Monika Mucha, costumière, pense et confectionne les tenues des spectacles équestres des Grandes Écuries de Chantilly. Après plus d’une centaine de spectacles, toujours aussi passionnée par son métier, elle a accepté de nous ouvrir son atelier à Valence-sur-Baïse, dans le Gers.
"On imagine qu’on fait une boucle là, ou deux qui sont entortillées et il y en a une qui part de ce côté et l’autre, de ce côté-là". Des croquis rapides sur une feuille blanche. Des tasses à café et des petits gâteaux. Chez Monika Mucha, la confection commence sur un coin de table. Il est 9 heures du matin, à Valence-sur-Baïse. C’est dans sa maison de la campagne gersoise qu’elle fait le point sur l’avancée des créations de l’année avec ses amies petites mains.
Le cheval, une donnée à prendre en compte
Depuis plus de vingt ans, elle réalise chez elle, à 800 km de la ville princière, les costumes des Grandes Écuries du château de Chantilly. À un mois du début du nouveau spectacle équestre, elle termine les dernières pièces.
J’ai beaucoup de livres, beaucoup d’inspirations, beaucoup d’idées. Je regarde et je laisse décanter. (...) J’aime bien rêver, imaginer selon les personnes et les personnages.
Monika Mucha, costumière des Grandes Écuries de Chantilly
Des costumes soumis à une contrainte de taille : le cheval. "La première question pour les costumes de Chantilly, c’est : 'est-ce qu’ils sont à pied ou à cheval' ? Explique-t-elle. Est-ce qu’à cheval, ça va se déployer de manière jolie ? Est-ce que ça ne va pas gêner ? Est-ce que ça ne va pas vibrer sur le cheval et faire mal par exemple ? Tout ça, il faut le savoir avant. Idéalement ! Parce que parfois, la mise en scène change à la dernière minute ! Mais, on arrive toujours à adapter sur place ce qu’il faut."
Le thème, cette année : une journée à Paris en 1900. Livres, photographies, la costumière s'est plongée dans les codes vestimentaires de l’époque. "J’ai une énorme bibliothèque. J’ai beaucoup de livres, beaucoup d’inspirations, beaucoup d’idées, nous montre-t-elle. Je regarde et je laisse décanter. J’aime bien avoir un mois, deux mois d’avance – que je n’ai jamais malheureusement ! – J’aime bien rêver, imaginer selon les personnes et les personnages."
Monika a moins de six mois pour réaliser une dizaine de costumes, tous aussi extraordinaires les uns que les autres. Pièce maîtresse cette année : un coq en fausse fourrure.
C’est Martine, couturière amatrice, qui l’a imaginé et qui lui a donné vie. "Au début je ne savais pas où j’allais. Donc je lui ai envoyé des photos. On en a discuté par SMS. Au début, elle me disait qu’elle ne voulait pas de orange, qu’elle ne voulait pas du rouge, gna gna gna !, s’amuse-t-elle. Mais je lui ai dit qu’il fallait qu’on fasse un jabot quand même, que ça ressemble à un coq et pas à un ours ! Voilà ! C’est le plaisir d’essayer d’arriver à quelque chose ! Le plus beau compliment qu’elle m’a fait, c’est quand elle m’a répondu 'on dirait qu’il est vivant' !"
Des costumes parfois d'époque
Mais le clou du spectacle, c’est le costume de la poule. Une création très technique. Car le personnage se transforme en fleur. "Dans la conception du costume, il fallait penser quelle forme se rapproche de la poule et de la fleur, décrit Maëlle Boireau, apprentie costumière qui assiste Monika. Donc nous, on a trouvé forcément les pétales qui se rapprochent des plumes. C’est sur ce jeu qu’on s’est appuyé. Les plumes de la poule vont se défaire pour former les pétales."
J’adore utiliser la dentelle d’époque, les bijoux d’époque. Même les plumes si c’est encore possible. Ça parle autrement que quand vous utilisez des choses neuves qui n’ont pas la même patine, le même vécu.
Monika Mucha, costumière des Grandes Écuries de Chantilly
L’autre marque de fabrique de Monika : des pièces de collections ajoutées aux costumes. Comme cet authentique bustier Belle époque. C’est à Gisèle que revient la tâche de l’ajuster pour une cavalière. "La base c’était uniquement le petit bustier avec un petit dos. On a ajouté des bretelles et des perles dessus. Beaucoup de perles. Il faut vraiment bien coudre les perles, bien les fixer sur les bretelles pour qu'elles ne bougent pas, explique cette couturière à la retraite penchée sur son ouvrage. Sur le cheval, le bustier bouge beaucoup donc il faut que ce soit très confortable et solide à la fois."
"J’adore utiliser la dentelle d’époque, les bijoux d’époque, raconte Monika en regardant Gisèle coudre les grosses perles. Même les plumes si c’est encore possible. Ça parle autrement que quand vous utilisez des choses neuves qui n’ont pas la même patine, le même vécu."
Une collection de plus de 150 costumes
Des pièces d'exception comme ce bustier d’époque, Monika Mucha en accumule depuis le début de sa carrière. Rien ne la destinait pourtant à devenir costumière. Née en Allemagne, Monika étudie les sciences humaines à Paris puis quitte l’université pour ouvrir une boutique d’antiquités. Le costume entre dans sa vie un peu par hasard. "Un copain brocanteur m’appelle un jour et me dit 'on a trouvé un lot de chiffons - C’est ce qu’il a vraiment dit parce qu’il n’y connaissait rien ! - Mais ça a l’air rigolo : il y a des hallebardes, des couronnes en métal' J’ai dit 'Quoi ? C’est génial ! Amène. C’est des trucs de théâtre !' ", s'enthousiasme-t-elle encore.
Ça a commencé comme ça. On a créé des costumes, on en a sous-loué, on a choisi. On a cherché à droite, à gauche, et on a trouvé !"
Monika Mucha, costumière des Grandes Écuries de Chantilly
Très rapidement son intérêt pour les tenues de scène va la précipiter vers la confection. Un contrat pour France Galop va lui mettre le pied à l’étrier. "La copine d’un copain me dit 'tu sais, on fait un évènement, une reconstitution de course hippique de 1830 au Champ-de-Mars. Est-ce que tu peux nous faire les costumes ?' J’ai répondu : 'oui ! Pourquoi pas !' Et ça a commencé comme ça. On a créé des costumes, on en a sous-loué, on a choisi. On a cherché à droite, à gauche, et on a trouvé !"
Costumière, un rôle taillé sur mesure qu’elle endosse depuis plus de quarante ans. Un amour pour le costume dont elle a fait un musée, attenant à son atelier. Unique en France, il retrace l’histoire du vêtement à travers 150 pièces.
Si 80 % des costumes exposés ont été créés par Monika, le reste sont des vêtements d’époque. Avec une prédilection pour les costumes du 19e siècle : "à partir de 1830, ce sont des vêtements d’époque. On a par exemple le costume d’un académicien brodé au fil d’argent de 1860. Et un jour, je vais en Irlande voir un lot de costumes qu’un costumier vendait, parce qu’il allait arrêter. J’arrive et honnêtement, c’était horrible ! C’était moche. Il n’y avait rien du tout à récupérer, rit Monika. Mais en discutant avec lui dans son bureau, il ouvre un rideau et derrière, il y avait quatre vestes, d’époque 1860 dont une ayant appartenu au vice-roi d’Irlande. Je les ai achetées toutes les quatre. Je me suis ruinée mais tant pis ! Elles dataient toutes de 1860."
Retouches de dernière minute
Certaines pièces, Monika les acquiert en mauvais état. Comme cette robe des années 20 signées d’un grand créateur. "Les deux pièces de tissu étaient reliées à la main et l’emperlage était sur le bord de ces tissus. Mais il manquait à un endroit des perles. Il a fallu recoudre tout, perle par perle. On a passé un mois pour restaurer juste un petit bout de 10 cm. Un mois !"
Parmi les costumes de son musée, beaucoup ont été portés à Chantilly. Chantilly où Monika va une nouvelle fois pouvoir tester ses nouvelles créations au cours d’un premier filage. La veille de représentation, les créations de Monika Mucha sont mises à rude épreuve.
Coutures de dernière minute, ajustements… À 24 h de la Première, les Grandes Écuries ont des allures de vestiaires. Des vêtements traînent un peu partout. Posés sur les bancs devant les box des chevaux. Suspendus aux crochets des licols. Les costumes ne sont pas encore tout à fait terminés.
Il y a eu un coup de foudre réciproque. Moi, pour sa créativité, elle, pour ce lieu incroyable !
Virginie Bienaimé, metteuse en scène aux Grandes Écuries de Chantilly
Dans la loge de couture, Monika s’affaire sur la jupe de Mathilde Pouteau, l’une des cavalières du spectacle. Il s’agit de savoir si elle préfère que la ceinture se ferme avec un crochet ou avec un bouton-pression. Ce sera finalement un bouton-pression, "plus rapide à mettre" selon la jeune femme, que Monika va coudre aussitôt. Jusqu’à la dernière minute, la costumière ajuste le moindre détail pour faciliter le travail des cavalières. "Il faut prendre en compte le fait que les changements de costume se font vite. Les filles ont plusieurs choses à mettre et c’est très compliqué, explique Monika, une aiguille entre les doigts. Alors j’ai mis plusieurs choses les unes sur les autres. Tout est superposé."
Avant le début de la dernière répétition, les cavalières défilent une à une dans la salle de couture de Monika. Elle est chez elle, dans les Grandes Écuries. Depuis plus de vingt ans, elle collabore avec la compagnie équestre de Chantilly. "Ma première rencontre avec Monika, c’était dans sa boutique à Montmartre, se souvient Virginie Bienaimé, la metteuse en scène. Cette boutique était complètement hallucinante. Une vraie caverne d’Ali Baba ! Très vite, je lui ai parlé des Grandes Écuries où j’avais la chance de faire des mises en scène. Je pense qu’elle a dû venir ici. Et voilà ! Il y a eu un coup de foudre réciproque, moi, pour sa créativité, elle, pour ce lieu incroyable !"
Dernières retouches
Le filage va commencer. Monika donne ses dernières indications car ici pas d’habilleuse. Les cavalières se débrouillent toutes seules. "Je passe ma vie à m’habiller et à me déshabiller, sourit Mathilde Poteau alors qu’elle ferme un corset à baleine d’époque. Donc il faut beaucoup travailler avec Monika pour savoir comment s’habiller vite, comment se déshabiller vite. Tout a été étudié pour que ça marche. Mais il y a parfois des ratés : il y a deux jours, je n’ai eu que des problèmes de costume et je n’arrivais pas à aller au bout de mon numéro."
Pour s’assurer que tout se passe bien, la costumière assiste au filage depuis les gradins. Certaines cavalières changeront jusqu'à cinq fois de tenues. Mais aucun détail n’échappe à Monika. "Il faut vraiment que tu fasses gaffe à tes pantalons parce que là, on les voit vachement", dit la costumière à une cavalière sur son cheval à la faveur d’une pause. Une cavalière qui la rassure : "non mais là, je ne suis pas en amazone donc c’est pour ça qu’on les voit."
Quand je rencontre des gens de l’extérieur qui me parlent de Chantilly, ils me parlent surtout des costumes. (...) Ça, c'est la force de Chantilly.
Sophie Bienaimé, directrice équestre et artistique des Grandes Écuries de Chantilly
Aussitôt les répétitions terminées, Monika file en coulisse pour recueillir les impressions des cavalières. "Quand je suis à vélo, la fermeture éclair descend, lui montre Laurie Schoeller, un pantalon bouffant orange à la main. Est-ce qu’on ne pourrait pas une attache ?" La jeune femme l’assure : avoir une costumière comme Monika est très précieux. "Le fait qu’elle soit là, c’est pratique. Ça permet de régler tous les petits détails sans attendre. Et elle voit, sur scène, dès que ça ne va pas et qu’il faut rajouter quelque chose. C’est un peu notre maman qui fait tous les petits raccords pour qu’on soit belles."
Pas le droit à l'erreur
Une maman aux petits soins, qui offre aux cavalières un écrin pour leurs personnages. "Quand je rencontre des gens de l’extérieur qui me parlent de Chantilly, ils me parlent surtout des costumes, avoue Sophie Bienaimé. Le fait d’être sur une piste de 13 m, c’est compliqué parce que toujours un peu pareil. Donc notre marque de fabrique, c’est de la mise en scène, une certaine idée des personnages et des costumes à chaque fois adaptés à chaque numéro. Et ça, c’est la force de Chantilly."
Perfectionniste, Monika peaufine ses costumes jusqu’à la dernière minute. "J’ai horriblement le trac ! Comme d’habitude. C’est comme ça. En plus, eux, ils ont le trac chacun pour soi. Moi, j’ai le trac pour tout le monde, donc c’est horrible !", rit-elle jaune, occupée avec un découd-vite assise devant sa machine à coudre. Car pour la Première, Monika sait qu'elle n'a pas le droit à l’erreur.
Le grand jour enfin arrivé, l’agitation s’empare des écuries plongées dans le Paris de la Belle époque. Des dames à grands chapeaux croisent les éventails en plumes des danseuses de French cancan. Mais pour Monika, tout n’est pas encore parfait. Penchée, une barrière au milieu des box, elle recoud, debout, une jupe blanche à volants. "Je répare un petit endroit que je n’avais pas vu avant, explique-t-elle en tirant sur un fil. Les filles ne l’avaient pas vu non plus. Et en rentrant, je passe, je vois la jupe sur la fille et je me dis 'mais il y a un problème sur cette jupe.' Donc je suis juste en train de faire une petite réparation provisoire. Mais on va reprendre entièrement la jupe parce qu’on l’a déjà utilisée dans un autre spectacle et personne ne s’était rendu compte qu’il y a des problèmes dans cette jupe ! Donc on va la refaire."
Je suis très contente et fière de porter ces costumes d’époque.
Mathilde Poteau, cavalière
Pendant ce temps, Mathilde Poteau enfile son costume, avec l’aide de son partenaire de scène. C’est elle qui va porter le bustier datant de 1900, brodé de perles et transformé pour être porté à cheval. "Ce sont quand même des pièces de collection, avec des pierres etc. Je suis quand même aussi en soutien-gorge sur scène, tient à noter la cavalière. Ce qui n’est pas forcément évident. Sur le coup, ça n’a pas été évident mais maintenant, je l’assume. Et je suis très contente et fière de porter ces costumes d’époque."
Costumière mais surtout artiste
L’heure est venue pour Monika de s'éclipser. Le temps des retouches est terminé. "J’attends toujours jusqu’à la dernière minute pour voir s’il y a un problème ou autre. Mais à un moment, c’est fini. Les cavaliers doivent se maquiller et se concentrer. Et là, je ne les dérange plus", explique la costumière à quelles minutes du début du spectacle qu’elle va suivre depuis les gradins, parmi les spectateurs.
Les tableaux s’enchaînent. Chants, lumières, chorégraphies équestres. En coulisse, le personnage de la poule se prépare. Un costume qui a demandé beaucoup de réflexion pour que l’animal se métamorphose en fleur. Une prouesse technique dont rêvait la directrice de la compagnie. "C’est une idée que j’ai eue, un délire même, reconnaît Sophie Bienaimé alors qu’elle enlève le costume. Je l’avais exprimé, très mal d’ailleurs. Heureusement, Super Monika et Super Maëlle ont tout refait et c’est extra ! Après, je ne sais pas ce que ça donne sur scène. Mais j’ai l’impression d’être une enfant de maternelle qui s’éclate à son spectacle de fin d’année !"
Cette année encore, les créations de la costumière, artiste de l’ombre, font l’unanimité. "La touche de Monika, c’est sa grande créativité, estime Sophie Bienaimé. Parce qu’on peut avoir un grand savoir technique, on peut avoir un grand savoir historique mais Monika, elle délire ! C’est une grande artiste. Et c’est une chance pour nous. C’est irremplaçable !"
Une fois le spectacle terminé, Monika peut enfin reprendre son souffle. Soulagée parce que "dans l’ensemble, ça s’est bien passé". Elle a quand même remarqué "deux ou trois petites choses que personne n’a vues mais moi oui, parce que je suis une grande perfectionniste !"
Prochain défi pour Monika Mucha, les costumes du spectacle d’hiver.
Édité par Jennifer Alberts / FTV