Depuis que Sanofi a engagé des négociations pour céder au fonds américain CD&R 50% d'Opella, l'entité qui produit le Doliprane, les salariés du site de Compiègne craignent le pire. Plus de 400 millions de boîtes jaunes sortent de l'usine de l'Oise chaque année.
"Nous nous sommes mobilisés pendant les années Covid, période durant laquelle Sanofi n’a pas été en mesure de développer un vaccin. Les salariés ont fait tous les efforts nécessaires pour assurer la production de Doliprane. On a fait des heures supplémentaires. On s’est tous mobilisés. Et à peine sortis du Covid qu’on apprend que Sanofi souhaite nous céder. Les salariés prennent ça pour une trahison."
Un repreneur décisionnaire ?
Adrien Mekhnache est en colère. Pour le délégué CFDT de Sanofi Compiègne, l'annonce de la possible vente de 50% d'Opella, la maison mère du célèbre Doliprane, "c’est une forfaiture de la part du groupe".
Selon lui, la vente de la moitié d'Opella cache une prise de contrôle de l'acheteur, un fonds d'investissement américain : "Le repreneur sera décisionnaire : au conseil d’administration, il y aura un administrateur supplémentaire représentant le fonds d’investissement pour que le fonds d’investissement soit décisionnaire", avance-t-il.
Cette vente n'est pas vraiment une surprise pour Adrien Mekhnache qui dénonce la nouvelle politique de Sanofi : "aujourd’hui, seules les marges priment. Sanofi décide de miser sur l’immunologie. Il y a deux ou trois ans, c’était sur l’oncologie. Les stratégies fluctuent au gré du vent, explique-t-il. Sanofi préfère aujourd’hui prioriser les produits avec peu de volume, mais de fortes marges. À Compiègne, on fait 27% de marges. Sanofi a pour objectif d’atteindre les 32% de marge. Ce qui explique cette recentralisation sur une seule partie des produits au sein du groupe, à savoir les vaccins, les biotechnologies et plus précisément l’immunologie."
En janvier 2021, lors d'une grève nationale des salariés du groupe, il s'étonnait de la création d'Opella qui allait être effective six mois plus tard. Le site de Compiègne allait alors être rattaché, avec celui de Lisieux dans le Calvados et le centre de distribution d’Amilly dans le Loiret, à cette nouvelle entité. "On ne comprend pas trop l’intérêt de créer une entité séparée si ce n’est pas pour nous vendre après", s'interrogeait-il alors.
Crainte d'une délocalisation aux États-Unis
Aujourd'hui, les salariés de Compiègne sont en colère. Ils craignent également pour leur emploi : "L’appartenance à un grand groupe, ça rassure. Il y a un socle social important, des acquis sociaux importants. Pour demain, la plus grosse crainte, c’est la perte de ces acquis, mais aussi d’effectifs : on sait que les fonds d’investissement ne font pas dans le social, constate-t-il. D’ici à quelques années, à moyen terme, on craint une baisse des effectifs programmée via des PSE (plan de sauvegarde de l'emploi) par exemple. On craint aussi la délocalisation de la production : le Doliprane étant à 95% franco-français, si c’est un fonds d’investissement américain qui récupère notre entité, le Doliprane ne sera peut-être pas sa priorité. Qui plus est avec une politique américaine qui est plutôt agressive et qui veut essentialiser sa production de médicaments sur son territoire. La crainte, c’est la perte de produits pour Compiègne et puis clairement la fermeture du site."
Et de conclure : "la crainte aussi, c’est la perte d’une souveraineté française sur le marché du médicament. On s’est rendu compte pendant le Covid qu’on dépendait énormément des pays étrangers pour nous fournir en médicaments. Et pourtant on nous vend..."
Le ministre de l'Économie, Antoine Armand, a annoncé que le gouvernement allait demander au fonds américain CD&R des engagements de maintien en France de sites industriels et ne s'interdisait pas de bloquer la transaction.
À Compiègne, Sanofi emploie 480 salariés en CDI et CDD et produit en grande majorité du Doliprane. L'objectif de production du site pour 2025 est fixé à 480 millions de boîtes du médicament le plus vendu en France.