Fondé en 1933 par Maurice Domon, le théâtre Chés cabotans d'Amiens fête cette année ses 90 ans. À travers ses spectacles de marionnettes à tringle et à fil pour petits et grands, les troupes successives n'ont cessé de promouvoir la culture et la langue picardes, tout en innovant constamment afin de s'inscrire dans leur époque.
Les théâtres de cabotans - ces marionnettes à tringle et à fil typiquement picardes - s'imposent comme une tradition amiénoise bicentenaire. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des spectacles de marionnettes italiens, peuplés de personnages populaires de la commedia dell'arte, se montrent dans la région. Tandis qu'à Lyon apparaît le personnage du Guignol, à Amiens, celui de Lafleur devient l'emblème de la ville et du quartier Saint-Leu.
Au XIXe siècle, des dizaines de théâtres permanents de cabotans s'installent à Amiens. Ils sont le plus souvent aménagés chichement dans les "rez-de-chaussée des maisons", explique Jean-Bernard Dupont, agrégé d'histoire et ancien comédien-marionnettiste de Chés cabotans d'Amiens. Pour la grande majorité, ce sont de petits théâtres pouvant accueillir une quinzaine de personnes. Mais certains de ces lieux, comme des ateliers ou de grandes salles, reçoivent jusqu'à 40 spectateurs.
Ces théâtres, conçus et animés par des ouvriers, font l'objet d'un véritable engouement des classes populaires. Leurs pièces s'inspirent d'histoires de la rue, et du répertoire classique du théâtre d'Amiens, où seuls les bourgeois ont les moyens d'aller. Les théâtres de cabotans sont bon marché et d'esprit anarchique. Le personnage de Lafleur ne se laisse pas faire et tient un discours anti-autoritaire. Ces lieux deviennent ainsi une des formes dominantes de la culture populaire.
Mais la Première Guerre mondiale met un terme au succès des théâtres de cabotans. "Pendant quatre ans, la guerre est à 30 kilomètres d'Amiens. Les Anglais campent à Abbeville puis les Américains arrivent et apportent avec eux les tanks… Et le cinéma. Les premières séances se font pendant la guerre. Quand la paix revient, des salles de cinéma s'ouvrent", relate Jean-Bernard Dupont. Au début des années 1920, presque tous les théâtres de cabotans ont tiré le rideau.
Maurice Domon, le père de Chés cabotans d'Amiens
C'est un cheminot du nom de Maurice Domon, amoureux des cabotans, qui va faire renaître cet art picard. En 1930, avec René Villeret, il fonde "La Société des amis de Lafleur". Mais Maurice Domon décide d'aller plus loin et fonde, en 1933, sa propre troupe qu'il nomme "Chés cabotans d'Amiens". Aidé de sa famille, de ses amis Vincent Piqué, René Lamps - qui devint plus tard maire d'Amiens -, et de collègues cheminots, Maurice Domon veut faire revivre cette tradition perdue pendant la Grande Guerre. Leur première représentation a lieu en novembre de la même année à la salle Gosse, rue de Cottenchy.
"Lorsque les derniers théâtres de cabotans ont fermé, Maurice Domon avait dix ans. Il m'a dit qu'il avait pleuré en voyant le dernier théâtre fermer", se souvient Jean-Bernard Dupont. Pour ce dernier, "l'histoire des cabotans d'Amiens est l'histoire d'un homme, Maurice Domon, et de son amour pour les marionnettes." Comme certains de ses personnages ne parlent qu'en picard sur scène, et que les scènes s'inspirent de la vie des ouvriers d'Amiens, il contribue aussi à faire vivre le patrimoine culturel de la région et la langue picarde.
Avec leur théâtre itinérant, Maurice Domon et ses amis sillonnent les quartiers d'Amiens et les routes de Picardie, leur castelet - un petit théâtre démontable et ses marionnettes - sous le bras. Ils font ainsi rayonner les cabotans dans toute la France et même à l'étranger, notamment en Belgique et en Angleterre. "Chaque dimanche, nous partons dans la nature. Nous allons en campagne donner des représentations dans des salles de spectacle quand nous pouvons en profiter. Parfois dans des granges, sur des bottes de paille", explique Maurice Domon en mars 1957, dans un entretien télévisé. À cette époque, le théâtre assure 50 à 60 représentations par an. "C'était une aventure de saltimbanques", résume Jean-Bernard Dupont.
Comédien, créateur, sculpteur, dramaturge, Maurice Domon endosse plusieurs rôles et continue en parallèle son travail de cheminot. Il finira d'ailleurs sa carrière comme directeur de la coopérative des cheminots. Suzanne, sa femme, fait figure de précieuse collaboratrice. Couturière, elle confectionne les costumes des marionnettes. Afin d'être fidèle à la réalité, Suzanne passe beaucoup de temps à observer les autres. "J'avais l'idée de suivre des personnages dans la rue. Alors il m'est arrivé plusieurs fois de suivre un curé pour bien me persuader de la forme de son vêtement, des coutures et de toute sa toilette. Des officiers dans la rue, c'était pareil. J'ai beaucoup suivi mes personnages pour pouvoir les habiller comme il faut", confie-t-elle à la télévision en novembre 1983.
Les personnages archétypaux de Chés cabotans d'Amiens : entre revendications sociales et satire
Dans la cinquantaine de bouffonneries écrites par Maurice Domon, qui se caractérisent par une extravagance comique, le personnage de Lafleur, ch'Lafleur pour les intimes, occupe une place centrale. Il est vêtu comme un laquais du XVIIIe siècle avec son chapeau tricorne, son costume en velours rouge, sa chemise à jabot, et ses bas rayés rouges et blancs. Il se distingue par son franc-parler, son esprit moqueur et sa réticence à l'autorité et à ceux qui la représentent. Il est anarchiste et anticléricaliste. Un esprit frondeur que l'on retrouve dans de nombreux personnages du théâtre et de la littérature populaires picards.
"Lafleur est, en quelque sorte, l'incarnation du Picard. [...] Les convenances lui sont complètement inconnues ; il se moque de tout : des honneurs, de l'argent, des puissants", peut-on lire dans "Notre Lafleur - Chés Cabotans d'Amiens" (1940-1949). Ce personnage se retrouve souvent aux prises avec les gendarmes. "Lafleur lève alors son pied à la hauteur de l'œil, s'élance sur les représentants de l'autorité, les frappe au visage, les culbute, les met en fuite ; ainsi finit invariablement la comédie. Lafleur, sans les coups de pied de la fin, c'est Jupiter sans son tonnerre : telle est la puissance de la tradition", peut-on lire dans le même ouvrage.
Sa devise est "Bien boère, bien matcher pis ne rien foaire" en picard, soit "Bien boire, bien manger et ne rien faire". "En réalité, il y a tout un fond de revendications sociales qui se cache derrière ça", explique Jacques Auvet, comédien-marionnettiste de Chés Cabotans, en janvier 1991. "Bien boire, c’est pouvoir avoir plus d’argent, c’est pouvoir aussi boire du champagne plutôt que du gros rouge. Bien manger, c’est pareil : c’est pouvoir avoir de la viande tous les jours, avoir de quoi dans son assiette. [...] Et ne rien faire, eh bien, c’est aussi l’aspiration à un bien-être, à mieux être. Au repos également, quand on sait que quand il est né, on travaillait tous les jours, et 14 heures ou 15 heures par jour", analyse-t-il.
Aux côtés de Lafleur, on retrouve toute une galerie de personnages archétypaux, codifiés par Domon. Sandrine, la compagne de Lafleur, qui comme lui ne parle que picard, est souvent là pour modérer un peu son mari. C'est elle qui travaille pour nourrir le couple car Lafleur passe plus de temps à faire la fête ou à pêcher. Tchot Blaise est l'ami fidèle de Lafleur qu'il suit partout. Il "patoise", c'est-à-dire qu'il mélange le français et le patois. Papa Tchu Tchu, Popaul Calicot, des gendarmes, des danseurs, ou encore des traîtres complètent le tableau.
De nos jours, Lafleur est toujours le symbole de l'homme épris de justice et de liberté, défenseur des plus faibles. En 2017, François Ruffin, désormais député LFI de la 1re circonscription de la Somme, utilise Lafleur comme emblème de son mouvement "Picardie debout !" pendant la campagne des législatives. Le personnage est représenté donnant son fameux coup de pied.
Coup d'arrêt, municipalisation du théâtre et nouvelle troupe
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la collection de marionnettes de Chés cabotans d'Amiens est entièrement détruite. De nouvelles marionnettes sont sculptées par René Lamps, Maurice Domon et Vincent Piquet et entreposées chez Domon. Mais le 27 mai 1944, sa maison s'écroule sous les bombes. Il faut tout recommencer. "Il a touché des réparations, comme tous les gens bombardés", précise Jean-Bernard Dupont.
En 1962, en manque de personnels, le théâtre Chés cabotans d'Amiens est mis à l'arrêt. Les représentations cessent quatre ans durant. Le passionné Maurice Domon ne baisse cependant pas les bras. Dans les années 1960, il décide de fonder une nouvelle troupe avec des comédiens de la classe d'Art dramatique du Conservatoire d'Amiens, qu'il rémunère. Jean-Bernard Dupont a 18 ans et est élève au conservatoire. Il est recruté par Maurice Domon, qui connaissait son père. "Quand j'étais petit, mon père m'emmenait aux cabotans d'Amiens. Ça fait partie de mon passé, de mes souvenirs, de mon histoire", précise Jean-Bernard Dupont. Il a également l'avantage de parler couramment picard.
Le directeur des Cabotans charge alors le jeune comédien de parler de son idée de troupe à ses camarades de conservatoire. "Il n'y avait pas de projet écrit, on ne savait pas ce qu'on allait faire", se souvient Jean-Bernard Dupont. "Il fallait une femme donc je suis allé voir ma copine Françoise Rose, prix d'excellence du conservatoire." Mais ne sachant pas parler picard, cette dernière refuse en premier lieu, avant d'accepter la proposition quelques mois plus tard. Maurice Domon forme alors Jean-Bernard, Françoise et leurs copains comédiens, mais aussi peintres, à la marionnette. "Sur le plan des marionnettes, Maurice Domon m'a tout appris. Il était rude, mais je l'adorais", confie Jean-Bernard Dupont, qui endosse le rôle de Lafleur, tandis que Françoise Rose incarne Sandrine.
En 1965, sur avis du ministère de la Culture, le théâtre est municipalisé. La première représentation de la nouvelle troupe a lieu en 1966 dans un hospice. "Tous les ans, à la rentrée, on jouait gratuitement pour un hospice parce que les personnes âgées parlaient picard. Ils étaient pliés en deux. C'était vraiment la grande récréation", se remémore Jean-Bernard Dupont. En 1967, le théâtre et ses 300 marionnettes sont confiés au Musée de Picardie. Chés cabotans prend le nom de "Théâtre de marionnettes permanent de la ville d'Amiens". Pendant les événements de 1968, peu de représentations sont données.
L'ère Françoise Rose et l'installation du théâtre rue Edouard David
En 1969, Domon confie le théâtre à la comédienne Françoise Rose. "Il a choisi la plus solide d'entre nous", reconnaît Jean-Bernard Dupont. De cette époque, ce dernier se souvient de "l'accueil populaire dans les villages", "des gens pliés en deux", "d'une très grande richesse humaine". Françoise Rose endosse un rôle important. "Elle a formé les comédiens sur la diction et le déplacement des marionnettes. Elle ne laissait rien passer. Avec Jacques Auvet, elle a aussi fait une mise en scène beaucoup plus colorée. Ils ajoutent du son et des chansons", énumère Jean-Bernard Dupont.
En 1977, l'association "Théâtre d'Animation Picard" est créée. La Ville lui confie la gestion du théâtre en 1982. Elle endosse une mission de sauvegarde et de valorisation de la culture et de la langue picarde.
Françoise Rose, son mari Jacques Auvet, Jacques Varlet, Jacques Labarrière et Jean-Jacques Nasoni enrichissent le répertoire de Domon avec de nouveaux textes et des créations musicales. Parmi les nouveautés, on peut citer Pierre et le Loup de Serge Prokofiev et La Boîte à Joujoux de Claude Debussy. Pendant ce temps, Jean-Bernard Dupont poursuit des études d'histoire à Paris et revient à Amiens et aux Cabotans dans les années 1980.
À la mort de Maurice Domon, en 1983, Françoise Rose confie, la gorge nouée, à France 3 Picardie : "Il a énormément compté pour moi. C'est lui qui m'a appris à manipuler. C'est lui qui m'a donné l'amour du picard."
Les cabotans reçoivent le soutien de la Ville, du Conseil général de la Somme, du Conseil régional de Picardie et de l'Union européenne. En 1997, un théâtre leur est dédié. La troupe s'installe au 31 rue Edouard David, dans le quartier Saint-Leu, où il se trouve toujours aujourd'hui. "Françoise Rose a organisé le théâtre de l'intérieur", souligne Jean-Bernard Dupont.
Les difficultés des années 2010 et l'après Françoise Rose
Les années 2010 sont difficiles pour Chés cabotans d'Amiens. En 2009, Jacques Auvet meurt. Une disparition qui affecte beaucoup sa femme, Françoise Rose. Le théâtre doit aussi faire face à une baisse des subventions, notamment de la direction régionale des affaires culturelles. Une subvention exceptionnelle de 50 000 euros est accordée au théâtre par Amiens Métropole en 2014. "À la demande de Françoise Rose", Jean-Bernard Dupont devient président de l'association du Théâtre d'Animation Picard en 2015.
En 2016, affaiblie par des soucis de santé, Françoise Rose passe la main. Elle reste cependant bénévole dans la structure. Nathalie Hatron-Jelmoni devient directrice à l'été 2016. Elle met fin à son contrat en janvier 2017. Mi-février, Marie-Laure Boggio lui succède mais démissionne au bout de huit mois. Marie Rémond prend la suite en octobre. Dans la foulée, Jean-Bernard Dupont quitte son poste de président. "J'ai démissionné en 2018 pour des raisons de santé et parce que j'étais en opposition avec le conseil d'administration des Cabotans d'Amiens sur l'orientation et la politique à mener", explique-t-il. Jean-Bernard Dupont voulait "retourner vers le peuple" et faire repartir la troupe en itinérance dans les villages de la région où l'on parle encore picard. Et surtout, faire d'Amiens la capitale des marionnettes picardes. Mais ses idées ne font pas l'unanimité.
Le 24 décembre 2018, à l'âge de 79 ans, François Rose décède. Chés Cabotans d'Amiens perd son deuxième parent. "On pouvait répéter, répéter et répéter. Les détails, ce n'étaient pas des détails. Et d'ailleurs, c'est important dans mon regard, même aujourd'hui, ça m'a aussi formée. C'est quelqu'un de complètement exigeant et persévérant", réagit alors Marie Rémond, qui fût son élève, au micro de France 3 Picardie.
Depuis 2019, la façon de travailler de la troupe a quelque peu changé. Tout se fait désormais en équipe. Chaque pièce jeune public est une création collective de A à Z : scénographie, décors, bande-son… "Chacun met sa pierre à l'édifice en fonction de ses qualités, tout en se nourrissant des avis des autres", observe Sophie Lefort, qui officie comme comédienne-marionnettiste Chés Cabotans d'Amiens depuis 2012. Dans leur répertoire jeune public, on peut citer Boucle d'Or, Hansel et Gretel, Les trois petits cochons, Pierre et le loup, ou encore Le petit chaperon rouge.
Comédien marionnettiste : un art de patience
"Pour faire un bon comédien marionnettiste, il faut trois à quatre ans", affirmait Françoise Rose en 1993. Et pour cause. Sophie Lefort a suivi une formation théâtrale avant d'être formée à la marionnette à tringle et à fil par Françoise Rose. Elle compare son métier à celui d'un instrumentiste. "Quelque part, la marionnette à tringle et à fil est un instrument à cordes. On a cette manipulation qui est entre le tricot et la harpe, on va chercher les fils sans les regarder", observe-t-elle. Un comédien marionnettiste doit d'abord apprendre à "faire tenir sa marionnette debout et à la faire marcher", ce qui "prend un an", estime Sophie Lefort. Il faut ensuite maîtriser les mouvements de tête et de bras. "La marionnette doit devenir une extension de soi-même", résume-t-elle.
Ce n'est qu'au moment où le comédien ne pense plus à la manipulation qu'il peut se donner dans l'interprétation. Rajoutons à cela que "les marionnettes ont toutes une manière de s'articuler différente" et que parfois, dans un même spectacle, les comédiens peuvent passer d'une marionnette à l'autre en l'espace de deux minutes. "Il faut qu'on soit capable de manipuler n'importe quelle marionnette à n'importe quel moment", explique Sophie Lefort.
Dans les coulisses d'un sculpteur de cabotans
Les marionnettes de Lafleur, Sandrine, Tchot Blaise, Popaul ou encore des gendarmes utilisées aujourd'hui sur scène par la troupe des cabotans sont celles de la collection de Maurice Domon, datant des années 1940. Le costume de Lafleur s'usant, il est changé tous les 5-6 ans. Il possède également une doublure : Lafleur en pyjama.
Depuis le milieu des années 1980, Michel Petit est le sculpteur des cabotans d'Amiens. Il a succédé à Jean-Pierre Facquier. Quand Françoise Rose, une amie de la famille, lui propose de fabriquer les marionnettes de son théâtre, Michel Petit est pris de court. "Je faisais de la peinture, je n'avais jamais fait de marionnettes. J'ai dit oui parce que je pensais y arriver facilement et en fait non, sculpter n'est pas facile du tout... Mais je ne me voyais pas leur dire que je n'y arrivais pas, donc j'ai forcé. Pour m'aider, j'ai regardé ce qui avait été fait depuis deux siècles", raconte-t-il.
Dans son petit atelier de Saint-Leu, à deux pas du théâtre, il travaille le bois, peint, imagine et crée de nouvelles marionnettes. Ce passionné ne prend jamais de vacances. Il sculpte des Lafleur, des Sandrine, des Tchot Blaise, des gendarmes, mais aussi les personnages des pièces jeune public : des loups, des chats, des cochons, de différentes tailles et de formes variées.
Les grandes marionnettes, de 40-50 cm de haut, lui demandent 40 heures de travail. "Je commence toujours par la tête. Le visage est le plus dur à faire. Puis je travaille le corps, qui doit être sept fois plus grand que la tête", détaille le sculpteur. "Quand je vois comme je trouve ça difficile, comme ça peut me ronger, et toutes les questions que je me pose, je me dis parfois que je n'étais peut-être pas fait pour ça", confie Michel Petit qui explique se réveiller en pensant à ses marionnettes et trouver des idées lors de ses balades à pied ou à vélo.
Au fil des années, Michel Petit a cherché et trouvé comment améliorer la solidité de ses petits bonhommes de bois. Il prend plaisir à créer des marionnettes très simples, voire abstraites, et des cabotans plus sophistiquées. Le sculpteur a par exemple construit un loup dont le comédien-marionnettiste peut contrôler l'ouverture de la gueule à l'envi.
Michel Petit s'amuse aussi à fabriquer des marionnettes miniatures, de 2 centimètres de haut, qu'il sculpte à l'œil nu, sans loupe. Un travail minutieux qui représente plusieurs heures de concentration.
Au milieu de ses centaines de marionnettes qui peuplent son atelier, Michel Petit reste modeste, et prend plaisir à expliquer son métier aux enfants et aux touristes qui viennent visiter son atelier toute l'année.
Trouver un équilibre entre tradition et modernité, le défi actuel de Chés cabotans d'Amiens
Après le départ de Marie Rémond en janvier 2020, le théâtre fonctionne en équipe autonome pendant quelque temps. Pendant la crise sanitaire, faute de pouvoir continuer les représentations, la troupe crée de nouvelles pièces jeune public. Quant à celles écrites par Domon, les bouffonneries picardes, la troupe prend le parti de les actualiser en prenant garde à ne pas les dénaturer. Un jeu d'équilibriste. "Cela fait partie de notre mission de réussir à conserver l'écriture de Domon, la tradition, le sens qu'il avait voulu y mettre tout en le rendant accessible à un public de 2022", souligne Sophie Lefort. Dans ses pièces, Maurice Domon intégrait de nombreux éléments de l'actualité de l'époque, ce qui nécessite de reprendre certains passages afin que le public comprenne les références.
Depuis 1930, la société et les esprits ont également évolué, notamment sur la position de la femme. "Maurice Domon n'est pas particulièrement macho, mais il est le reflet d'une époque", appuie Sophie Lefort. La troupe tient donc à écrire des personnages féminins davantage affirmés, "plus forts en caractère". Des évolutions déjà entreprises par Françoise Rose, notamment à travers le personnage de Sandrine. "Il ne s'agit pas de dénaturer la personnalité d'un personnage car c'est un archétype traditionnel, donc il faut qu'on le reconnaisse, mais sans se sentir en complet décalage avec lui", note Sophie Lefort, qui a appris le picard sur le tas.
Ces pièces, comme Blaise antiquaire, sont donc toujours jouées, à destination des grands enfants et des adultes. Lafleur et Sandrine continuent de parler exclusivement en picard, tandis que Tchot Blaise traduit une partie des dialogues aux spectateurs et que le reste des personnages s'exprime en français. "Notre association a pour vocation de perpétuer le patrimoine de la marionnette et de la langue picarde et on le fait à travers le répertoire de Maurice Domon", expose Charlène Pruvot, directrice de l'association du Théâtre d'Animation Picard depuis septembre 2022. Ainsi, Lafleur apparaît dans chaque pièce, même dans les pièces jeune public.
Sur scène, la troupe innove également. Dans une même pièce, les comédiens sont "à vue", c'est-à-dire qu'ils apparaissent sur scène et que les spectateurs les voient jouer mais, par moments, ils sont aussi dans le castelet, donc cachés. Laisser les comédiens être vus était déjà une innovation de l'équipe de Françoise Rose, atteste Sophie Lefort. "Il y avait une curiosité de la part des spectateurs de voir comment se manipulent les marionnettes et quelle tête font les comédiens quand ils jouent", abonde-t-elle. "Nous avons pris le parti de mêler les deux dans un même spectacle, c'est quelque chose qu'on retrouve dans la marionnette contemporaine. Ça donne beaucoup plus de possibilités en termes de mise en scène", justifie-t-elle.
Actuellement, Chés Cabotans d'Amiens jouent "entre 150 et 200 représentations par an devant 10 000 spectateurs, dont plus de la moitié de scolaires", affirme Charlène Pruvot.
2023 : célébrer les 90 ans et renouer avec l'itinérance
En 2023, Chés Cabotans d'Amiens fête ses 90 ans d'existence. À cette occasion, la troupe actuelle, composée de cinq comédiens-marionnettistes, dont trois permanents et deux intermittents, prévoit de nombreux temps forts. Des expositions sont programmées ; le dimanche 5 février, le théâtre présentera plusieurs scénettes agrémentées d'interventions d'artistes ; un mini-festival d'une journée sera organisé pour lancer la saison estivale ; un livre est en préparation ainsi que l'enregistrement d'un single de la chanson traditionnelle des cabotans d'Amiens, qui conclut chaque représentation.
La troupe prévoit également de renouer avec l'itinérance. "On travaille dessus depuis un an. L'idée est de pouvoir rayonner, dans un premier temps sur Amiens et sa métropole, puis son département, la région, et pourquoi pas après à Avignon, et à l'international", détaille Charlène Pruvot. La troupe aimerait notamment se déplacer dans les Ehpad et donner aux écoles qui ne peuvent pas venir jusqu'à eux, l'opportunité de découvrir cet art amiénois. Qui sait, un ou une de ces enfants tombera peut-être, à son tour, amoureux des cabotans d'Amiens.