Un procès-verbal de la CNIL datant de février 2020 vient d'être dévoilé par Mediapart. Le gendarme du net avertit la ville de Valenciennes du "caractère particulièrement intrusif" de son système de vidéosurveillance dernière génération déployé en 2018 et offert gracieusement par Huawei.
La commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a mis en garde Valenciennes (Nord) sur l'usage de son dispositif de vidéo protection fourni par Huawei, au "caractère particulièrement intrusif".
308 caméras parsèment Valenciennes, et le nombre devrait monter à 323. Pour rappel, Huawei avait grâcieusement offert en 2017 ces caméras avec l'objectif d'en faire son tout premier laboratoire "safe city" (ville sûre) en France. Elles ont commencé à être déployées en 2018.
Cette technologie avancée permet, en Chine, de contrôler la population : la reconnaissance faciale repère notamment les comportements suspects, ou les infractions comme le non-port de la ceinture. Officiellement, ces dispositifs ne sont pas utilisés par la ville.
Une "vitrine en France" pour Huawei
Dans son procès verbal du 12 février 2020, dévoilé par Mediapart, la CNIL explique que la "mise à disposition" de caméras "permet à la société Huawei de disposer d'une vitrine en France". Les différents outils mis à disposition incluent "un dispositif de lecture automatisée des plaques d'immatriculation" ainsi que des "dispositifs d'analyse assistée des images".
La lecture automatisée des plaques d'immatriculation "a, selon les indications fournies par la commune, pour objectif de répondre de manière automatisée aux requêtes des forces de l'ordre", explique la Commission dans son avertissement. Toutefois, pour la CNIL "un traitement de lecture automatisée des plaques d'immatriculation ne saurait être mis en oeuvre licitement par la commune de Valenciennes" pour répondre aux "réquisitions" des forces de l'ordre.
Un traitement de lecture automatisée des plaques d'immatriculation ne saurait être mis en oeuvre licitement par la commune de Valenciennes.
Concernant les dispositifs d'analyse assistée des images, "en l'état", "la nécessité" de son traitement "n'apparaît pas établie au regard des finalités poursuivies". Il est également "susceptible d'engendrer un risque élevé pour les droits et les libertés des personnes physiques" et permet "la surveillance systématique des personnes circulant dans l'espace public à l'échelle de la ville".
Contactée par l'AFP ce mardi 3 août, la CNIL a indiqué que cet avertissement "n'est pas une décision publique mais avait pour vocation d'avertir le responsable de traitement que le dispositif envisagé mais non utilisé par la commune n'était pas conforme au droit en vigueur concernant la protection des données personnes". Ni sanction, ni mise en demeure n'ont été rendue publiques "dans ce domaine mais il s'agit d'un sujet de contrôle récurrent".
Plusieurs questions autour de ce cadeau
Depuis la mise en place de ces caméras, plusieurs questions se posent au sein de la ville. D'abord, parce que Huawei affiche sa proximité avec le régime chinois, connu pour son contrôle technologique strict de la population. Les antennes 5G de la marque, autorisées en France, sont soumises à un contrôle approfondi et constant des autorités.
Ensuite, parce qu'en mars 2017, le Canard enchaîné évoquait une curieuse suite de coïncidences : l'ancien député-maire de Valenciennes - il ne l'était plus depuis 2002 - venait de siéger au sein du conseil d'administration de l'entreprise Huawei Technologies France fin 2016. Deux mois plus tard, la ville devenait "ville-pilote" pour tester le système de vidéosurveillance dernier cri de la marque.
Pour Luce Troadec, conseillère municipale d'opposition de la liste Valenciennes Verte et Solidaire, cet avertissement de la CNIL "n'est pas une surprise. Quand on a fait notre travail de recherches lors des municipales sur cette question, des informateurs nous ont alerté sur le centre de traitement des images" de vidéosurveillance.
Il y a la question de qui regarde les images, sont-elles assermentées, quels logiciels sont derrière.
"Il y a la question de qui regarde les images, sont-elles assermentées, quels logiciels sont derrière", s'interroge la conseillère municipale, qui fait savoir son inquiétude et rappelle qu'il y a eu "un reportage de Cash Investigation, un article du Canard Enchaîné sur le cas de Borloo."
Et même si le maire UDI Laurent Degallaix assure que la loi est respectée, "la CNIL dit qu'il n'en est rien". De nombreux points persistent : "y a-t-il possibilité grâce au caméras de suivre quelqu'un dans la ville avec une reconnaissance faciale ? Y a-t-il un organisme de contrôle ? Les libertés publiques sont-elles respectées ?" Visiblement, pour Luce Troadec, "ce n'est pas le cas" et si, selon elle, la CNIL n'avait pas fait d'enquête approfondie, "on n'en saurait rien. Maintenant, on va attendre la réaction de la mairie."
Contactée ce mercredi matin, la mairie de Valenciennes n'a pour l'heure pas donné suite à nos sollicitations.