Des quantités anormales de polluants ont été mesurées dans les cheveux de sénateurs du Nord et de l’Oise. En parallèle, des "polluants éternels" interdits ont été détectés chez des députés lors d’un autre dépistage capillaire. Alimentation, pesticides, batteries : un appel à la réflexion dans les Hauts-de-France.
Notre mode de vie est-il en train de nous empoisonner ? Dans quelles mesures les nouvelles technologies et leur industrie menacent-elles la population ? Voilà certaines des questions de démocratie sanitaire posées par deux initiatives parlementaires cette semaine.
Mardi 27 juin, 26 sénateurs socialistes ont dévoilé les résultats d’un dépistage de 1 800 polluants et 49 métaux réalisé à partir de leurs propres cheveux. Mercredi 28 juin, 14 députés écologistes présentaient une entreprise similaire, des tests capillaires visant cette fois à rechercher des PFAS, substances chimiques communément surnommées "polluants éternels".
Deux démarches, un même objectif : témoigner pour alerter. Et les résultats sont alarmants.
Mal de crâne
Les mèches des sénateurs ont été analysées par l’entreprise toxSeek, spécialiste de l’intoxication chronique par les métaux et des symptômes : "fatigue, troubles du sommeil, maux de tête", etc.
Outre Laurence Rossignol dans l'Oise, Patrick Kanner, sénateur socialiste du Nord et président de son groupe, s’est lui-même prêté au jeu. "Ce qui démontre que je n’ai pas de moumoute et que je ne me teins pas les cheveux !", lance-t-il avec humour.
Il explique que "le cheveu fonctionne comme une carotte glacière : trois centimètres prélevés correspondent à trois mois d’analyse". Une source d’information utile, complétant les traditionnels tests sanguins ou urinaires.
Conclusion du dépistage des sénateurs :
- du mercure et des terres rares sont présentes dans des quantités supérieures à la normale, pour respectivement 100 % et 93 % des élus testés ;
- mais aussi un plastifiant, le Di-n-octyl phtalate (DNOP), dans 69 % des échantillons ;
- ainsi que des pesticides, 45 différents chez les uns ou les autres, dont un antilimaces chez une sénatrice du Lot, Angèle Préville (à l’initiative de l’étude), consommatrice de produits bio.
Le labo me considère "à risque" sur trois métaux et sur les DNOP. Ça, c’est peut-être les emballages alimentaires, les bouteilles d’eau, la qualité des produits que je ne maîtrise pas quand je suis à Paris. Et puis j’ai du tellure, une terre rare, sans doute le téléphone que nous avons greffé à l’oreille, les champs magnétiques dans le train… J’ai plutôt un bon état de santé, mais peut-être que je développe des saloperies que je ne soupçonne pas.
Patrick Kanner, sénateur du Nord et président du groupe SER
Même diagnostic concernant les PFAS dans les cheveux des députés écologistes : les 14 élus testés sont contaminés, parfois à des PFAS interdits en Europe. Certaines chevelures contiennent 8 substances parmi les 12 testées, alors même que le test est très partiel, puisqu’il existe plus de 10 000 PFAS.
"Personne n’y échappe", martèle Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts. La Pas-de-Calaisienne souligne que les élus écologistes testés "font, j’imagine (sic), attention à leur alimentation, etc. Et ça ne protège pas. C’est dès que vous respirez, buvez, mangez. C’est un empoisonnement collectif."
La problématique se fait peu à peu connaître en France cette année. Les PFAS sont des substances chimiques particulièrement persistantes, utilisées dans l’industrie depuis les années 1960 pour rendre toutes sortes de produits résistants à l’eau, la graisse ou la chaleur. 100 % de la population en ingère (et met donc du temps à les éliminer), du fait de rejets industriels dans l’environnement (ils peuvent y demeurer des siècles), si ce n’est par un contact fréquent avec les objets concernés : des poêles en Téflon, des emballages alimentaires, des vêtements.
Surtout dans les Hauts-de-France ?
Au Sénat comme à l’Assemblée, les parlementaires chevelus se positionnent comme des lanceurs d’alerte. "Il ne s’agit pas de se plaindre, ni de jouer les procureurs ou d’appeler à vivre en ermite, explique Patrick Kanner. Ce sont nos modes de vie à tous qui sont interpellés."
À commencer peut-être par celui des plus modestes, particulièrement nombreux dans les Hauts-de-France.
Sur le portable quand même, je pense aux enfants de 8 ans qui en ont déjà un : ce n’est pas étanche ! Et quand la vitre est brisée, là c’est la cata, ça transpire. Mais je pense surtout aux familles modestes près de chez moi, à Lille, à Wazemmes, qui n’ont pas le privilège de pouvoir changer leurs habitudes alimentaires : ça ne se voit pas comme l’obésité, mais cette intoxication transmise entre générations se traduira un jour ou l’autre par des dégâts sanitaires.
Patrick Kanner, sénateur du Nord
Le sénateur souligne que des avancées législatives ont été obtenues, au moins dans la lutte contre les plastiques. Mais les familles peuvent toujours acheter des couverts issus du pétrole, pas chers, en supermarché. Beaucoup d’amendements de gauche, ciblant par exemple les lâchers de ballons de baudruche ou l’emballage de produits individuels vendus par lot, ont été rejetés en 2019, le Gouvernement pointant un "jusqu'au-boutisme" qui pourrait "diviser la population".
"Nous allons réfléchir à de nouveaux combats, promet Patrick Kanner (candidat à sa réélection en septembre, ndlr), même si tout ne passe pas forcément par la loi."
Sur les pesticides aussi, la préoccupation est forte dans les Hauts-de-France, première région agricole. Mais ce n’est pas tout.
Industrielle, la région est tournée vers les nouvelles technologies et les batteries avec la construction de quatre gigafactories, axe stratégique majeur pour le conseil régional. Or ces batteries, comme les téléphones portables, sont chargées de terres rares. De quoi amplifier la menace sanitaire pour les riverains ?
"Je ne suis pas physicien, je n’en sais rien, mais rien n’est anodin", commente Patrick Kanner. Sollicitées par France 3 Hauts-de-France, les équipes du président de région Xavier Bertrand restent muettes.
Même mutisme concernant les PFAS, alors que la région est là encore particulièrement concernée. Une plainte contre X a été déposée par l’association Générations Futures, qui a mesuré des taux exceptionnels de polluants dans la rivière Oise, près de la plateforme chimique de Villers-Saint-Paul, où l’industriel Chemours prévoit d’amplifier ses activités, aidé par une subvention régionale.
Mardi 27 juin, l’État a publié un arrêté ordonnant à 5 000 entreprises de produire, sous neuf mois, un diagnostic de leurs rejets industriels, à la recherche de polluants éternels. Selon Nicolas Thierry, le député écologiste à l’origine du test capillaire dans son groupe, le texte retient un seuil de mesure "extrêmement laxiste", faisant le jeu du lobbying de la chimie.