Les taux de "polluants éternels" sont en hausse dans la rivière Oise, aux abords de la plateforme chimique de Villers-Saint-Paul, selon de nouvelles analyses dévoilées le 13 mars 2024. Depuis février, il est déconseillé de consommer les poissons pêchés dans ces eaux. Mais cela ne semble pas stopper l'extension de l'usine Chemours.
Mangera-t-on encore des poissons pêchés dans la rivière Oise dans un futur proche ? Depuis février 2024, ils sont considérés comme impropres à la consommation. Contaminés par les "polluants éternels" rejetés par la plateforme chimique de Villers-Saint-Paul.
L'ablette impropre à la consommation
L'Agence Régionale de Santé "recommande de ne pas consommer les poissons pêchés entre Pont-Sainte-Maxence et Villers-Saint-Paul" en raison de la présence de PFAS, des polluants éternels retrouvés dans toutes les espèces de poissons étudiées, peut-on lire sur le site de la DREAL (Direction Régionale de l'Environnement de l'Aménagement et du Logement) des Hauts-de-France.
Selon les données publiées en février, certains de ces polluants éternels ont été retrouvés dans des concentrations plus de trois fois supérieures à la norme européenne (qui vaut pour la chair de l'animal) dans le corps entier de trois espèces de poissons différentes dont l'ablette, régulièrement consommée par la population. De nouvelles analyses dans les chairs doivent être menées par les services de l'État.
Des problèmes de santé liés aux PFAS
Extrêmement résistants dans l'environnement, les PFAS, ou alkyls perfluorés et polyfluorés, sont présents dans plus de 4 700 produits chimiques (pour la fabrication des poêles Teflon, des textiles imperméables…). Ils s'accumulent avec le temps dans l'air, le sol, les eaux des rivières, la nourriture et jusqu'au corps humain, et sont quasiment indestructibles.
Selon un rapport de l'Anses daté de 2019, le PFOA et le PFOS ont été détectés chez 100% des adultes et enfants testés. Les PFAS peuvent entraîner divers problèmes de santé : cancers, maladies thyroïdiennes, obésité et problèmes de fertilité, selon l'European Environment Agency, l'agence européenne de l'environnement.
En mars 2023, la plateforme chimique de Villers-Saint-Paul, dans l'Oise, a été identifiée par Le Monde comme un des cent sites de contamination aux PFAS des Hauts-de-France. Ici, se côtoient quatre sociétés dont Chemours.
Issue du groupe américain DuPont, qui a fait scandale aux États-Unis, elle est la seule usine de la plateforme à fabriquer des matières fluorées : répulsifs, surfactants et mousses d’extinction d’incendie. Une activité qui entraîne des rejets de PFAS dans ses effluents aqueux et atmosphériques.
Une concentration en PFAS 3,6 fois plus élevée
Après de premiers prélèvements réalisés en avril 2023 au niveau de la plateforme chimique, l'association Générations Futures a une nouvelle fois analysé l'eau de la rivière Oise le 23 janvier 2024. Un prélèvement réalisé à un emplacement situé en aval immédiat de la station d'épuration collective de la plateforme.
Ses résultats, dévoilés ce 13 mars, mettent en évidence une concentration totale en PFAS 3,6 fois plus élevée que celle constatée en 2023 au même endroit (4 128 ng/L en 2024 contre 1 140 ng/L en 2023).
Peut-être que si on échantillonne dans un mois, on aura moins de concentration de PFAS. Mais on reste dans des niveaux élevés, bien supérieurs à ceux prélevés il y a 10 ans.
François Veillerette, porte-parole de Générations Futures
En 2013, une concentration de 1 204 ng/L de PFAS avait été relevée dans la rivière Oise, en aval de la plateforme, par des chercheurs du laboratoire d’hydrologie de Nancy de l’Agence nationale de sécurité sanitaire.
Contactée, l'entreprise Chemours assure par voie de communiqué : "Nous ne pouvons pas commenter les données publiées par Générations Futures, car nous n'avons pas de détails sur des aspects cruciaux tels que les méthodes d'échantillonnage, les techniques d’analyse et les données d’un éventuel échantillon témoin en amont de la plateforme, et parce qu’ils concernent le déversement provenant d'une installation de traitement des eaux usées qui traite l'eau de l'ensemble de la plateforme ainsi que des flux externes."
Une surveillance des rejets depuis mars 2023
Après avoir porté plainte contre X pour pollution l'année dernière, l'association Générations Futures a écrit à la préfète de l'Oise pour lui demander d'"imposer la mise en œuvre de mesures contraignantes, fortes et efficaces de réduction des rejets de PFAS dans la rivière Oise par les industriels concernés".
Dans un arrêté du 22 mars 2023, la préfecture de l'Oise a imposé à Chemours "une surveillance des rejets dans l'environnement" de 48 PFAS ainsi qu'un diagnostic environnemental. Avant cet arrêté, les rejets de PFAS n'étaient pas surveillés par les autorités publiques.
Générations Futures salue la publication régulière de données. Mais l'association regrette que l’arrêté ne fournisse pas "la liste exhaustive des PFAS" visés par cette obligation de surveillance, rendant ces données incomplètes selon son porte-parole.
Si les autres sociétés de la plateforme n'utilisent pas de matières fluorées, la DREAL en conclut que les autres usines en émettent, mais dans des proportions bien inférieures. Depuis juillet 2023, une surveillance des PFAS est réalisée par les quatre sociétés de la plateforme chimique.
Une dégradation des sols
Sur le site de la DREAL, différentes données sont donc disponibles publiquement : analyses des eaux de l'Oise, rejets aqueux en entrée et en sortie de la station d'épuration collective, analyses des sols, des nappes phréatiques, des poissons, de l'eau potable… Des analyses dans les puits privés, les œufs et les végétaux seront, quant à elles, menées courant 2024.
Il en ressort notamment que les concentrations de PFAS mesurées dans les sols, bien qu'inférieures à la valeur limite danoise (il n'en existe pas en France), indiquent "une dégradation du milieu sol superficiel et racinaire en lien avec les composés PFAS traceurs de risque de l’activité Chemours", précise la DREAL.
Une incohérence
Quant aux concentrations de PFAS relevées en différents points de la rivière Oise, elles sont bien inférieures à celles publiées par Générations Futures. Ce qui interroge le maire socialiste de Villers-Saint-Paul.
De telles différences dans les résultats entre ceux de Générations Futures et ceux que nous communiquent les autorités de l'État, c'est pour le moins surprenant.
Gérard Weyn, maire PS de Villers-Saint-Paul
La DREAL relève d'autre part une incohérence entre la quantité de PFAS entrant et sortant de la station d’épuration. Un arrêté préfectoral du 7 décembre 2023 a donc prescrit de nouvelles campagnes de mesures à réaliser au cours du premier semestre 2024.
"Les normes sont insuffisamment protectrices"
L'Agence régionale de santé Hauts-de-France (ARS) a, quant à elle, analysé les concentrations de PFAS dans l'eau potable sur deux points de captage à six mois d'intervalle.
En juin 2023, il a ainsi été retrouvé des concentrations de PFAS de 24,6 ng/L au captage de Précy-sur-Oise. Et de 13,3 ng/L en janvier 2024. Des concentrations conformes aux limites de qualité fixées par la directive européenne du 16 décembre 2020 (100 ng/L pour la somme de 20 PFAS préoccupants dans les eaux distribuées).
Les valeurs guides sanitaires sont assez anciennes, les scientifiques demandent des seuils plus bas. Les normes sont insuffisamment protectrices aujourd'hui.
François Veillerette, porte-parole de Générations Futures
Au Danemark, la norme est par exemple de 2 ng/L pour la somme de 4 PFAS.
En parallèle de ces analyses, l'ACSO (Communauté d'agglomération Creil Sud Oise) a réalisé ses propres relevés dans les eaux des puits privés des jardins familiaux de Creil et de Villers-Saint-Paul en juillet 2023. Des eaux destinées à l'arrosage des cultures des particuliers et non à la consommation humaine. Les résultats, que nous avons pu consulter, témoignent de concentrations de PFAS inférieures à la limite fixée pour les eaux brutes.
La préfecture donne son feu vert à l'extension de Chemours
En 2023, Chemours a annoncé investir 200 millions de dollars pour étendre l'activité de son usine picarde. Elle va y installer, à l'horizon 2025, un site de production de membranes échangeuses de protons, qu'elle définit comme "un composant clé" du développement de l'hydrogène vert. La région a annoncé financer le projet à hauteur de 800 000 euros.
Le 19 janvier 2024, malgré les multiples alertes sur la dangerosité des PFAS et la mise en garde de députés néerlandais en novembre, la préfecture de l'Oise a discrètement donné son autorisation à ce projet d'extension via un arrêté.
Ce dernier fixe plusieurs objectifs, notamment la quantité maximum de rejet de l'ensemble des PFAS par Chemours : 6kg par an, à partir de 2024. En 2022, Chemours a estimé avoir rejeté 59 kg de PFAS.
Notre engagement envers une fabrication responsable s'est traduit par des investissements significatifs dans les technologies de contrôle des émissions ces dernières années.
Chemoursvia communiqué, le 15 mars 2024
Chemours a installé un centre d'élimination externe par incinération et un dispositif de traitement à base de charbon actif à travers trois silos. La société américaine assure ainsi avoir réduit de "92%" ses émissions. Et s'engage à "une réduction de 99%" de ses émissions d'ici à 2030.
Au 30 novembre 2023, elle avait rejeté 7,18 kg de PFAS, selon les données publiées sur le site de la DREAL. Elle rechercherait actuellement les raisons de la hausse des rejets en septembre et en octobre. Dans l'arrêté du 19 janvier, la préfecture prescrit l'installation de trois silos à charbon actif supplémentaires pour attendre la limite des 6 kg de rejets annuels.
"À mon niveau, l'entreprise joue le jeu et nous informe dès qu'il y a une inquiétude éventuelle", estime le maire de Villers-Saint-Paul, interrogé sur la transparence de Chemours.
"Le plus urgent est de fermer le robinet"
Selon l'élu, ses administrés sont "très peu inquiets de cette problématique" des PFAS, qu'il a lui-même découvert au moment de la sortie de l'enquête du Monde en 2023. Après avoir retardé la révision du plan local d'urbanisme (PLU) nécessaire à l'extension de Chemours, la mairie l'a finalement accepté à la suite de la publication des résultats d'analyses menées par l'agglomération, Chemours et la DREAL.
Concernant les dernières analyses de Générations Futures, la mairie dit attendre des précisions de la part de Chemours et de l'État. Contactées, la préfecture de l'Oise et la DREAL n'avaient pas encore répondu à nos sollicitations à l'heure de la publication de cet article. L'ARS des Hauts-de-France nous a, quant à elle, renvoyé vers la préfecture.
Alexandre Ouizille, sénateur socialiste de l'Oise a réagi sur Twitter :
Les derniers prélèvements effectués par @genefutures sont une alerte sérieuse. Les engagements pris par l’industriel en matière de réduction drastique des rejets de PFAS dans l’eau doivent être tenus. Les services de l’État en sont le garant. Nous allons y veiller. https://t.co/W5iTxIIPtE
— Alexandre Ouizille (@Aouizille) March 14, 2024
Un plan d'action ministériel sur les PFAS a vu le jour en 2023, visant notamment à réduire les émissions des industriels émetteurs de façon significative. Pour Générations Futures, réduire les rejets de PFAS ne suffit pas. "L'ensemble des écosystèmes est contaminé donc le plus urgent est de fermer le robinet le plus tôt possible", estime François Veillerette.