Florence Marcdargent revient de loin. Née dans le corps d’un garçon, elle a nié sa véritable identité pendant plus de 40 ans. Aujourd’hui, elle se bat quotidiennement avec son association pour rendre visible les personnes transgenres. Elle vit désormais pleinement sa vie de femme. Dans le cadre de la journée internationale de la visibilité transgenre, elle nous a livré sans fard, son parcours, semé de souffrances et de questionnements.
Florence est une femme bien dans sa peau. En jupe, pull et manteau de couleurs discrètes, elle porte aussi quelques bijoux, un style classique. À 56 ans, elle affirme sa féminité, en toute élégance. Mais elle n’a pas toujours vécu aussi librement.
Une adolescence douloureuse
Florence est née garçon. Enfant, elle a vécu avec cette identité sans se poser de question jusqu’à 11 ans. Lors d’un voyage linguistique en Allemagne, elle est hébergée quelques jours dans la chambre de la fille de la famille. "Durant ce séjour, je me suis retrouvée dans cet univers féminin. Un nuage rose. J’ai essayé les vêtements, les sous-vêtements et je me suis sentie bien. J’ai adoré vivre dans cette chambre de fille. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me poser des questions. C’était un ressenti, quelque chose se passait que je n’arrivais pas à m’expliquer", nous dévoile Florence Marcdargent.
J’ai vécu des périodes très glauques. J’ai pensé à l’automutilation.
Florence Marcdargent, femme transgenre
De retour en France, l’adolescent retrouve sa famille, et sa vie de petit garçon dans un milieu bourgeois et catholique. Mais son ressenti est toujours là et se renforce : "J’ai prié pour perdre ce que j’avais entre les jambes et devenir comme ma sœur. Bien sûr, ça n’a pas fonctionné." Les années qui ont suivi ont été terribles pour Florence. "J’ai vécu des périodes très glauques. J’ai pensé à l’automutilation. J’ai imaginé me couper le sexe, mais quelque chose m’a retenu : je ne savais pas comment j’allais pouvoir faire pipi ensuite", révèle-t-elle amusée. "Je suis passée par différentes phases qui ont bien pourri mon adolescence. Mes notes ont chuté, j’ai redoublé plusieurs fois." La honte, la peur l’ont empêché de parler à son entourage. "C’était inimaginable ! On n’en parlait pas, surtout dans une famille catholique. Et puis, je me pensais fou. Si j’avais révélé ma situation, mes parents m’auraient fait enfermer à Sainte-Anne ou ils m’auraient fait faire une thérapie de conversion chez les cathos."
Apparus en 1950, aux États-Unis, ces pratiques dites de "conversion", prétendent modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. L’homosexualité, la bisexualité et la transidentité sont considérées par ses adeptes comme des maladies qu’il convient de guérir. Généralement à destination d’un public jeune, elles ont des effets dramatiques et durables sur la santé physique et mentale des personnes qui les subissent : dépression, isolement, suicide. Ces pratiques, qui peuvent prendre la forme d’entretiens, de stages, d’exorcisme, de traitements par électrochocs ou encore d’injection d’hormones, ne reposent sur aucun fondement médical ou thérapeutique. Elles sont le fait d’une minorité de "thérapeutes" autoproclamés et de certains représentants ou fidèles de cultes. Une loi, promulguée en 2022 en France, interdit désormais ces pratiques.
Pour se protéger, Florence, qui préfère taire son prénom de naissance pour, dit-elle, "s'en débarrasser", cache ses questionnements et choisit de nier son intuition. "J’ai mis tout ça sous le tapis dès la sortie de l’adolescence. À cette époque et encore de nos jours, ces personnes étaient appelées des transsexuels. C’était très connoté et associé avec la prostitution, le monde la nuit, de la drogue, du sexe. Je ne me suis jamais reconnue dans cet univers. À l’époque, il n’y avait aucune visibilité sur la transidentité, aucune information. Je ne savais rien", ajoute Florence.
La révélation
Florence, qui avait encore son identité masculine, mûrit, se marie et devient papa de deux enfants, puis divorce, comme des millions d’hommes en France. Ce n’est qu’en mars 2020, au début du premier confinement, pendant la crise du Covid, que ce père de famille a une révélation. "Nous étions 14 à la maison, ma compagne, nos enfants respectifs et de la famille, tous confinés ensemble, chez nous, à Clermont-de-l'Oise. Lors d’un repas, nos ados ont lancé une discussion sur la famille Kardashian et la transition de la belle-mère, ancienne athlète homme olympique. Je me suis figé, je n’ai rien dit de peur d’être démasqué. Je n’avais pas de télévision depuis plusieurs années et je ne voyais pas les émissions de téléréalités et autres programmes qui commençaient à parler du sujet depuis plusieurs années", explique Florence. Elle cherche alors des réponses, fouille le web, se renseigne sur les sites d’associations spécialisées et comprend ce qui lui avait échappé pendant plus de 40 ans. "En trois semaines, j’ai découvert que je n’étais pas seule, pas anormale, qu’il existait des prises en charges pour les personnes transgenres, que c’était possible ! Toutes ces informations sont tombées du ciel."
Il y a eu de nombreux cas de décès chez les adolescents trans, liés a l’automédication.
Florence Marcdargent
Parmi les personnes trans, il existe autant de parcours que de choix possibles. La loi permet désormais de changer de genre en passant par des prises d’hormones, mais également avec de la chirurgie. En terme administratif, il est également autorisé, depuis 2016, de changer de sexe sur les actes d’état civil et depuis une loi de 2017, de modifier son prénom sur ses papiers officiels.
La chirurgie et le changement d’état civil ne sont possibles qu’à partir de 18 ans, mais les adolescents ont la possibilité d’avoir recours à des retardateurs de puberté, avec l’accord des parents. Un parcours médical et psychologique très encadré. "C’est une très bonne chose parce qu’avant cet encadrement législatif, il y a eu de nombreux cas de décès chez les adolescents trans, liés à l’automédication, de prises hormonales inconsidérées", explique Florence.
En France, le nombre d’adolescents qui veulent changer de sexe explose. Selon l’Assurance maladie, il a été multiplié par dix en sept ans. Syndrome de Benjamin, du nom de l’endocrinologue américain, connu pour ses travaux sur le transsexualisme, la dysphorie de genre, l'incongruence de genre, des appellations pour décrire l'inadéquation entre le sexe de naissance et celui auquel on s’identifie.
L’Académie de médecine, des associations de parents, des observatoires, des chercheurs appellent à la prudence et alertent sur les dangers de traitements hormonaux et l’aspect irréversibles de certains actes. En France, très rares seraient celles et ceux qui veulent dé-transitionner, c'est-à-dire revenir en arrière, contrairement à d’autres pays. "Chez la plupart des personnes transgenres, c’est vers six ans que l’on s’aperçoit que l’on n’est pas dans le bon corps. Il existe une infime minorité de retransition. Dans la société, on distille une peur qui se transforme en haine et rejet des transgenres", indique Florence.
Le coming out
Pour elle, la décision a été tardive, mais rapide. En deux mois, elle fait son coming out auprès de sa famille, puis en septembre 2020, soit trois mois après, elle décide de commencer un traitement hormonal, un bloqueur de testostérones.
En octobre, elle obtient son changement de nom et de sexe sur son acte civil et auprès de la sécurité sociale. "Les choses ont beaucoup évolué. C’était le parcours du combattant il y a encore cinq ans, après le vote de la loi. Les dossiers administratifs sont encore parfois compliqués à monter pour changer de genre officiellement, mais ça avance."
Il ne faut pas confondre le genre, qui est notre identité, avec la sexualité.
Florence Marcdargent
Il y a deux ans, elle adhère à l’association Trans santé France et devient chargée de développement et décide de s’engager dans la lutte pour la visibilité et les droits des personnes transgenres. L’objectif de l’association : informer, accompagner et réunir les compétences médicales, universitaires et celles des personnes concernées. "Il y a encore beaucoup d’ignorance sur le sujet, ce qui entraîne encore des violences à notre égard et des menaces. Longtemps, moi aussi, j’ai cru que c’était de la perversion parce que c’est cette image que la société nous renvoie. Mais, c’est tout le contraire. Nous sommes prêts à faire une croix sur notre sexualité, avec des hormones qui suppriment toute libido, pour vivre notre vie d’hommes ou de femmes trans. Il ne faut pas confondre le genre, qui est notre identité, avec la sexualité", insiste Florence.
Certaines personnes trans ne souhaitent pas aller plus loin que le changement à l’état civil, d’autres opèrent un changement radical. Florence, elle, a décidé de faire une opération du visage et une augmentation mammaire, en juillet prochain. Puis, en 2024, ce sera une opération de confirmation de genre, de changement de sexe... Pour se sentir pleinement femme.
Si vous êtes concernés par le sujet de la transidentité, vous cherchez un contact, un accompagnement ou des informations, vous pouvez joindre différentes associations de proximité, toutes membres de Trans santé France : Transparents, Transat, En-trans…