L'histoire du dimanche - Avant l'invention du braille, Valentin Haüy fondait en 1785 la première école pour aveugles à Paris

Valentin Haüy fut l'un des premiers, au XVIIIe siècle, à s'intéresser aux personnes souffrant de déficience visuelle. Né à Saint-Just-en-Chaussée dans l'Oise, il a consacré une partie de sa vie à enseigner aux aveugles, avant l'invention du braille par Louis Braille en 1829.

Si la journée mondiale du braille a lieu tous les 4 janvier en référence à la date de naissance de son inventeur Louis Braille, un autre homme avant lui s'est penché sur le sort des personnes atteintes de déficience visuelle.

Né le 13 novembre 1745 à Saint-Just-en-Chaussée dans l'Oise, Valentin Haüy est issu d'une famille de tisserands. Son parrain, Valentin Joly, est Conseiller du Roi, contrôleur des domaines et des bois de la généralité d'Amiens, "titres et charges assez considérables à l'époque", commente Pierre Henri dans son ouvrage La vie et l'œuvre de Valentin Haüy (ed. Presses Universitaires de France 1984).

Durant sa jeunesse, il fait ses études à la Sorbonne, à Paris, où il apprend une douzaine de langues dont le latin, le grec et l'hébreu. Son aptitude pour les langues le conduira à devenir interprète du roi pour traduire notamment l'allemand, l'espagnol, l'italien et le portugais. Il s'agissait de traductions écrites essentiellement. "Sa spécialité, celle pour laquelle il ouvrit un cabinet dans la capitale, face à la Halle aux Grains, était de fournir une version française des lettres et papiers divers en langue étrangère qu'on lui soumettait", précise Pierre Henri.

Parfois, il s'agissait aussi de manuscrits français anciens qu'il fallait déchiffrer, tant les mots inscrits étaient altérés et devenus illisibles. C'est la raison pour laquelle, le Bureau d'Académie d'Écriture a été créé en 1779 avec pour mission de "s'occuper de la perfection des caractères de l'écriture, de la connaissance des anciennes écritures et de leurs abréviations, afin d'en faciliter le déchiffrement ; des opérations de calcul ; de la vérification des écritures et des signatures ; de la grammaire française relative à l'orthographe..."

Valentin Haüy fut membre de cette institution comme professeur agrégé. "C'était une première consécration officielle de ses talents, bien propre à inspirer confiance à sa clientèle", commente Pierre Henri.

"Je ferai lire les aveugles"

En 1771, alors qu'il est âgé de 26 ans, il assiste à un spectacle à la foire de Saint-Ovide qui met en scène des aveugles volontairement ridiculisés. "On avait placé dans un café de la foire Saint-Ovide dix aveugles choisis parmi ceux qui n'avaient que la triste et humiliante ressource d'aller mendier leur pain sur la voie publique. [...] On les avait grotesquement affublés de robes et de longs bonnets pointus ; on leur avait mis sur le nez de grosses lunettes de carton sans verre. Placés devant un pupitre qui portait de la musique et des lumières, ils exécutaient un chant monotone, car le chanteur, les violons et la basse faisaient entendre tous la même partie", décrit Valentin Haüy en 1800.

Choqué par ce qu'il vient de voir, il décide de fonder une école spécialisée, comme l'Abbé de l'Épée l'avait fait en 1760 pour les sourds et muets. "Oui, me dis-je à moi-même, saisi d'un noble enthousiasme, j'y substituerai à cette fable ridicule, je ferai lire les aveugles ; je placerai dans leurs mains des volumes imprimés par eux-mêmes. Ils traceront des caractères et reliront leur propre écriture. Enfin, je leur ferai exécuter des concerts harmonieux."

Gaufrer le papier pour lire les lettres

Il prend en charge tout d'abord François Lesueur, un jeune mendiant aveugle âgé de 17 ans, et s'aperçoit que les personnes atteintes de déficience visuelle peuvent reconnaître des inscriptions par le toucher. "Un jour, Lesueur était entré chez M. Haüy, se trouvant près de son bureau, le hasard fit tomber un billet d'enterrement fortement imprimé sur le revers duquel il reconnut la lettre O", raconte Jean-François Galliod, ancien élève de Valentin Haüy, (Notice historique sur l'Établissement des Jeunes Aveugles 1828). À la suite de cet épisode, Valentin Haüy eut l'idée de produire par gaufrage des cartes de géographies.

Il décide alors de fabriquer des lettres en grand format pour gaufrer le papier afin qu'elles apparaissent en relief. Grâce à ce procédé, il enseigne à ses élèves la lecture, l'orthographe et le calcul. En 1785, l'institution des enfants aveugles est créée, à ses frais, rue Coquillère à Paris.

"Haüy s'était fixé comme but 'de mettre sans cesse les aveugles en relation avec les clair-voyants' et de préférer toujours 'la manière de ces derniers.' Au nom de ce principe, il aurait sans doute refusé l'alphabet braille, comme il écarte délibérément l'arithmétique palpable de Saunderson, qui formait les chiffres en déplaçant une cheville dans des trous disposés en carré. Il préfère employer des chiffres ordinaires en relief, qu'il fixe sur la planche à entailles. Des caractères spéciaux sont prévus pour l'écriture des fractions", indique Pierre Henri.

L'établissement, qui changera plusieurs fois de nom et de lieu, est financé par la Société Philanthropique jusqu'en 1791. Durant la Révolution, il est pris en charge par l'État et devient l'Institution nationale des jeunes aveugles. L'école, devenue publique, donne une priorité à l'enseignement professionnel.

En 1800, face à des difficultés financières, l'institut est rattaché à l'hôpital des Quinze-Vingts. Des changements au sein de l'école, devenue l'Institut national des aveugles travailleurs, et des raisons politiques contraignent Valentin Haüy à démissionner en 1802. L'établissement avait par ailleurs perdu son caractère éducatif, les élèves passaient leur journée à filer de la laine dans une manufacture de draps.

"Lorsqu'il se retira, Haüy avait à peine plus de 56 ans. Le montant de sa pension ne représentait guère que le tiers de son traitement d'activité, et il avait encore un fils à élever. Il aurait pu compléter ses revenus en s'adonnant uniquement à des traductions. Mais il n'était pas homme à abandonner ce qui, depuis 20 ans, avait été l'idéal de sa vie, et comme il était de ceux qui aiment mieux être le premier dans une cabane gauloise que le second dans Rome et, puisqu'on le privait de la direction de l'école qu'il avait fondée, il en ouvrit une autre", écrit Pierre Henri dans son ouvrage La vie et l'œuvre de Valentin Haüy.

Directeur d'une école en Russie durant 11 ans

Après avoir ouvert un "nouvel hospice particulier des Aveugles-Travailleurs" en 1802 à Paris, il créa une école pour aveugle à Berlin en 1806 et une autre à Saint-Pétersbourg en 1808. Il restera directeur de cette dernière durant 11 ans puis reviendra à Paris. "La situation européenne de l'époque ne fut certainement pas étrangère à la prolongation de ce séjour. La position hostile qu'avait prise Haüy à l'égard de Napoléon ne devait guère l'inciter à rentrer en France, en dépit de la merveilleuse souplesse de son opportunisme et de sa faculté de s'adapter aux différents régimes politiques", souligne Pierre Henri.

En 1814, le ministre de l'Intérieur de l'époque refusa d'ailleurs de le rappeler pour reprendre la direction de son école à Paris. Ce n'est qu'en 1817, qu'il retrouva la capitale française, alors amoindri par son vieil âge et des soucis de santé. "La nouvelle de son retour remplit de joie ses anciens élèves ; tous à l'envi l'un de l'autre, s'empressèrent de l'aller visiter", écrit Jean-François Galliod, son ancien élève.

Avant de mourir le 18 mars 1822, il eut l'occasion de revenir dans l'école qu'il avait fondée à Paris le 21 août 1821 où une cérémonie fut organisée en son honneur. "Le mardi 21 août 1821 fut, pour Valentin Haüy un grand jour, qui allait le payer de toutes les peines qu'il avait éprouvées, de toutes les déconvenues qu'il avait rencontrées depuis son retour de Russie, raconte Pierre Henri. Les jeunes élèves, nous dit Galliod, rivalisèrent de talent et de zèle pour témoigner leur reconnaissance à leur premier bienfaiteur." Celui-ci, ému aux larmes, répondit : "Mes chers enfants, c'est Dieu qui a tout fait."

Sa statue, ainsi que celle de son frère, le minéralogiste René Just Haüy, ont été érigées devant la mairie de Saint-Just-en-Chaussée. "Bien qu'il n'y eût vécu que six ans, il resta très attaché à son pays natal : il y mariera sa fille aînée, devenue veuve, sa mère s'y retira et y mourra", nous apprend l'historien.

Quant à l'Institut national des jeunes aveugles (INJA), il existe toujours, boulevard des Invalides à Paris. Une association venant en aide aux personnes atteintes de déficience visuelle porte le nom de Valentin Haüy depuis 1889.

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