Coronavirus : les musiciens de l'orchestre philarmonique de l'Oise auraient-ils dû être testés à leur retour de Chine ?

Dans un livre sur la gestion de la crise sanitaire, un infectiologue parisien pointe du doigt les failles dans la recherche du "patient zéro" du cluster de l'Oise. Il évoque notamment les musiciens de l'orchestre philarmonique qui n'ont pas été testés à leur retour de Chine.

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"La crise du Covid-19 aura été l'échec des agences régionales de santé, tout au moins dans les régions les plus touchées, des Hauts-de-France à l'Île-de-France en passant par le Haut-Rhin. Ce n'est pas une question de compétence mais de moyens alloués." Voilà le diagnostic rendu par le professeur Gilles Pialloux, infectiologue à Paris, dans son livre dont le Journal du Dimanche a publié des extraits en avant-première.

Un retour de Chine sans surveillance

Pourquoi mettre en cause, plusieurs mois après le début de l'épidémie de covid-19, le travail de l'ARS des Hauts-de-France ? Parce qu'il considère qu'une ou plusieurs pistes ont été négligées dans la recherche du "patient zéro" dans le tout premier cluster français, dans l'Oise. 

Si la piste de la base militaire de Creil comme potentiel point de départ de l'épidémie en France a fini par être écartée, l'infectiologue évoque une toute autre hypothèse : celle de l'orchestre philarmonique de l'Oise. En tournée en Chine du 25 décembre au 7 janvier, les musiciens n'ont pas été testés à leur retour en France. Il faut dire qu'à l'époque, on sait peu de choses sur ce nouveau virus, et l'Organisation Mondiale de la Santé n'a pas encore émis d'alerte. Il n'est question ni de test ni de quarantaine : l'orchestre poursuit ses représentations dans l'Oise, jusqu'au 25 janvier.

Dans la foulée, une des musiciennes qui faisait partie du voyage est hospitalisée, suspectée d'avoir contracté le Covid-19. Fausse alerte : elle souffre d'une autre pathologie, une pneumopathie bactérienne, et le test PCR revient négatif.

Une piste rapidement écartée

C'est alors que les versions divergent. Dans son "carnet de bord", Gilles Pialloux affirme qu'il a contacté fin mai l'ARS des Hauts-de-France, dont le rôle est d'identifier les personnes qui ont été en contact avec des personnes contaminées, pour en savoir plus sur cette affaire. Son interlocuteur lui aurait alors répondu que cette affaire "ne lui disait rien". À France 3 Picardie, l'ARS Hauts-de-France répond pourtant que ses services ont effectivement été informés de l'hospitalisation de cette femme dès le 31 janvier, et son voyage en Chine quelques semaines plus tôt. Et confirme que "le résultat négatif ne nécessitait pas d’investigations complémentaires conformément à la procédure de contact tracing en vigueur. L’ARS n’a été informée d’aucune autre suspicion ou cas confirmé de Covid-19 en lien avec ce voyage."

Alfred Burger, le président de l'orchestre, qui a également pris part au voyage, est lui-même persuadé qu'il n'y avait pas lieu de pousser plus loin les investigations. "On a été ensemble pendant 12 jours, si l'un ou l'une de nous avait été touché par le Covid, on l'aurait su, affirme-t-il. Nous avons été ensemble, nous sommes 31, nous nous sommes côtoyés de très près tous les jours. Nous aurions tous été contaminés, à commencer par moi, qui suis à risque puisque j'ai dépassé les 65 ans."

Les services publics ont donc bien écarté la piste d'un patient zéro parmi les musiciens. Mais d'après l'infectiologue, le fait que tous les musiciens n'aient pas été testés, par précaution, est une erreur de la part des services publics. "Je trouvais que c'était une aberration que ces groupes-là, quels qu'ils soient, n'aient pas été explorés, au moins sur le plan des tests anticorps, parce que c'est important de comprendre comment ça a démarré", nous explique-t-il. 

Une critique des pouvoirs publics

Cette enquête épidémiologique ne relève pas des ARS mais de Santé Publique France, établissement qui dépend directement du ministère de la Santé. Gilles Pialloux assure l'avoir contacté également. "Le médecin que j'ai eu m'a dit, oui, mais on se pose la question de le faire ou pas. C'est une donnée scientifique, mais avec le risque que les gens soient stigmatisés, qu'on les tiennent responsables, alors qu'ils ne sont pas responsables", raconte-t-il.  "On n'est pas en train de chercher une culpabilité, on cherche le traçage du démarrage de cette épidémie. J'ai juste été surpris que ça n'ait pas été fait.

Effectivement, il est aujourd'hui possible de faire des tests sérologiques pour détecter la présence d'anticorps au Covid-19 dans le sang, et savoir ainsi si une personne a contracté le virus par le passé. Il semble néanmoins que Santé Publique France n'ait pas estimé nécessaire de suivre cette piste.

Mais en retraçant cette histoire, le professeur Gilles Pialloux émet surtout une critique sur la gestion de la crise par les pouvoirs publics, et notamment le ministère de la Santé. "En France, tout se décidait avenue de Ségur, mais le virus éprouvait les moyens locaux, de Crépy-en-Valois à Mulhouse. Des moyens humains souvent dérisoires au regard de la crise.", écrit-il. "Les ARS étaient complètement débordées car elles n'avaient pas les moyens de compter les cas, on l'a bien vu dans l'Oise, mais pas que dans l'Oise, elles étaient débordées dans leur fonction de tracer, d'isoler les sujets contact et de dépister bien sûr", précise-t-il à notre micro.

Les musiciens de l'Oise sont d'ailleurs loin d'être le sujet principal de son livre. Il raconte avant tout le quotidien des soignants, et revient sur les différentes erreurs commises tout au long de la crise sanitaire, de la minimisation du danger à la pénurie de matériel de protection pour les soignants. 
 
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