C'est un grand moment du patrimoine des Hauts-de-France : chaque 1er janvier, des courageux grimpent le terril d'Haillicourt, dans le Pas-de-Calais, pour attaquer l'année en beauté et commémorer la mémoire de leurs ancêtres mineurs.
Boas en plumes roses, lunettes bariolées, perruques synthétiques à foison... Sous le vent et la grisaille d'une parfaite journée du nord, des taches de couleur zigzaguent sur les pentes du terril d'Haillicourt. En ce premier jour de 2024, une petite centaine de personnes se sont donné rendez-vous pour gravir les 389 marches des terrils du Pays à Part et célébrer la nouvelle année à 180m d'altitude.
Une première pour certains, une habitude pour d'autres, mais en tout cas une tradition incontournable de la région, célébrée depuis plusieurs décennies pour affirmer ses bonnes résolutions au grand air.
Se souvenir de son héritage minier
Départ : 10h45. C'est encore un peu fatigués de leur Réveillon que les marcheurs commencent leur ascension, en rire et en bavardages. Pourtant, au milieu de la joyeuse rumeur, quelques cœurs se serrent. "C'est chez nous ici, c'est les anciens qui ont construit tout ça, il faut s'en souvenir", livre Christophe, habitué de cette montée du 1er janvier, les yeux brillants d'émotion. "Chaque année quand on monte, on se souvient d'eux. On est des enfants de mineurs, on ne peut pas les oublier c'est pas possible. Et voir tout ce monde qui arrive, ça fait chaud au cœur."
C'est chez nous ici, c'est les anciens qui ont construit tout ça, il faut s'en souvenir.
Christophe, grimpeur du terril d'Haillicourt
Quelques mètres plus loin, Daniel Dewalle, organisateur de la marche depuis près de neuf ans, acquiesce. Petit-fils et arrière-petit-fils de mineurs, le guide prend toujours un grand plaisir à organiser l'évènement. "On se dit que tout ça, sous nos pieds, c'est nos parents et nos grands-parents qui l'ont fait. C'est toujours un peu émouvant je trouve, d'y monter." En plus de remettre en forme après le nouvel an, la montée du terril d'Haillicourt est pour Daniel Dewalle une façon de leur rendre hommage. "Histoire de leur dire 'chapeau' en fin de compte."
Des vœux à 180m d'altitude
Les mollets s'échauffent, la respiration sifflote, mais la bonne humeur persiste. De longues minutes plus tard, les premiers grimpeurs peuvent enfin admirer la vue à 360° qu'offre le terril sur le Plat Pays du Pas-de-Calais. Sitôt arrivés, sitôt des bruits de bouchons que l'on fait sauter résonnent en contrebas. Car voici venir le clou du spectacle : l'auberge espagnole, arrosée au champagne et doublée de la convivialité fétiche du Nord.
Le moment est donc venu pour les marcheurs de s'échanger leurs vœux, un moment attendu avec impatience par certains : "C'est une tradition, chaque année je viens avec mon beau-père pour se souhaiter les vœux... Et pour se remettre de la veille aussi, faut avouer", plaisante Rémy, qui reprend son sérieux quelques instants. "On souhaite la bonne santé mais aussi un peu de paix pour l'année 2024, parce qu'avec le monde en ce moment c'est pas évident."
Une tradition fédératrice
D'un commun accord, quelque peu tacite, la centaine de nordistes se rassemble sur la pointe du terril et entame quelques chants régionaux : les emblématiques Corons évidemment, suivi de Tout en haut de ch'terril. "Faut qu'on chante plus fort qu'au stade Bollaert", hurle Daniel Dewalle, provoquant l'hilarité générale. "Chanter c'est important, ça aide à décompresser !"
La première année, je pensais qu'on ne serait qu'une dizaine et puis finalement 120 personnes se sont ramenées. Ça n'a fait qu'augmenter.
Daniel Dewalle, organisateur
Place à la dégustation, chaque famille se retrouve, des petits groupes se forment sans pour autant rester figés. L'organisateur contemple la scène, l'air satisfait : "La première année, je pensais qu'on ne serait qu'une dizaine et puis finalement 120 personnes se sont ramenées. Ça n'a fait qu'augmenter et même en 2021 avec les restrictions du Covid, on a réussi à maintenir la sortie." Derrière lui, les participants continuent les festivités et entament une grande chenille.
Pour lui, cette ascension représente une forme de "pèlerinage", qui rameute même des anciens habitants du Pas-de-Calais, partis vivre depuis à Marseilles, Toulouse ou Bordeaux. "Quand ils entendent qu'on peut faire le mariole en haut du terril, évidemment que certains reviennent", assène Daniel Dewalle, avant de plonger de nouveau dans l'extravagance et l'insouciance du groupe de grimpeurs.