Une sculpture du Christ du XIXe siècle, effectuée par l'architecte Louis Duthoit vient d'être ressortie du sous-sol de la bibliothèque Louis-Aragon à Amiens. Elle témoigne de l'empreinte laissée par les frères Duthoit à Amiens. Retour sur l'histoire de cette œuvre oubliée.
L'œuvre dormait depuis plusieurs années dans les réserves du sous-sol de la bibliothèque Louis-Aragon à Amiens. Précautionneusement, à l'aide de sangles, la lourde sculpture religieuse réalisée par l'architecte Louis Duthoit en 1861, a été sortie de sa boîte en bois.
C'est un agent de la bibliothèque qui a averti le musée de cette trouvaille, il y a deux ans de cela. L'opération n'a pu être menée qu'en novembre 2022 en raison de l'accessibilité difficile aux sous-sols. Une entreprise spécialisée dans la manutention de charges lourdes s'est chargée de l'opération : tout a été fait à la main, en raison de l'espace réduit. Dans le but de mettre cette œuvre, dans les réserves du musée de Picardie.
Un vestige de l'église Saint-Jacques
Tout de marbre blanc, ce relief représente une scène de souffrance, ce qu'on appelle une "déploration". Le Christ est allongé sur le sol, inerte, au premier plan, entouré d'autres personnages. À l'origine, ce relief trônait dans l'église Saint-Jacques d'Amiens.
L'œuvre constituait le devant de l'autel majeur de l'église. Elle est précieuse dans le sens où Louis Duthoit a rarement utilisé du marbre pour ses sculptures.
François SeguinConservateur du musée de Picardie
Avec son frère, le sculpteur amiénois était chargé de restaurer l'intérieur de l'église, après la survenue d'un incendie destructeur en 1857.
On ne sait pas vraiment comment l'œuvre a atterri dans la bibliothèque d'Amiens. Mais l'église Saint-Jacques a été très lourdement touchée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. "On suppose que le relief a été sorti des décombres à ce moment-là et qu'il a ensuite été mis à l'abri dans les sous-sols de la bibliothèque et oublié là", raconte le conservateur.
Dévastée, ce n'est que quelques dizaines d'années plus tard, en 1964, qu'une restauration complète de l'église est entamée. Ce pan d'autel constitue aujourd'hui un vestige de ce qu'était cet édifice religieux du XIXe siècle.
Les deux frères Duthoit
Si Louis Duthoit est mis sous les projecteurs avec la résurgence de cette statue, il travaillait en réalité main dans la main avec son ainé, Aimé.
"Ils sont indissociables l'un de l'autre, Louis sculptait plutôt, quand son frère réalisait les dessins"
André GuervillePrésident de l'association Richesses en Somme qui recense le patrimoine du département.
Cette passion de la sculpture s'est transmise de génération en génération dans la famille Duthoit. "À la mort de leur père, les deux frères qui avaient la vingtaine ont décidé de reprendre l'atelier et ils ont vraiment appris sur le tas", ajoute André Guerville, qui a effectué plusieurs conférences sur cette fratrie.
Une timide postérité
Les deux frères au style néogothique jouissent aujourd'hui d'une timide postérité, dans le département de la Somme. Il faut dire qu'ils ont laissé des traces de leur passage en restaurant de nombreux édifices religieux. De la chapelle du Saint-Esprit à Rue, en passant par la collégiale Saint-Vulfran à Abbeville, ils ont réalisé dans leur atelier près de 1 200 statues et des milliers de dessins.
À Amiens, le nom des Duthoit est directement lié à la cathédrale. Au côté du célèbre architecte Viollet-le-Duc, ils restaurent au milieu du XIXe siècle, les sculptures de la façade de Notre-Dame d'Amiens, mais aussi celles de la galerie des rois.
Le président de l'association Richesses en Somme garde à l'esprit deux statues marquantes, celle de Saint Vincent de Paul et de Saint Louis, "de véritable chefs d'œuvres". Il s'amuse aussi d'une anecdote : le visage de Viollet-le-Duc a été sculpté par l'un des frère Duthoit dans un cul-de-lampe, sous une statue du grand portail.
Une étude de l'œuvre avant de la rendre publique
Avant d'être exposé au public, le relief de la déploration du Christ, sera étudié pour en connaître tous les ressorts, sur l'utilisation des matériaux, mais aussi sur son histoire. Il devrait également être restauré. "Le marbre qui est à l'origine blanc n'est plus si blanc. Il s'est encrassé avec le temps. On va essayer de lui redonner son aspect initial", espère le conservateur.
Oublié de tous, ce relief constitue à ce jour, "un chef d'œuvre" pour le musée de Picardie qui ne possède que très peu de sculptures des frères. Le musée accueille aujourd'hui plusieurs dessins des deux artistes, qui ont largement saisi le crayon pour croquer la ville d'Amiens sous tous ces angles.
Avec la mise à jour de cette sculpture, André Guerville espère que cela contribuera à faire connaître ces deux frères oubliés du grand public, "des grands personnages de l'époque".