'étais aussi bon en lettres. En prépa, on avait un peu de français et philo, mais c'était transformé en disciplines scientifiques". Frustrant pour un jeune autant intéressé par l'informatique que par le journalisme.
À Compiègne, il peut assouvir ses différentes passions. Recruté avant même la fin de ses études au service vidéo du Figaro, il est finalement devenu directeur de la communication d'une école de psychologie, puis d'une agence de marketing. Le tout en poursuivant une activité de journaliste pigiste. Et depuis peu, il enseigne l'art du discours... à l'UTC !
Si je n’avais pas intégré l’Hutech, je serais probablement allé en fac d’arts plastiques, en musicologie ou en philosophie.
Ninon Lizé Masclef, ancienne étudiante de l'Hutech
Le cursus Hutech mène presque à tout. Même à la vie d’artiste. À l’issue de ses cinq années à Compiègne, conclues en 2021 par un diplôme d’ingénieure en génie informatique, Ninon Lizé Masclef est devenue artiste en résidence au centre d’innovation de Dassault Systèmes France. Une première en France.
Elle y a conçu un élégant masque vénitien doté d’un capteur électroencéphalogramme et de la fibre optique : "Si je n’avais pas intégré l’Hutech, je serais probablement allé en fac d’arts plastiques, en musicologie ou en philosophie. Je n’aurais pas eu un regard si critique sur les technologies et l’art. Et mes œuvres ne seraient pas aussi avancées techniquement, puisque je code moi-même", nous confie-t-elle au téléphone depuis Varsovie en Pologne.
Ninon participe actuellement à la 17e conférence internationale sur l'interaction tangible, intégrée et incarnée pour y présenter son projet. Et faire briller l’excellence universitaire compiégnoise.