Au lendemain de l'assassinat de Dominique Bernard, professeur de français à la cité scolaire Gambetta à Arras, vendredi 13 octobre 2023, entretien avec Jean Bevalet, consultant en risque sécuritaire.
Après l'attaque au couteau qui a coûté la vie à un enseignant de français, hier, vendredi 13 octobre 2023 à Arras, et l'interpellation de l'auteur présumé, un ancien élève radicalisé, nous avons voulu en savoir plus sur le fichier S. Quelques questions à Jean Bevalet, expert en la matière.
Qu'est-ce qu'un fichier S ?
Jean Bevalet : "S veut dire sûreté de l'Etat. C'est un sous-fichier qui appartient au FPR, le fichier des personnes recherchées. Et dans ce fichier vous avez, de mémoire, 21 catégories. Et parmi elles, le fichier S. Ça n'a rien à voir avec la radicalisation. C'est-à-dire que vous pouvez être fiché S pour des questions d'extrémisme politique, pour des tas d'événements... C'est juste une catégorisation pour dire cette personne est susceptible de nuire à la sécurité - sûreté de l'Etat. Dans le fichier S, vous avez un autre fichier qui s'appelle le FSPRT, le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Et, là,vous avez les personnes radicalisées à risques."
Qu'est-ce qu'être fiché S implique ?
Jean Bevalet : "Une fiche S est valable deux ans. Et peut être renouvelée. Cela implique un suivi qui peut être une mise sur écoute téléphonique, une surveillance des mails, de toute messagerie que vous êtes susceptible d'utiliser et de la géolocalisation. Et vous allez être régulièrement contrôlé directement ou indirectement. Mais comme cela s'est passé pour le terroriste d'Arras, il a été contrôlé la veille par la police.
Rien ne laissait présager un passage à l'acte ?
Jean Bevalet : "En France, Etat de droit, vous n'arrêtez pas quelqu'un sur une présomption. Il faut une preuve, et si la personne ne présente pas des éléments significatifs, soit dans des propos, soit par un port d'arme par exemple, vous ne pouvez pas l'arrêter.
Qui peut voir le fichier S ?
Jean Bevalet : "La DGSI, la direction générale de la sécurité intérieure. Le système a été modifié en 2018 avec une automatisation pour que différents services puissent y accéder et je crois qu'on a 100 000 recherches par jour sur ce fichier S. Et plusieurs dizaines de milliers de fichés S existent actuellement en France".
Être fiché S entraîne-t-il une OQTF, obligation de quitter le territoire français ?
L'OQTF, c'est un juge qui prend la décision (...) Donc être fiché S n'entraîne pas de facto une OQTF
Jean Bevalet
Jean Bevalet : "L'OQTF, c'est un juge qui prend la décision. Si vous prenez la famille de ce terroriste d'Arras, en 2014, elle avait eu l'obligation de quitter le territoire, et un certain nombre d'associations s'y étaient opposé et ont obtenu l'annulation. Donc être fiché S n'entraîne pas de facto une OQTF."
Pour le cas de Mohammed M., il n'a pas été obligé de quitter le territoire notamment parce qu'il est arrivé en France avant 13 ans...
Jean Bevalet : "C'est un des points qui doit être abordé dans une prochaine loi débattue à l'Assemblée nationale. Comme il avait moins de 13 ans lors de son entrée sur le territoire, selon la loi, il a comme un droit du sol et on ne peut lui demander de quitter le territoire jusqu'à présent."
Même si les radars sont extrêmement serrés, vous en avez toujours qui passent au travers. Je ne peux pas vous dire le contraire, je mentirais
Jean Bevalet
Comment faire en sorte que ce type d'individu ne passe plus entre les mailles du filet ?
Jean Bevalet : "Les services de l'Etat évitent des attentats tous les mois quasiment. C'est dramatique, comme ça l'était il y a trois ans avec Samuel Paty. Mais, c'est toute la difficulté, comme je vous le disais plus tôt : si la personne ne porte pas d'arme, ne fait pas de délit particulier, ne tient pas des propos sur les réseaux sociaux faisant l'apologie du terrorisme, on ne peut l'arrêter. Même si les radars sont extrêmement serrés, vous avez toujours des gens qui passent au travers. Je ne peux pas vous dire le contraire, je mentirais".
Le conflit entre le Hamas et Israël a-t-il pu être un élément déclencheur pour Mohammed M. ?
Jean Bevalet : "L'enquête va le déterminer mais il y a des éléments concordants. Vous avez Daech qui a envoyé un message à l'Etat français, il y a quelques semaines pour dire "laissez tranquilles nos musulmans, laisser les pratiquer". Vous avez ce qui se passe entre le Hamas et Israël... Tout cela sur un esprit faible - sans vouloir dédouaner l'acteur - ou disons facilement manipulable peut être un élément déclencheur."