Alors qu'il a été licencié de la société Concentrix de Compiègne parce qu'il a publié un GIF, Loan conteste la faute grave et plaide le trait d'humour. L'entreprise, elle, estime qu'il mettait en danger la sécurité psychologique des salariés visés. Une avocate explique le problème.
C'est dans un contexte de tension sociale que les employés d'un centre d'appels apprennent que leurs salaires leur seraient versés avec du retard. Sur la messagerie interne de l'entreprise, Loan Léton publie un célèbre GIF (petite animation visuelle) d'Homer Simpson qu'il compare aux employés des ressources humaines un jour de paie. "Le but, c'était vraiment de détendre l'atmosphère. En fait, il y avait eu un retard et ce jour-là notre chef de service nous a indiqué qu'il y aurait encore un retard sur la paye. Pour ceux qui ne pouvaient pas passer en télétravail, on a dû faire un choix entre l'essence et les courses. Les gens ont commencé à être très virulents, très en colère, certains ont été menaçants en disant qu'ils étaient toujours en retard et qu'ils avaient intérêt à payer les heures sup' de ce mois-ci et du mois dernier."
Licencié sur un prétexte ?
Alors que selon lui, les envois de GIF sont habituels de la part des employés comme des cadres sur les canaux de communication de cette entreprise, il martèle : "J'ai vraiment voulu détendre l'atmosphère alors j'ai mis le message". Pour lui, son histoire sert de moyen de pression sur l'ensemble des employés : "Mon licenciement sert vraiment de messages vis-à-vis de tous les autres salariés pour essayer d'instaurer un climat de peur où les gens n'auraient peut-être pas le droit de s'exprimer."
Sa lettre de licenciement en atteste, c'est bien la publication du GIF qui caractérise la faute professionnelle selon l'entreprise. La blague du salarié aurait eu un impact dommageable sur les responsables de ressources humaines visées par le GIF. Concentrix se place en garant de la sécurité mentale de ses salariés.
Les syndicats ne voient pas ça du même œil. Pour la CGT, le jeune homme de 23 ans aurait été licencié sur un prétexte. La direction lui reprocherait son témoignage lors d'une enquête interne. "On a demandé aux salariés qui le souhaitaient de témoigner. Loan en faisait partie, Lina, une autre de nos collègues, en faisait partie, Karine en faisait partie. Et les trois ont été licenciés pour des motifs qu'on n'avait jamais vus avant. On a aussi assisté à leurs entretiens disciplinaires. Pour les trois, ce qui était mis dans le courrier de licenciement ne reflétait absolument pas ce qui a été dit en entretien disciplinaire", témoigne Manon Mathieu, élue CGT chez Concentrix.
Pour elle, une chose est sûre : le GIF ne relevait que de l'humour est non d'une attaque personnelle envers le service des ressources humaines. "La direction a manqué cruellement d'humour", ironise-t-elle.
"Ce sont des libertés contradictoires"
Entre liberté d'expression et règles internes à l'entreprise, le tout est de pouvoir arbitrer. Maître Vautrin-Allainmat, avocate en droit du travail, nous explique sur quels principes l'affaire pourrait être tranchée. "Ce sont des libertés contradictoires. Le salarié qui dit : 'J'ai ma liberté d'expression et j'entends effectivement la faire valoir. J'ai fait une blague qui pour moi n'est pas un abus'. Et, de l'autre côté, je vais avoir cet employeur qui dit : 'C’est un réseau d'entreprise et votre blague a été lue par l'ensemble de la collectivité de travail, elle a eu un impact dommageable'."
Bien que plutôt insolite à première vue, le cas n'est pas inédit d'après l'avocate : "Malheureusement, c'est quelque chose qu'on vit tous les jours. Aujourd'hui, le smartphone fait partie de notre vie privée et professionnelle. Il n'y a pas toujours de frontières entre les deux."
Elle avertit tout de même : "Moi, j'ai toujours tendance à dire ok, on peut être choqué par quelque chose qui va être annoncé (par la direction), mais malheureusement une réaction d'humeur ou une réaction tout court peut amener à une rupture de contrat de travail et le juge est là pour dire oui, effectivement, il y a abus de la liberté d'expression ou pas. Mais en tout cas, c'est quelqu'un qui a perdu son travail par rapport à ce qu'il considère être une blague qui visait tout simplement à mettre un terme à ce climat tendu".
Qu'évaluera le juge ?
Loan et la CGT prévoient d'attaquer Concentrix prochainement pour déterminer si oui ou non le licenciement était bien abusif. Maître Vautrin-Allainmat nous explique sur quels principes l'affaire sera tranchée. "Le droit des réseaux sociaux, c'est assez nouveau, mais, je dirais que maintenant, il y a un recul avec énormément de décisions de jurisprudence, alors la démarche des juges va être particulièrement dense et importante".
Selon l'avocate, il devrait arbitrer en fonction de trois critères. D'abord, il cherchera à définir s'il y a des règles internes à l'entreprise qui régulent l'utilisation de ces GIF. Puis, il définira aussi s'il y a ou non un manquement professionnel en fonction de la loi. Et enfin, s'il y a bien un manquement professionnel, il cherchera à savoir si la sanction du renvoi est proportionnée par rapport à la faute commise.
Dans un premier temps, Loan souhaitait demander l'annulation de son licenciement. Il s'est finalement ravisé. "C'est vrai que dans diverses interviews, j'ai dit que je voulais retrouver mon travail. Mais, si c'est pour me retrouver avec la même équipe de managers, je pense que ce n'est pas une bonne idée que je réintègre l'entreprise. J'aimerais vraiment obtenir des réponses par rapport au licenciement et puis, avoir si possible des indemnités. Mais non, je ne veux pas retourner sur ce site-là", confie Loan Léton, d'ores et déjà lancé dans la recherche d'un nouvel emploi.
Avec Claire-Marine Selles / FTV