Le logiciel de vidéosurveillance utilisé par la police de Roubaix jugé légal, soulève des inquiétudes

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Le tribunal administratif de Lille, saisi par plusieurs associations, autorise l'utilisation de cet outil vidéosurveillance algorithmique tant que sa fonction de reconnaissance faciale, qui suscite la polémique, n'est pas activée. Mais des craintes demeurent sur l'atteinte aux libertés individuelles.

Briefcam. Le nom de ce logiciel de vidéosurveillance algorithmique (VSA), créé par une entreprise israélienne en 2008, était encore inconnu il y a quelques semaines. C'est une enquête du média d'investigation Disclose, publiée le 14 novembre, qui a révélé son existence au grand public. Suscitant la polémique.

On apprend à la lecture de l'article, basé sur des documents internes de la police française, que les forces de l'ordre utilisent ce programme "en secret" depuis 2015. Problème, en dehors de son usage pour reconnaître un véhicule grâce à sa plaque d’immatriculation ou une personne sur la base de ses vêtements, l'outil offre aussi une fonction de reconnaissance faciale, dont l'utilisation est strictement encadrée par la législation française et européenne.

Une "centaine de communes" équipées

Pourtant, cela n'a pas empêché Briefcam de se déployer au sein de la police nationale, mais aussi parmi les polices municipales. "Plus d’une centaine de villes" seraient équipées du logiciel selon son représentant en Europe, Florian Leibovici, cité par Disclose. Cela concerne notamment Nice, Roanne, Aulnay-sous-Bois, Perpignan ou encore Roubaix.

À la suite de ces révélations, et craignant des atteintes au droit à la vie privée, plusieurs associations et syndicats (Ligue des droits de l'homme, le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale Solidaire, l’Association de défense des libertés constitutionnelles et le Syndicat des avocats de France) ont saisi les tribunaux administratifs des communes concernées pour demander de cesser l'utilisation de Briefcam.

Le tribunal autorise Roubaix à continuer

Dans le cas de Roubaix, le tribunal administration (TA) de Lille a rejeté la demande des requérants. "L’utilisation d’un logiciel de vidéosurveillance qui comporte une fonction de reconnaissance faciale n’est pas illégale si cette fonction n’est pas activée par l’utilisateur", explique l'ordonnance rendu mercredi 29 novembre 2023.

Pour le juge des référés du tribunal, la commune utilise le logiciel dans le cadre du respect de la loi, "sur réquisition judiciaire", et "uniquement pour l’identification de plaques d’immatriculation de véhicules". L'adjointe à la sécurité de Roubaix, Margaret Connell confirme et précise : "cela sert à verbaliser des automobilistes, pour des rodéos urbains, lors de courses-poursuites ou des délits de fuite." Le logiciel aurait été utilisé dans ce cadre "à 23 reprises au cours de l’année 2023", indique la commune. Roubaix compte environ 450 caméras de surveillance.

"La reconnaissance faciale ne sera jamais utilisée"

"La fonction de reconnaissance faciale n'a jamais été utilisée, a également constaté le tribunal. Elle est désactivée et elle ne peut être utilisée qu’après une intervention directe sur le logiciel qui ne peut pas être réalisée par son utilisateur". Le 20 avril dernier, la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL) a d'ailleurs procédé au contrôle sur place du système de vidéoprotection de la commune sans relever de manquement à la protection des données personnelles, indique l'ordonnance.

Mais alors pourquoi acheter un logiciel avec cette fonction de reconnaissance faciale - capable d'identifier une personne par sa taille, couleur de peau, couleur de cheveux, âge, sexe, et de la suivre... - si c'est pour ne pas l'utiliser ? Margaret Connell évoque des questions de "prix" et de "qualité". "Briefcam est assez connu et offre de nombreuses possibilités, explique l'élue. Mais dans notre bon de commande, nous n'avons pas demandé la reconnaissance faciale." Et de conclure : "elle n'a jamais été activée et ne le sera jamais."

Associations et syndicats dénoncent "un manque de transparence"

Des explications de la mairie et du tribunal qui ne sont pas d'ordre à rassurer complètement associations et syndicats. "Même si elle a le mérite de réaffirmer les conditions d'utilisation spécifiques de ce logiciel, cette décision ne nous satisfait pas pleinement, réagit Philippe Vervaecke de la section lilloise de la Ligue des droits de l'homme. Selon lui, un "manque de transparence demeure" sur l'usage circonscrit du logiciel.

Du côté du syndicat de la magistrature, on estime que les garanties ne sont pas suffisantes pour s'assurer d'une utilisation de ce logiciel dans un cadre légal. Concrètement, il craint que les agents de police municipaux puissent exploiter ce puissant logiciel et ses algorithmes, avant même la réquisition judiciaire. Et donc manier des données personnelles illégalement avec un risque d'atteinte aux libertés fondamentales des personnes filmées. C'est pourquoi il demande une "clarification dans la mise en œuvre technique".

Crainte d'un usage massif de la vidéosurveillance algorithmique

Au-delà de la question de la reconnaissance faciale, le syndicat de la magistrature s'inquiète de "la manière dont s'est déployée la vidéo surveillance algorithmique (VSA)". Jusqu'ici, seule la loi sur les JO 2024 adoptée au printemps autorisait une expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique jusqu’à la fin du mois de mars 2025. "Et là on apprend qu'elle est utilisée dans toutes les situations", dénonce Thibaut Spriet.

Massification et déploiement à grande ampleur de ces technologiques de surveillance, tels sont les craintes partagées par les requérants. Dans une proposition de résolution du 21 novembre dernier, plusieurs députés de la Nupes, dont Ugo Bernacilis, député du Nord, demandent la création d'une commission d'enquête sur "l’utilisation par la police nationale, la gendarmerie nationale et certaines polices municipales du logiciel de l’entreprise Briefcam."

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