L'histoire du dimanche - Les armures oubliées de Napoléon III au château de Pierrefonds

De 1867 à 1870, des centaines de milliers de visiteurs se sont pressés dans les couloirs du château de Pierrefonds encore en travaux pour découvrir l'une des plus belles collections d'armes médiévales constituée pour Napoléon III.

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Cinquante-deux mètres de long, neuf mètres cinquante de large et douze mètres de haut. Les seules dimensions de la salle des Preuses du château de Pierrefonds ont de quoi impressionner les premiers visiteurs de l'exposition ce samedi 1er juin 1867. Et pourtant, leurs yeux s'écarquillent plus encore pour le trésor que renferme cet écrin : le cabinet d'armes de Napoléon III. Armures, épées, dagues, arbalètes, armes de poing ou encore poires à poudre du XIIe au XVIIe siècles, l'une des plus prestigieuses collection d'armes médiévales jamais réunie.

Plus de 650 pièces, dont certaines renvoient le public à la puissance absolue de l'Ancien régime, comme le somptueux ensemble équestre attribué à Louis XIII, constitué d'une barde (protection de cheval) et d'une armure richement décorée de bandes verticales dorées : un petit cadeau de l'impératrice Eugénie à son cher époux !

L'événement est national. Napoléon III, au pouvoir depuis dix-neuf ans, dont quinze comme empereur des Français, n'a pas hésité à faire paraître une annonce dans La Chronique des arts et de la curiosité : 

Par ordre de l’Empereur, le public sera admis, à partir du 1er juin prochain, à visiter la précieuse collection d’armes qui se trouve déposée dans les salles du château impérial de Pierrefonds. Les portes de ce musée seront ouvertes à tous les visiteurs, sans qu’ils aient à produire ni permission, ni passeport, deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche, de midi à quatre heures.

Cette précision d'une entrée sans permission ni passeport peut surprendre le lecteur de 2021. Mais comme le souligne Adèle Massias, dans son mémoire consacré à L’empereur-collectionneur : la collection du cabinet d’armes et d’armures de Napoléon III à Pierrefonds, "au milieu du XIXe siècle, il était encore inhabituel d’ouvrir sa collection personnelle au grand public".

En partie achetée, en partie empruntée

La création du cabinet d'armes remonte à l'achat de gré à gré, sept ans auparavant, de trois cent cinquante-cinq pièces d'armement occidental au prince Pierre Soltykoff. Ce fils d'une vieille famille de la noblesse russe avait accumulé un ensemble majeur de curiosités du Moyen-Âge et de le Renaissance. À court d'argent, il l'a cédée à différents acheteurs. À cette première acquisition s'ajouteront d'autres commandes plus modestes, ainsi que des emprunts, privilège impérial oblige, à des musées français (notamment au Louvre).

La formation et la gestion de l'ensemble est déléguée à trois hommes de confiance : Eugène Viollet-le-DucOctave Penguilly-L’Haridon et le comte Emilien O'Hara de Nieuwerkerke. Le premier est l'architecte du château de Pierrefonds. Le second, peintre et dessinateur, est le conservateur du musée de l'Artillerie (actuel musée de l'Armée) à Paris. Le dernier, enfin, est haut fonctionnaire et grand collectionneur d'œuvres d'art.

En ce mois de juin 1867, le Second Empire est à son apogée. Les grands travaux haussmaniens touchent à leur fin et l'Exposition universelle d'art et d'industrie bat son plein au Champ-de-mars, faisant de Paris la capitale mondiale de la modernité. Les mois passent et le succès de la visite du château de Pierrefonds ne se dément pas. En trois ans, environ 600 000 curieux viennent découvrir cette folie néo-gothique imaginée pour Napoléon III.

Mais la belle histoire, comme souvent, se fracasse sur les décombres d'un champ de bataille. Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre au royaume de Prusse. Moins bien préparées, moins nombreuses, les troupes de l'empereur vont de défaite en défaite. Dès le 10 août, face à l'avancée allemande, Viollet-le-Duc fait mettre le cabinet d'armes en caisses. À la hâte, on les transporte vers l'appartement du comte de Nieuwerkerke au Louvre. Toujours les mêmes bienfaiteurs.

Le Second Empire s'effondre en septembre avant même la victoire des Prussiens et de leurs alliés. La guerre de 1870 fait naître la IIIe République et l'Empire allemand.

Une propriété contestée

C'est aussi à partir de ce moment historique que débute une autre bataille : celle de la propriété des pièces de Pierrefonds. Car le cabinet d'armes est une collection personnelle de l'empereur. Mais l'empereur, c'est un peu la France, non ? Bien public ou bien privé ? Le camp de Napoléon III, mené par l'impératrice Eugénie après la mort de son mari, s'oppose à la jeune République qui considère le cabinet d'armes comme une possession nationale.

Entre tractations de couloirs et audiences dans les tribunaux, la question met dix ans à être tranchée. La collection revient finalement à l'État et la famille impériale est indemnisée. Et dire que si l'empereur avait été plus méticuleux, en établissant dûment une liste civile (registre établissant depuis 1790 le patrimoine privé des souverains français), la collection serait revenue à ses héritiers !

Alors que les pièces qui avaient été empruntées à des musées retrouvent leurs murs d'origine, le reste peut-il revenir dans l'Oise ? Non. "Le château de Pierrefonds est trop associé à cette image impériale et dans le même temps, le musée de l'Artillerie forme sa collection qui devient de plus en plus importante, explique Adèle Massias, on se dit que ce serait intéressant que la collection soit à Paris, ce qui a aussi une véritable importance politique".

Une salle Pierrefonds est même créée au sein du musée de l'Artillerie. Mais très vite, la mode est au classement par période ou style, plus que par collection. Les pièces sont dispersées : les plus belles dans les salles du musée, les autres dans les réserves.

Au fil du temps, le cabinet d'armes de Napoléon III sombre dans l'oubli et devient presque une légende, comme le confie Christine Duvauchelle. Après plusieurs années en poste au Louvre, elle est devenue il y a 18 mois assistante de conservation au département Ancien régime du musée de l'Armée : "Ça fait vingt-cinq ans que je suis dans les musées, ça fait presque vingt-cinq ans que j'entends parler de la collection de Pierrefonds. Pour moi, elle était toujours un peu mythique, car j'avais toujours l'impression qu'on ne savait pas, où se trouvaient les objets. Et ça a été ma grande surprise de découvrir que la majorité des pièces étaient au musée de l'Artillerie et qu'elles ne demandaient qu'à sortir et à attendre leur étude".

Obligatoire pour tous les musées nationaux depuis 2002, le récolement va permettre d'établir clairement la liste des objets des réserves issus de Pierrefonds. Un travail de plusieurs années, dont va s'acquiter Christine Duvauchelle. Un tel inventaire n'avait pas été réalisé depuis la rédaction du catalogue de l'exposition de 1867 par Octave Penguilly-L'Haridon.

Un retour à Pierrefonds possible ?

Mais alors que la République en est à sa cinquième version et que le retour d'un empereur semble bien moins menaçant qu'il y a 130 ans, on serait tenté de reposer la question : la collection peut-elle revenir dans l'Oise ? "Ce serait le rêve de nos collègues du Centre des monuments nationaux du château de Pierrefonds et ce serait l'idéal, car les aménagements sont encore en place, explique Olivier Renaudeau, conservateur du patrimoine au département Ancien régime du musée de l'Armée, avant de doucher nos espoirs : "la seule contrainte est climatique. Pierrefonds c'est un peu le palais des courants d'air, c'est un magnifique endroit, mais on ne peut pas y accorder des conditions climatiques aussi favorables qu'ici [ndlr : au musée de l'Armée]".

Olivier Renaudeau ne ferme pourtant pas toutes les portes. Faire revenir quelques pièces est envisageable, car "cela permet de comprendre ces objets et les lieux conçus pour les recevoir". Alors que d'importants travaux de restauration de la salle des Preuses vont débuter à la fin de l'année, elle pourrait donc retrouver sa raison d'être : le plus bel écrin pour la plus belle collection.

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