"À Geodis, ce sera l'usine" : depuis quinze jours, 80% des employés logistiques de Nocibé sont en grève

Début janvier, la direction de Nocibé a annoncé à ses 59 employés logistiques basés à Villeneuve-d'Ascq (Nord) leur transfert dans un nouvel entrepôt sur le site Geodis de Douvrin, dans le Pas-de-Calais. Un changement d'employeur et une direction muette qui ont poussé les salariés à entrer en grève.

Depuis ce mercredi soir, le piquet de grève s'est durci. En plus d'assurer des roulements en journée, désormais, les salariés grévistes de Nocibé se relaient aussi la nuit. Un mouvement tenu 24h/24 devant l'entrepôt logistique de Villeneuve-d'Ascq, où transitent tous les parfums et produits de beauté Nocibé envoyés en France.

Ce 6 juin 2024, cela fait quinze jours que les employés logistiques de cette enseigne née à Lille sont mobilisés. Et pas question de fléchir. Il est à peine 9 heures quand Simon Lyoen, gréviste à l'origine du mouvement et syndiqué CGT, sort d'un supermarché les bras plein de provisions. Un plein de courses à destination de ses collègues grévistes, qu'il rejoint devant le siège, rue de Ticléni.

"On fait des courses et on y retourne. Puisque maintenant la direction fait partir des camions la nuit, il faut qu'on soit sur place chaque seconde. Pour filtrer les arrivages de marchandise."

Un nouvel employeur, une nouvelle convention

Ce mouvement, Simon Lyoen le préparait depuis un mois avec l'aide de la CGT de Lille. Mais intimement, la colère grondait depuis janvier, lorsque la direction de Nocibé a annoncé son intention de confier la gestion de son entrepôt logistique à un prestataire de services, l'entreprise Geodis, basée à Douvrin dans le Pas-de-Calais.

Ce changement me fait passer de 20 minutes de route à 1 heure, s'il n'y a personne sur la route. Et pour le même salaire, sans prime.

Une salariée Nocibé

"Ce changement me fait passer de 20 minutes de route à 1 heure, s'il n'y a personne sur la route. Et pour le même salaire, sans prime", raconte cette salariée, rejointe par Simon : "J'habite à côté de mon travail. Si je suis transféré là-bas je devrai faire 75 km pour gagner un SMIC."

Au-delà de perdre du temps en voiture, les employés polyvalents pointent du doigt l'externalisation de leur activité. Car changer d'employeur, signifie changer de convention collective : "On ne sera plus en parfumerie mais en logistique et transport. Donc on perdra les avantages liés à Nocibé. Et puis les conditions de travail sur le site Geodis on les connaît, ce ne sont pas les mêmes. Là-bas c'est l'usine, on sera loin de l'ambiance familiale qu'on avait jusque-là."

On perdra les avantages liés à Nocibé. Et puis les conditions de travail sur le site Geodis on les connaît, ce ne sont pas les mêmes. Là-bas c'est l'usine.

Simon Lyoen, gréviste à l'origine du mouvement

Contactée, la direction de l’enseigne souligne avoir "proposé un dispositif très complet de mesures d’accompagnement pour faciliter la mobilité de ses collaborateurs et leur assurer le maintien de leurs avantages acquis", notamment en se tournant vers Geodis, un "prestataire avec lequel l’enseigne travaille depuis longtemps".

Une entreprise qui se porte bien

Si le projet est mené à son terme, les salariés devraient tous êtres transférés à Douvrin début 2025 (du moins ceux qui acceptent ce changement), après la période de Noël qui représente un gros chiffre d'affaires pour les parfumeries. Mais cette date coïncide également avec la fin du bail pour l'entrepôt de Villeneuve-d'Ascq, qui se fait vieillissant.

"Ce projet vise à répondre durablement aux normes ICPE (installations classées protection de l’environnement) imposées par l’évolution réglementaire sur le stockage des produits", argue la direction de Nocibé. 

Là encore, les grévistes s'insurgent contre une direction qu'ils jugent malhonnête : "Ils prennent l'excuse du manque de normes de sécurité. Mais s'ils s'y étaient pris à l'avance ils auraient pu faire des travaux. Ils se sont mis des bâtons dans les roues tous seuls", fustige Simon Lyoen. D'autant plus que, Nocibé se porte très bien. Le syndiqué relève que, avec 175 millions d'euros de bénéfices nets amassés en 2023, l'entreprise aurait "eu l'argent pour rénover le bâtiment".

Une augmentation de 150 euros

Des doléances que les employés logistiques n'ont pas manqué de faire savoir à leur direction, qu'ils ont rencontré quatre fois au cours de ces derniers mois. La dernière réunion en date a eu lieu ce lundi 3 juin, sans rien donner de concluant. Simon Lyoen explique : "En plus du gel du transfert à Douvrin, pour pouvoir renégocier dans des conditions plus favorables, nous demandons une augmentation de 150 euros. Nous sommes tous au SMIC sans 13e mois, vu les chiffres de Nocibé, ça me semble justifié."

Nous demandons une augmentation de 150 euros. Nous sommes tous au SMIC sans 13e mois, vu les chiffres de Nocibé, ça me semble justifié.

Simon Lyoen

En réponse, l'entreprise leur a intimé ne pas vouloir "négocier sous la contrainte". Autrement dit, tant que la grève continuera, Nocibé ne formulera pas de contre-proposition. Bref, la situation n'évoluera pas tant que les salariés resteront mobilisés.

Plus encore, les grévistes, qui représentent 80% des membres de l'entrepôt, se sentent trahis par la CFTC, syndicat majoritaire de Nocibé à 90%, qui a signé l'accord avec la direction en mars dernier. "Les syndicats l'ont jouée fine avec la direction, ils ne nous ont jamais consultés. La seule représentante syndicale CGT n'est pas prise au sérieux. Ils disent qu'on n'est pas représentatifs."

La direction de l’enseigne s’est engagée (...) à chercher toutes les solutions pour que chacun des collaborateurs puisse bénéficier d’un accompagnement adapté.

Direction de Nocibé

"La direction de l’enseigne s’est engagée, en toute responsabilité et en étroite concertation avec les partenaires sociaux, à chercher toutes les solutions pour que chacun des collaborateurs puisse bénéficier d’un accompagnement adapté", fait savoir un porte-parole de Nocibé, en précisant qu'une nouvelle réunion est prevue ce jeudi.

Course contre la montre

En plus d'une mobilisation historique pour Nocibé, qui a rarement vu naître des mouvements sociaux et jamais aussi longs, cette grève est une véritable course contre la montre. "La direction sait qu'on est pris à la gorge et que financièrement on est extrêmement justes. Ils attendent qu'on s'épuise." Pour poursuivre leur piquet de grève, les salariés Nocibé ont lancé une cagnotte en ligne il y a quelques jours.

La direction sait qu'on est pris à la gorge et que financièrement on est très très justes. Ils attendent qu'on s'épuise.

Simon Lyoen

Simon rapporte également des "tentatives d'intimidation", comme l'envoi de personnel de sécurité devant le site, pour empêcher les blocages. Ou plus récemment, de la réception d'un courrier le convoquant au tribunal judiciaire de Lille. "Sur une quarantaine de grévistes, je suis le seul à avoir reçu cette assignation au tribunal judiciaire. Leur motif c'est que je suis le seul identifié comme bloquant le passage et les camions." L'audience aura lieu ce vendredi à 14 heures.

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