Des caméras de vidéosurveillance algorithmique dans l'Oise : "notre vie privée a pris un coup"

La mairie de Méru dans l'Oise a fait installer des caméras de vidéosurveillance capables de reconnaître des infractions et de rédiger des procès-verbaux. L'objectif affiché : mettre fin aux dépôts sauvages d'ordures. On vous explique comment fonctionne cette technologie controversée.

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Les deux nouvelles caméras de surveillance ont été installées dans la ville de Méru et pourtant, vous ne les verrez pas. Elles sont posées dans des endroits stratégiques, tenus secrets, pour que la police municipale "prenne les poissons dans le filet", comme l'explique Andrea Gamaury, le responsable pour les Hauts-de-France de la société Vizzia, qui produit ces dispositifs.

En tout, elles ont permis d'identifier plus de 200 dépôts sauvages d'ordures en août 2024 contre 182 sur toute l'année 2023. Cette efficacité est due à l'algorithme intégré au système des caméras qui repère l'infraction et envoie une notification associée à une vidéo des faits à la police municipale.

Une technologie qui répond à un besoin d'efficacité

Stéphane Legrand est le chef de la police de Méru et il est ravi de cette innovation. "L’intelligence artificielle me permet de ne pas avoir d’agent derrière une caméra tout le temps. Elle m’envoie des alertes quand elle détecte une infraction. C’est l’outil qui fait le travail et moi, je n’ai plus qu’à traiter directement les infractions. Mes agents sont dédiés à d’autres missions pendant ce temps-là. On ne cherche pas l’infraction, ça tombe dans le panier tout seul. Elle traite les infractions même quand on est fermés".

L'outil est tellement performant, qu'il rédige presque les procès-verbaux tout seul : "Les documents sont préremplis. On a plus qu'à mettre les coordonnées de la personne en infraction qu'on repère grâce à sa plaque d'immatriculation par exemple". Une amende de 0 à 15 000 € peut être infligée par le maire grâce à la loi AGEC et, une autre procédure est lancée au pénal par la maire. Le tout est réglé en quelques minutes d'après le policier.

L'objectif pour la commune est d'éviter de surcharger les effectifs d'entretien. Deux personnes sont employées quotidiennement aux ramassages de dépôts sauvages, selon Pascal Rosier, le directeur des services de la ville. "Ce n'est pas satisfaisant pour eux et puis même la ville n'aurait pas un aspect esthétique acceptable".

La municipalité espère que les verbalisations plus nombreuses permettront de stopper le dépôt d'ordures dans les endroits ciblés pour ensuite prendre en mains d'autres lieux de dépôts identifiés. "Si on voit que les caméras ne relèvent plus d'infractions, on va les déplacer", précise le fonctionnaire.

Une technologie récente et très encadrée

Bien qu'elles soient très efficaces, ces caméras ne sont pas poussées à leur plein potentiel. "C'est la seule infraction qu'on va être capable de repérer, mais il faut bien retenir le fait qu'aujourd'hui cette apparition de déchets au sol, ça va de la petite canette de coca jusqu'à un gros tas de pneus ou de gravats", explique Andrea Gamaury, le responsable Hauts-de-France. 

Elles ne repèrent que le fait qu'un objet supplémentaire soit déposé dans une zone qui n'est pas prévue pour ça, rien d'autre. Et c'est important parce que le décret n° 2023-828 du 28 août 2023, qui encadre l'utilisation de ces caméras munies d'algorithmes, n'autorise qu'à titre expérimental ces dispositifs. Le décret a été prévu pour les Jeux olympiques et pour des lieux "particulièrement exposés à des risques d'actes de terrorisme ou d'atteintes graves à la sécurité des personnes".
Ces conditions d'exploitation sont très imprécises et très larges à la fois, comme l'explique Maître Antoine Chéron, avocat spécialiste de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies : "Les maires ont le droit d'utiliser ces caméras dans le cas d'événements anormaux ou de colis abandonnés et donc de déchetteries sauvages comme celles-là. Mais c'est assez large. Par exemple, on peut repérer un mouvement de foule. Et un mouvement de foule, c'est tout et n'importe quoi, comme une densité trop importante de personnes. On peut même penser à des grèves par exemple. Donc oui, ça comprend des choses qui sont très très vagues", explique-t-il.

Créée dans un souci de maintien de la sécurité, la loi peut s'appliquer à des dangers immédiats (par ex. risque terroriste) comme indirects (pollution) ou différés. L'avocat donne alors l'exemple du secteur du BTP : "ils balancent des déchets au quotidien et le problème, c'est qu'il y a des matières toxiques qui infectent nos rivières, qui polluent et qui ensuite engendrent des problématiques de santé publique pour les citoyens".

Cette technologie crée tout de même des inquiétudes pour les particuliers. "Le peuple demande plus de sécurité donc ce que fait le gouvernement. Il propose plus de sécurité. Oui, on a une atteinte à la vie privée qui est flagrante depuis des années. Notre vie privée a pris un coup. Aujourd'hui, parce qu'on a des ressources humaines beaucoup plus faibles dans le cadre de la police, on a besoin d'avoir des outils qui permettent d'analyser, ou en tout cas de déclencher des signalements lorsqu'il y a des événements anormaux. Cest sûr qu'au niveau de la vie privée, ça pose un problème parce que les gens vont être vidéosurveillés en permanence.", ajoute l'avocat.

Malgré tout, la loi prévoit toujours des garde-fous jusqu'à maintenant. Même dans le cadre de ce décret, les algorithmes "ne peuvent procéder à aucun rapprochement, aucune interconnexion ni aucune mise en relation automatisée avec d'autres traitements de données à caractère personnel." Les visages ou plaques d'immatriculations ne peuvent pas être identifiés par le logiciel par exemple. 

Une technologie à la frontière de la légalité ?

Interrogé sur la légalité de son dispositif, le responsable régionale répond : "Ce n'est pas de l'intelligence artificielle comme l'entend la loi, c'est souvent un abus de langage. On est dans les clous, on respecte complètement la RGPD (Réglement général de la protection des données ndlr). On est sur des algorithmes qui sont quand même très spécifiques et qui ne se concentrent pas du tout sur le caractère privé et des données privées puisqu'on détecte uniquement de l'apparition de déchets [...] Si vous commencez à analyser du comportement ou des visages, là, vous êtes effectivement sur des caractères privés qui sont trop particuliers et vous ne rentrerez pas dans les clous. Là, on serait presque sur de l'intelligence artificielle."

Conscient que le domaine est de plus encadré, le responsable ne s'inquiète pas pour son activité : "Aujourd'hui, on est en lien systématique avec les ministères, la CNIL etc. On est aussi sujet à des analyses et à des avis qui sont prononcés". L'entreprise qui n'a que deux ans se porte plutôt bien puisque ses produits sont déjà distribués partout en France. Elle a déjà vendu ses services à 80 communes et espère atteindre 120 communes partenaires d'ici à la fin de l'année.

Son champ de compétence pourrait lui aussi s'étendre : "L’idée, c’est de développer des caméras toujours plus performantes et qui pourront peut-être, dans le temps, détecter autre chose que le dépôt sauvage. Aujourd’hui, c'est notre spécialité, mais on sait qu’il y a d’autres problématiques rencontrées par la police municipale qui prennent énormément de temps et sur lesquelles on pourrait se positionner. Des problématiques de sécurité publique ou autres...", annonce le représentant de l'entreprise qui commercialise les caméras.

Une technologie vouée à se développer

L'évolution de la loi devrait permettre à l'entreprise d'étendre son activité prochaine, comme nous l'explique Maitre Chéron : "Aujourd'hui, on parle de la captation d'images pour la régulation des flux de transport. Donc, on n'est pas dans le domaine de la sécurité. On en parle aussi de surveillance aux frontières et là aussi, c'est plus ou moins de la sécurité."

L'avocat précise alors : "Le législateur, au nom de la sécurité, étend la sphère de l'application de ces dispositifs dans les propositions de loi, notamment dans celle qui arrivera, qui s'appliquera jusqu'en 2027 pour, on le voit bien, de la surveillance aux frontières."

Le 13 février 2024, le Sénat a adopté, en première lecture, une proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports, déposée par le sénateur (LR) Philippe Tabarot et plusieurs de ses collègues. Une loi qui permettrait d'identifier plus facilement les voyageurs qui transitent dans les trains. Ce texte est désormais transmis à l'Assemblée nationale. Il pourrait entrer en vigueur prochainement.

Avec Naïm Moniolle / FTV

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