À l’école maternelle Maryse-Bastié de Barlin, dans le Pas-de-Calais, enfants et seniors se côtoient quotidiennement à la cantine et également chaque semaine pour partager des activités ludiques ou créatives. Ensemble, ils célèbrent tous les anniversaires et les fêtes. L'initiative, inédite, aide à développer avec succès les liens entre les générations.
À Barlin, à huit kilomètres de Béthune, dans le Pas-de-Calais, une des quatre écoles maternelles de la commune de 7 400 habitants est installée dans les locaux de l'Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).
Depuis janvier 2023, l’école maternelle Maryse-Bastié a pris ses quartiers dans les locaux de l’Ehpad "Les Charmilles". Trente-trois enfants, de la petite à la grande section, partagent les activités des seniors une fois par semaine. En groupes ou en binômes, enfants et retraités s'adonnent à des loisirs créatifs, jouent à des jeux de société, font du coloriage ou des activités manuelles. Et ils prennent leurs repas ensemble chaque jour.
À l'origine du projet, en 2021, la ville était confrontée à un problème d'organisation de la cantine. C'est la directrice de l'Ehpad, Chrystelle Sénéchal, une ancienne cadre supérieure en psychiatrie, qui a proposé à la mairie d'accueillir les enfants et de créer des temps de partage entre les générations, autour des repas.
"Les Charmilles" est un établissement privé à but non lucratif (Groupe AHNAC). La résidence propose soixante-six chambres individuelles et une unité spécifique permet d’accueillir une douzaine de résidents souffrant de la maladie d’Alzheimer et de pathologies apparentées. La directrice a dû rassurer les seniors, parfois en résidence depuis dix ans, lors de l'installation de l'école au sein de l'Ehpad : leur intimité sera respectée et ils ne rencontreront les enfants que s'ils sont volontaires.
Une aventure intergénérationnelle
Le maire (PS), Julien Dagbert, trente-six ans, a voulu placer l’Ehpad au cœur de la ville pour "faire cohabiter les habitants qui terminent leur vie avec ceux qui la débutent", les jeunes enfants. Après la crise du Covid-19 et après le scandale Orpéa, qui révélait des mauvais traitements dans de nombreux Ehpad en France, le "bien vieillir" est désormais une préoccupation majeure pour l'élu. Cette expérience sociale innovante vise à rapprocher les générations, tout en respectant les besoins de chacun.
"Ma grand-mère était résidente ici, elle est décédée dans cet établissement. Aujourd'hui, d'un point de vue personnel, c'est aussi l'aboutissement de quelque chose", se confie le maire. Il ajoute : "Se dire que ce qu'on a voulu faire, c'est d'ouvrir une structure, un Ehpad, avec l'image que cela peut avoir, vers la société, et le rendre accessible au plus grand nombre".
Contrairement à une école plus traditionnelle, il y a beaucoup plus de compréhension, d'écoute et d'attention envers les autres. C'était aussi l'un des objectifs du projet.
Julien Dagbert, maire de Barlin
Certains résidents redoutaient le bruit que peuvent faire deux classes d'enfants de quatre ans. D'autres ont craint de devoir s'occuper des enfants, les amener aux toilettes ou gérer les activités. Mais le plus difficile a été de convaincre les parents. Le maire raconte avoir persuadé parents et résidents en inscrivant sa propre fille dans l'école maternelle. "On se rend compte que la mayonnaise a pris entre les enfants et les résidents. Ma fille est scolarisée dans cette école. Elle nous raconte beaucoup plus ses journées, finalement", relate l'élu.
Dès la première rentrée à l'Ehpad, en janvier 2023, il y a eu un élan spontané. Les seniors ont rapidement joué le jeu et participé à des ateliers intergénérationnels.
Briser la solitude des aînés
Elizabeth Notelet, la directrice de l'école maternelle Maryse Bastié, avoue avoir accueilli ce projet avec surprise dans un premier temps. Elle pense aujourd'hui que c'est très positif et que "cela met un petit coup de boost dans la petite routine qu'on instaure au fil des ans en tant qu'enseignante". Surtout, selon elle, cela rompt l'isolement des résidents de l'Ehpad, qui sont très demandeurs. "Ça amène de la vie", conclut-elle.
Par ailleurs, le fait de ne plus avoir un seul référent adulte, la maîtresse, permet aux enfants de se familiariser avec d'autres personnes, d'être "moins timorés" et de développer leur sociabilité, par l'inclusion avec des personnes parfois vulnérables. Au niveau du travail, c'est une charge supplémentaire, les activités doivent être adaptées aux enfants et aux résidents de l'Ehpad. Mais il est très facile de trouver un terrain de rencontre à travers des jeux traditionnels, la lecture de contes et histoires et même, des exercices de motricité fine.
Enfants et seniors peuvent aussi travailler ensemble le langage, la mémoire en créant en outre une complicité qui bénéficie à chacun. Yoann, un animateur auprès des résidents de l'Ehpad, se réjouit : "Dans le métier d'animateur, on innove en permanence. C'est très stimulant pour l'animateur, qui se sent très utile et fier".
Il n'y a aucune limite, à part le bien-être de nos résidents et de nos enfants.
Yoann, animateur dans l'Ehpad
L'initiative se poursuit pour l'année scolaire qui débute, avec 44 enfants à l'école et semble s'ancrer définitivement. Sera-t-elle inspirante pour d'autres communes de la région et partout en France ? On peut le souhaiter, tant elle semble concrétiser le concept d'hybridation, soutenu par la philosophe Gabrielle Halpern, qui suggère de cultiver l'intérêt général en développant des politiques publiques moins catégorielles. Notamment, en soutenant des initiatives qui réunissent enfants et personnes âgées au quotidien et pas seulement au coup par coup. Car, in fine, il s'agit de penser de nouvelles relations à l'autre, ne plus opposer jeunes et vieux, mais les réunir par des liens simples et concrets : un lieu, des activités, des repas, des célébrations. C'est ainsi qu'un nouveau lien social se bâtit, sur le long terme.
Un documentaire rend compte de cette expérience, tourné durant toute une année scolaire : "Barlin, au-delà des âges", à voir jeudi 5 septembre à 22h50 sur France 3 Hauts-de-France et france.tv.
Un film écrit et réalisé par Philippe Moreau - Coproduction : Bo Travail ! France Télévisions et Public Sénat.
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