La santé est la 4e préoccupation exprimée par les Français dans le cadre de #MaFrance2022. Délais rallongés, emplois non pourvus, cabinets engorgés… L’accès aux soins paramédicaux est de plus en plus compliqué pour les Français. Il faut attendre parfois des mois avant d’obtenir un rendez-vous. Une pénurie de personnels liée au manque d’attractivité de certains territoires et de conditions de travail difficiles.
"Ma fille est 300e sur liste d’attente". Florine Hombert est maman de la petite Ambre. Malgré tous ses efforts, la jeune fille âgée de 6 ans peine à se faire comprendre à l’école en raison de ses problèmes de prononciation. Cela fait maintenant 2 ans que Florine Hombert tente tant bien que mal d’obtenir un rendez-vous chez un orthophoniste. En vain.
"J’en ai contacté une dizaine, jusqu’à chercher sur Arras. Aucune réponse, ils ne me rappellent jamais ou me mettent sur liste d’attente", raconte l’habitante d’Avesnes-le-Comte dans le Pas-de-Calais. Alors en attendant, Florine Hombert s’improvise orthophoniste à la maison : "j’ai regardé sur internet comment faire pour la faire travailler nous-mêmes. C’est compliqué. Ce n’est pas à nous de le faire. Les professionnels ont des méthodes pour que les enfants soient plus attentifs", regrette-t-elle.
Même son de cloche chez Karine Maertens, habitante de Lapugnoy dans le Pas-de-Calais. Depuis mai 2021, elle a contacté pas moins de douze orthophonistes pour son fils de 15 ans diagnostiqué dysphasique. "Je suis sur la liste d'attente de plusieurs orthophonistes, je les relance régulièrement, confie-t-elle, comme c'est un collégien, ça n'arrange pas les délais car il n’est disponible que le soir. Certains orthophonistes m'ont fait comprendre qu'ils ne voulaient pas de collégiens !" Une galère que bien d’autres parents connaissent.
Des cabinets engorgés
Dans les Hauts-de-France, le difficile accès aux soins paramédicaux est malheureusement une réalité. Les cabinets d’orthophonistes, de kinésithérapeutes ou encore de psychomotriciens (pour ne citer qu’eux) sont engorgés.
"Je suis ouverte 60 h par semaine et je dois refuser du monde. On ne peut pas travailler la nuit et le dimanche", témoigne Sylvie Desaleux, kinésithérapeute à Senlis et présidente du syndicat des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs de l’Oise. "Je ne peux pas prendre de nouveaux patients. J’attends que l’un s’en aille pour en prendre un nouveau", confie quant à elle Anne Grenier, orthophoniste à Roye dans la Somme et présidente du syndicat régional des orthophonistes de Picardie (Sropic).
Depuis mes débuts en 1995, je n’ai jamais vu autant d’attente. Nous faisons face à l’impuissance des parents qui n’arrivent pas à avoir de professionnels. Les délais sont très longs, entre 18 mois et 2 ans.
Anne Grenier, orthophoniste à Roye dans la Somme
En cause, la pénurie de ces professionnels de santé, notamment dans les territoires ruraux. Au 1er janvier 2021, on dénombre 27 642 orthophonistes exerçant en France. La densité moyenne est de 38,2 orthophonistes pour 100 000 habitants. Une carte de zonage en orthophonistes existe, découpée en cinq catégories : surdotée, très dotée, intermédiaire, sous-dotée, très sous-dotée.
Du côté des kinésithérapeutes, la moyenne française est de 12,6 pour 10 000 habitants. Selon le rapport 2017 sur la démographie des kinésithérapeutes de l’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes, les densités les plus faibles, inférieures à 10 praticiens pour 10 000 habitants, sont constatées en Normandie, Centre, Franche-Comté, Poitou-Charentes et... En Picardie avec 7,4 kinés pour 10 000 habitants.
Au 1er janvier 2021, on dénombre également 15 377 psychomotriciens et 14 548 ergothérapeutes exerçant en France.
Une difficulté de recrutement face à la hausse de la demande de soin
Les professions paramédicales figurent depuis plusieurs années dans le top des métiers en tension. Une étude Endeed de 2017 classe par ailleurs la profession de kinésithérapeute comme la plus difficile à pourvoir avec 79,1 % des postes vacants non pourvus au-delà des 60 jours.
"Nous avons du mal à recruter des temps complets, et même des temps partiels. Nous avons un poste de psychomotricien, deux postes d’orthophonistes et un poste d’ergothérapeute vacants depuis un an", révèle Cathy De Sadeleer, directrice du pôle autisme de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) d’Amiens. L’association gère le Sessad, le service d’éducation spécialisée et de soins à domicile, accueillant des enfants et adolescents âgés de 0 à 20 ans, présentant des troubles du spectre de l’autisme (TSA). "Nous compensons en conventionnant avec des libéraux, ce qui a un certain coût. Il faut du temps pour trouver un spécialiste disponible. Ce sont plusieurs mois de recherche au détriment de la qualité de l’intervention, avec des séances réduites", poursuit-elle.
Sylvie Desaleux, elle, est à la recherche d'un assistant depuis maintenant 5 ans pour reprendre son cabinet : "je pars à la retraite bientôt. Je donne le cabinet, le matériel, et la patientèle, qui, de toute façon ne se vend même plus. Pourtant, je ne trouve personne", se désole la kinésithérapeute.
Une pénurie de professionnels dans un contexte de hausse de la demande de soin :
Quand j’ai commencé à travailler en 1981, on était 4 ou 5 kinés pour le secteur. Aujourd’hui, nous sommes 16 et nous n’arrivons pas à fournir. À l’époque, nous y parvenions sans problème.
Sylvie Desaleux, kinésithérapeute à Senlis dans l'Oise
"Il y avait moins d’exigence et de nécessité de soin, car les gens mourraient plus vite. Aujourd’hui, la population vieillit et nous pouvons suivre des gens pendant des années", détaille la spécialiste. Une hausse de la demande, à laquelle ne peuvent répondre les cabinets surchargés.
Des salaires peu attractifs
Bac+5, 1 600 € bruts mensuels en début de carrière pour un orthophoniste salarié. Bac+5, 1 800 € bruts mensuels pour la profession de kinésithérapeute à l’hôpital. Après plusieurs années d’études difficiles, des formations très sélectives, il est facile d’imaginer les raisons pour lesquelles les jeunes diplômés ne candidatent pas, ou très peu.
"La profession n’est plus attractive sur le plan financier. Les honoraires sont figés depuis des années. Chez le kiné, chaque séance est à facturer 16,13 € bruts pour une demi-heure. On ne s’y retrouve pas financièrement, déplore Sylvie Desaleux, d'autant plus que la grille hospitalière d’un kiné est scandaleuse". Anne Grenier confirme : "le salaire est très bas, le salariat n’attire plus".
Nous avons des grilles salariales moins avantageuses qu’en libéral.
Cathy De Sadeleer, directrice du pôle autisme de l’Apajh
En conséquence, ces professions sont majoritairement libérales, ce qui garantit une certaine indépendance et une meilleure rémunération. 2 465 € bruts par mois en moyenne pour un orthophoniste libéral.
Une région en déficit migratoire
Au-delà des salaires peu attractifs, la deuxième région la plus pauvre de France n’attire simplement plus. "Les jeunes Picards ont envie de s’installer ailleurs, ils vont dans le sud ou dans les grandes villes. C’est un problème d’aménagement du territoire, mais aussi sociétal", estime la présidente du syndicat des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs de l’Oise.
En Picardie, sur les 35 jeunes diplômés en orthophonie en 2021, "seuls 6 d’entre eux sont restés dans la région", affirme Anne Grenier. Les Hauts-de-France souffrent depuis longtemps d'un manque d'attractivité qui se traduit par un déficit migratoire marqué, "le plus élevé de province", selon l’Insee. De l'ordre de -0,3 % par an, il freine sensiblement l'évolution démographique régionale. Selon l’organisme, en 2050, la région comptera 205 500 habitants en moins.
Alors, pour attirer les professionnels paramédicaux, le gouvernement a lancé en 2018 des dispositifs incitatifs prévus dans les zones très sous-dotées : le contrat d’aide à l’installation et le contrat d’aide au maintien. Seulement, pour la présidente du Sropic, ce n’est pas suffisant : "les aides incitatives ne marchent pas vraiment, car le zonage n’est pas représentatif et ne représente pas la réalité du terrain".
Une situation impactant directement les patients
Face à cette situation, l’impuissance. "Nous sommes obligés d’organiser des séances tous les quinze jours plutôt qu’une par semaine. Pour les enfants, c’est préjudiciable. Sur l’autisme, plus tôt ils sont accompagnés et plus vite nous avons des progrès, regrette Cathy De Sadeleer, de l’Apajh, nous sommes censés fournir un accompagnement global, mais nous ne pouvons pas".
Ce sont des métiers essentiels.
Cathy De Sadeleer, directrice du pôle autisme de l'Apajh
Pour les deux représentantes syndicales, la solution principale pour améliorer la situation consiste en une revalorisation salariale de ces métiers. "Nous demandons depuis longtemps une revalorisation salariale qui n’est pas faite", fustige Anne Grenier. En 2018, la Fédération nationale des orthophonistes a alerté le gouvernement, présentant 6 axes d’améliorations possibles, déclinés en 20 propositions.
Si le gouvernement augmente progressivement les capacités de formation, pour Sylvie Desaleux, ce n’est pas suffisant : "Nous ne sommes pas assez. Nous avons demandé une augmentation du numerus clausus pour faire face aux besoins". En kinésithérapie, les capacités d’accueil en première année s’élèvent à 2 915 places à travers la France.
La santé et l'accès aux soins sont l'une des préoccupations des Français. Interrogés par franceinfo, certains candidats à la présidentielle 2022 ont détaillé leurs mesures qu'ils proposent sur le sujet.