98 salariés de l'usine Watts de Hautviller-Ouville (Somme) ont appris leur licenciement début octobre. En attendant le résultat des négociations, ils se retrouvent encore à l'usine pour quelques jours. Nous les avons rencontrés.
Dorothée Lombard a dédié sa vie à l'usine Watts. Elle avait 16 ans lors de son premier contrat à Hautviller-Ouville (Somme). "Moi, j'ai grandi ici, j'étais en échec scolaire, donc ma mère m'a dit : 'Il y a une usine. Tu vas à l'usine te faire embaucher'. J'y suis allée et ça a marché. J'ai fait beaucoup d'années de contrats et après, j'ai eu un an et demi de chômage et après, je suis revenue et je ne suis jamais repartie. C'est un peu ma deuxième maison", s'émeut-elle. À 50 ans, elle ne recevra pas la médaille du travail qu'elle espérait recevoir cette année, après trente ans passés à l'usine. L'ouvrière vient d'apprendre qu'elle va fermer.
Ils étaient 98 à tomber des nues lorsqu'ils ont appris la nouvelle au début du mois d'octobre. "C'était un coup de poignard dans le dos, clairement, un mardi à 8h du matin. Il faut assimiler vite fait bien fait pour l'annoncer aux collègues ensuite. Et puis, on n'a pas eu besoin de beaucoup parler. Ils ont compris vu nos larmes… On a tous versé notre larme. Aujourd'hui, c'est toujours aussi dur pour moi. On n'arrive pas à se projeter", raconte Dorothée.
Une équipe soudée malgré la mauvaise nouvelle
Parmi eux, des jeunes, mais aussi beaucoup d'anciens comme Dorothée. "Ça fait un peu plus de trente ans qu'on travaille tous ensemble et puis ce sont les gens du village parce qu'à l'époque où c'était une entreprise familiale, on embauchait beaucoup les gens du village. On se connaissait tous quoi..."
Cette "petite famille" comme la surnomme affectueusement Dorothée se retrouve encore à l’usine. "Ça peut paraître étrange, mais ce qui me fait du bien, c'est de continuer à venir ici, de voir mes collègues, de discuter, de rire. On a vraiment besoin de se retrouver". Ensemble, ils ont installé des croix de bois le long de route menant au site. Chacune porte le nom d'un employé lésé.
Jean-Michel Bovin fait partie de ces noms. Il y a quatorze ans, il devait déjà être licencié par Watts Industrie avant d'être finalement replacé sur ce site : "On m'a mis ici et ça n'a pas trop joué parce qu'on avait du travail. Et puis pas trop loin, mais bon, il y avait quand même 45 km pour venir travailler. Heureusement qu'on fait du covoiturage."
Lui aussi a fait toute sa carrière chez le fabricant de sanitaires : 37 ans en tout. Il a 58 ans et peu d'espoir de retrouver un emploi : "On va voir ce qu'ils vont négocier. Et puis, après, il faudra soit rester dans le groupe, soit chercher du travail, mais à trois ans de la retraite...".
"Je suis partie pour faire de l'intérim jusqu'à ma retraite"
"Mais quel patron aujourd'hui va vouloir s'enticher de moi ?", s'interroge Dorothée. Peu confiante dans les possibilités de trouver du travail dans les usines des environs, elle espère un replacement comme la plupart des employés : "On attend tous ça. Je n'ai pas de diplôme pour essayer de rebondir sur autre chose. Je suis partie pour faire de l'intérim jusqu'à ma retraite. Donc bon, c'est compliqué. Quand on a des intérimaires qui venaient travailler chez nous, je leur disais 'mais vous avez une drôle de vie à faire 18 mois ici puis 18 mois là'. Je me dis que maintenant, c'est mon tour", raconte-t-elle, désespérée.
Faute de travail en usine, il lui reste la reconversion. Avant d'intégrer le groupe, elle se voyait puéricultrice, mais tout ça est derrière elle. "Aujourd'hui, je ne m'en sens plus capable. Mon état de santé ne me le permettrait pas de toute façon et puis non, je n'ai plus la patience avec les enfants. Ça serait trop compliqué pour moi aujourd'hui."
Tous gardent espoir qu'un repreneur soit trouvé. En attendant, les représentants syndicaux participent à de nouvelles négociations avec la direction de Watts à Paris.
Avec Gaëlle Fauquembergue / FTV