"Humainement, c'est un drame total" : 98 salariés menacés par la fermeture de l'usine Watts près d'Abbeville

Ouverte depuis près de 75 ans, l'usine d'Hautvillers-Ouville dans la Somme risque de fermer. L'annonce a été faite le 1er octobre par son propriétaire, le groupe Watts Industries. Les pouvoirs publics se mobilisent pour éviter cette condamnation décidée par le groupe américain.

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Les visages sont fermés à la sortie de la réunion qui avait lieu ce matin à Hautvillers-Ouville, où le directeur et le DRH de l'usine Watts ont rencontré le maire, un conseiller départemental et le président de la Région pour leur présenter leur décision de cesser totalement l'activité en juin prochain. 

De la boulangère du village à Xavier Bertrand, tous sont inquiets de cette perspective. Les politiques promettent de se battre, les salariés, eux, essaient de tenir le coup face au choc de cette annonce. L'usine est implantée dans la commune depuis plus de 70 ans, les salariés ont en moyenne vingt-trois ans d'ancienneté. Elle est spécialisée dans la robinetterie et produit notamment des pompes à chaleur destinées au marché français. 

"Ce matin, c'était un peu chaotique, les gens ont le moral à zéro, constate Franck Carpentier, ouvrier de l'usine Watts. Moi, ça fait 35 ans que je suis là-dedans, on vous annonce ça comme ça. Il y a des plus jeunes que moi, ils auront peut-être plus de chance de retrouver du travail... Mais bon, on va essayer de remonter les troupes et pas lâcher l'affaire !

Une annonce brutale 

Le maire du village, Frédéric Noël, est partagé entre l'abattement et l'écœurement à l'issue de la réunion avec les cardes de Watts. "Je pense aux 98 employés, à leurs familles, à nos commerces, se désole le maire (sans étiquette). La fermeture est pour ainsi dire actée, les premiers licenciements devraient commencer en mars, de mars à juin. En juin, le site sera malheureusement définitivement fermé. Je ne comprends pas cette décision, c'est une usine qui a fait des investissements il y a un an, qui tournait avec des employés confirmés, de vrais professionnels. Ils ont un savoir-faire qui ne s'acquiert pas du jour au lendemain."

"Pour nous, c'est une catastrophe, soupire Lucie Melchilsen, qui tient le seul commerce du village, une boulangerie, avec son époux Stéphane. Les salariés passent le midi et le soir chercher leur pain, l'usine elle-même nous fait travailler. C'est une usine qui est là depuis des années, des gens ont fait leur carrière là-dedans, ça va avoir un impact au niveau local." 

On est en France, on ne jette pas les gens comme ça.

Xavier Bertrand

Président de la région Hauts-de-France

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Le conseiller départemental (divers gauche) Angelo Tonolli ne veut pas s'avouer vaincu : "On va se battre, car nous avons un outil de travail extrêmement performant. On y produit des pompes à chaleur qui sont destinées au marché français. Il n'y a absolument aucune logique à ce que cet outil de travail soit fermé. En plus, dans cette usine, la majorité des salariés a plus de 50 ans, 58 % d'entre eux. Ça va être très difficile pour eux de retrouver du boulot donc humainement, c'est un drame total."

Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, s'est également rendu à la réunion. "Pour les salariés, je dis qu'il ne faut pas apporter n'importe quoi et signer n'importe quoi, déclare-t-il. L'usine, je vais la visiter le plus vite possible, car s'ils veulent vraiment partir, il faudra trouver un repreneur. Ce que veulent les salariés, c'est du boulot ici. Quels que soient les financiers qui sont derrière, on est en France, on ne jette pas les gens comme ça."

Les consultations entre la direction et les salariés pour établir un plan de sauvegarde de l'emploi commenceront le 10 octobre. "Watts Industries France, également consciente de ses responsabilités à l’égard du tissu socio-économique local, entend travailler en étroite collaboration avec les autorités et les élus pour effectuer une recherche de repreneur et identifier toutes les pistes de reprise possibles", indique l'entreprise dans un communiqué envoyé le 1er octobre. 

Crise du bâtiment ou cynisme capitaliste ? 

L'entreprise a confirmé en réunion que l'activité d'assemblage, la partie de l'usine touchée par la fermeture, sera délocalisée en Bourgogne, en Italie et en Bulgarie. L'usine d'Hautvillers-Ouville serait victime du ralentissement du secteur du bâtiment, qui représente 90% de son activité. 

D'après le communiqué de l'entreprise, sa décroissance serait due à "une forte inflation tirée par la hausse des coûts de l’énergie, des matières premières ainsi que par la hausse des taux d’intérêt et par le contexte géopolitique en Ukraine et au Moyen-Orient. Ainsi, le nombre de chantiers de logements neufs lancés en France a baissé de 30%, entre juillet 2022 et janvier 2024, et encore de 10% depuis le début de l’année.

Certaines productions de l'usine seraient fortement impactées par ces baisses de marchés. "En 3 ans, elles ont atteint - 40% pour certaines de ses gammes, malgré l’arrivée de lignes de production supplémentaires en 2021 pour maintenir les volumes de production et des investissements significatifs en 2022", indique Watts.

Tout ça est complètement anecdotique dans la tête de ces financiers qui ne pensent qu'à s'en mettre plein les fouilles.

Angelo Tonolli

Conseiller départemental (DVG) de la Somme

Des arguments durs à avaler pour les différents politiques présents ce matin. "Je suis de la commune, je me suis rendu compte qu'il y avait des heures supplémentaires qui étaient faites régulièrement par certains ouvriers le samedi. Donc je me disais que le carnet de commandes était plus que favorable", observe le maire Frédéric Noël. 

"On est face à une décision qui a été prise aux États-Unis, par des financiers qui n'en ont que faire de l'histoire de ce site, de ses 75 ans d'existence, de l'histoire industrielle de notre territoire, réagit Angelo Tonolli. Tout ça est complètement anecdotique dans la tête de ces financiers qui ne pensent qu'à s'en mettre plein les fouilles.

Xavier Bertrand non plus n'est pas convaincu par l'argument conjoncturel. "Comment ça se fait, dans ce cas, qu'il n'y ait pas eu de signe annonciateur ? interroge le président de Région. Pourquoi ne sont-ils pas venus demander de l'aide pour les investissements ? Est-ce qu'il y a eu du chômage partiel, une information des salariés ?"

Ce n'est pas la première fois que Watts Industries provoque l'indignation en fermant une usine : en 2021, le groupe s'est séparé de son usine de Méry en Savoie. 55 salariés ont été licenciés, 30 autres reclassés sur un site de Saône-et-Loire, à plus de 250 kilomètres de Méry. 

"On a eu de bons bénéfices l'année dernière, je ne comprends pas, conclut avec amertume Franck Carpentier. Soi-disant, on travaille à perte, je n'ai jamais vu qu'on faisait ça.

Une réunion entre les dirigeants de Watts, le préfet de la Somme et le président de la Région est prévue la semaine prochaine. 

Avec Gaëlle Fauquembergue / FTV 

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