En 2023, la France comptait pas moins de 36 000 décharges sauvages, c'est presque autant que le nombre de communes sur notre territoire. Un phénomène qui prend de l'ampleur, sans que vraiment personne ne trouve la solution.
Au fond de son jardin, à quelques dizaines de mètres de sa maison, Michel Fromond vit avec une décharge illégale, aujourd'hui invisible, mais il l'assure, bien présente : "Là-dedans, il y a des déchets qui ont été mis depuis 1989. Au lieu de les retirer, on a recouvert ça avec de la craie. Pourtant l'ancien maire était au courant. Il aurait pu demander l'enlèvement des déchets. Je ne comprends pas pourquoi ça a été recouvert plutôt que de tout enlever."
Ces déchets, estimés par Michel à 40 000 m3 auraient été déposés là par l'ancien propriétaire du terrain, un maçon de Corbie pendant de nombreuses années. Ils auraient ensuite été recouverts par de la craie provenant d'un chantier public de l'ancienne blanchisserie de la commune.
L'amiante, cause quand même des cancers. Ce n'est pas anodin d'avoir une décharge derrière chez soi.
Michel Fromond, habitant de Corbie
Un joli méli-mélo où personne ne semble avoir pris ses responsabilités. En 2016, Michel était inquiet et attendait de voir la justice faire son œuvre. Mais huit ans plus tard, rien n'a changé, malgré une mise en demeure par le maire de l'époque, jamais exécutée, et des analyses montrant que de l'amiante se trouve bien dans le monticule de terre. Michel le déplore : "L'amiante, cause quand même des cancers, etc. Ce n'est pas anodin d'avoir une décharge derrière chez soi. Alors que normalement ces déchets-là, ils sont traités, recyclés."
Des actions sans résultat
L'association Picardie Nature a pris le dossier en main dès 2011. En 2012, leur plainte contre X pour décharge illégale est classée sans suite. Ils en déposent une nouvelle, cette fois pour infraction au plan d'occupation des sols de la commune de Corbie. Les sociétés mises en cause sont condamnées en appel à une amende, mais pas à remettre les lieux en état.
Pour Picardie Nature, c'est une histoire judiciaire pleine de ratés. Son président, Patrick Thiéry, interroge les procédures juridiques. "Les bonnes investigations n'ont pas été menées et ça, ça me questionne énormément. C'était un dossier qui était très simple sur le plan réglementaire. Donc il y a certainement des personnes qu'on n'a pas voulu inquiéter. J'ai toujours respecté les décisions de justice, mais là, il y a quelque chose qui questionne. D'autant plus que l'État, la justice, depuis plusieurs années, insistent sur la nécessité de faire quelque chose contre les décharges illégales."
Un ras-le-bol général
Dans l'Oise, à Orry-la-Ville, même problème. Deux entreprises sont poursuivies depuis plusieurs années pour une décharge à ciel ouvert. Pour dénoncer ce non-sens écologique, une marche citoyenne est organisée depuis six ans. Dernière en date, le dimanche 14 avril : 6 000 m3 de déchets se sont accumulés sur un hectare de terrain, cachés dans un bois.
"On voit des pneus. On voit du plastique ou des bidons, qui proviennent beaucoup de chantiers de région parisienne, où vous avez une part de déchets inertes et vous avez une part de déchets toxiques, constate Didier Malé, président de l'association Roso. On peut avoir de l'amiante dans les déchets donc ça nécessite un tri à part. Vous pouvez avoir des fenêtres, avec de la peinture au plomb."
Une information judiciaire est ouverte depuis 2019 contre l'entreprise qui loue cette parcelle. En 2021, la préfecture a émis un arrêté pour qu'elle vide son terrain, mais elle reste aujourd'hui injoignable.
Nathanaël Rosenfeld, maire d'Orry-la-ville, envisage l'acquisition du terrain par la commune, pour qu'il devienne public et permettre de mobiliser des fonds. "On discute avec le propriétaire qui n'est pas hostile, il faut qu'on se mette d'accord", déclare-t-il.
Empêcher les dépôts sauvages
Les décharges illégales et les dépôts sauvages, un problème que le maire de Laigneville (Oise), a lui décidé d'éradiquer. En 2014, excédé face à une justice qu'il juge trop laxiste, Christophe Dietrich met à exécution le principe de retour à l'envoyeur.
De plusieurs dépôts par semaine sur sa commune, il est passé à un ou deux par an. Aujourd'hui, sa méthode reste radicale, mais légale, il l'assure. Selon lui, ce problème de déchets et bien plus profond qu'un simple souci de pollution illégale. "Aujourd'hui, les sociétés qui dirigent les déchetteries ne font pas de retraitement, ils font de la valorisation. Et tout ce qui n'est pas valorisable, du type : déchets de travaux, et bien ça, ils essaient de passer au travers. C'est pour ça qu'aujourd'hui, dans l'Oise, il n'y a plus que quatre déchetteries pour les professionnels, et les déchetteries pour les particuliers sont devenues extrêmement restrictives."
Il explique l'existence des dépôts sauvages par le fait que la plupart des particuliers empruntent les camions de leur entreprise pour se rendre en déchetteries. Ces dernières refusent alors, pensant qu'il s'agit de professionnels. "Vous voyez, c'est un jeu de dupe. Et donc tout ça, il faut le revoir", s'indigne-t-il.
À Corbie, Michel, lui, n'entrevoit toujours pas l'ombre d'une solution. Il n'a qu'une peur : c'est que cette décharge illégale, au fond de son jardin, tombe dans l'oubli, et que la justice n'ordonne jamais une remise en état. Un pourvoi en cassation est en cours, il devrait être jugé à Rouen, au plus tard en 2026.
Édité par Chloé Caron / FTV